31.8.12

L’AFFAIRE DES TROIS ‘KAREN’


On affirme qu’un nom ne peut être attribué qu’une seule fois. C’est une nécessité pour qu’il n’y ait aucune confusion. Mais la vigilance des « registrars » peut être prise en défaut et les règles elle-mêmes d’attribution des noms peuvent être la cause de doublons. C’est ce qui est arrivé avec le nom ‘Karen’.

Il a été attribué une première fois en 1924 à un iris obtenu par le jeune Ben Y. Morrison. C’est un iris bitone, rose orchidée aux pétales et rose magenta aux sépales, avec des barbes mandarine, comme c’était quasi obligatoire à l’époque. Deux mots concernant son obtenteur : C’était un membre de la bonne société de la côte Est, né en 1890, remarquablement doué et séduisant. Il avait fait ses études avec le frère de Grace Sturtevant qui fut la première femme au monde à pratiquer l’hybridation des iris, et avait tellement plu à la jeune femme qu’elle lui dédia, alors qu’il n’avait encore que 27 ans, la plus remarquable des ses obtentions, le fameux ‘B. Y. Morrison’ (1918). Dès son jeune âge il s’était intéressé aux iris, mais, impressionné par le travail de Grace, Benjamin Yoe Morrison se lança lui-même dans l’hybridation. C’était un véritable artiste, qui avait choisi la musique pour s’exprimer. Ce fut un baryton reconnu et un pianiste apprécié dans les concerts, publics comme privés. Cependant son véritable métier fut celui d’architecte paysagiste, et l’hybridation devint non seulement un hobby, mais presque son activité principale entre 1920 et 1931, période pendant laquelle il enregistra environ 70 variétés. Par la suite, sans renier cette activité, il en eut bien d’autres, dont l’hybridation des azalées. Il est mort en 1966 après une vie hyper-active.

Son iris ‘Karen’ a été considéré comme perdu et le nom a été de nouveau attribué, trente ans après, en 1954, à une nouvelle variété, création d’Agnes Whiting. La check-list le décrit comme : « TB, 90cm, MT. Self rose tendre, épaules et barbes corail. » Son pedigree est : (Moon Lantern X (Pathfinder x semis Hall 52-04). Pour quelle raison cet iris ne fut-il jamais commercialisé, nul ne le sait. Peut-être a-t-il disparu rapidement dans les plantations d’Agnes Whiting ? Toujours est-il qu’il n’existe, apparemment plus aucune trace de cet iris. Il est vrai qu’avec ‘Pathfinder’ (1946), Agnes Whiting avait un iris orchidée de premier plan, un iris qui a fait l’objet de multiples croisements et se trouve à l’origine des bicolores à base de rose et des fleurs mauves ou violet améthyste, comme le sont les autres ‘Karen’. Elle avait aussi à son actif d’autres variétés valeureuses comme le célèbre ‘Blue Rhythm’ (1945), médaillé de Dykes en 1950 ou ‘Rocket’ (1945), qui est longtemps resté un des jaune-orangé les plus brillants, et ‘Garden Glory’ (1949), à la couleur grenat douce et veloutée. Son jardin de Mapleton, dans l’Iowa, au pays des Indiens Sioux, était, dans les années 40 l’un des plus admirés des USA. A l’époque, faire le voyage de Mapleton était quelque chose d’indispensable, et pratiquement tous les hybrideurs de l’époque l’ont fait. Non seulement pour admirer les iris qui y étaient cultivés, mais aussi pour la beauté du jardin et, surtout, pour le charme et l’hospitalité de la propriétaire…


Lorsque, encore trente ans plus tard, en 1984, Melba Hamblen a voulu donner le nom de ‘Karen’ à l’une de ses obtentions, elle a recherché si l’ancien ‘Karen’ était toujours présent dans quelque jardin. Elle a obtenu l’assurance qu’il n’avait jamais été mis sur le marché et a pu obtenir que le nom lui soit de nouveau attribué. Ce ‘Karen’ n° 3 est une variété bien connue, qui a fait une belle carrière et qu’on trouve toujours dans de nombreux parcs et jardins, comme dans la collection du Parc Floral de Paris, à Vincennes.

Si Melba Hamblen a obtenu et sélectionné des plantes qui ont une élégance et une grâce toute féminine, elle n’a pas eu la chance de voir l’une de ses variétés couronnée par une récompense majeure qui aurait pourtant été méritée. Les bicolores à pétales roses et sépales bleus ou indigo l’ont toujours intéressée. A partir de ‘Lilac Champagne’ (1965), elle a travaillé son sujet et est parvenue à ‘Touche’ (1969) qui est déjà un aboutissement, avec ses pétales rose pâle et ses sépales lavande, marqués d’une flamme plus sombre. Toujours à partir de ‘Lilac Champagne’, vint ‘New Rochelle’ (1973), une autre avancée dans les bicolores rose/bleu, lui-même à l’origine de ‘Heavenly Harmony’ (1977), lequel a engendré ‘Karen’ dont il est question aujourd’hui. Il est décrit dans la Check-List comme : « TB, 90cm, MT. Pétales rose fumé, sépales bleu violet, empreinte ocre aux épaules ; barbe orange-rouille, pointée bleu ; léger parfum épicé. » Et voici son pedigree : ((Fashion Fling x Lilac Flare) x Sugarplum Fairy) X (Sugarplum Fairy x Heavenly Harmony). Sans avoir été utilisé à outrance par les hybrideurs, on lui connaît un certain nombre de descendants aussi différents que ‘Finalist’ (Gatty, 1993), ‘Sunlit Crest’ (Mullin, 2002), ‘Lynsy Alexandra’ (Innerst, 2003), ‘Fashion Queen’ (Schreiner, 2004) ou ‘Cœur d’Or’ (R. Cayeux, 2008).

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais il se trouve que le premier ‘Karen’ a réapparu ! Formellement identifié par des spécialistes comme Mike Unser, il a réintégré les collections des amateurs d’iris historiques. De sorte que, tout à fait exceptionnellement, on peut aujourd’hui rencontrer deux variétés, parfaitement en règle, qui portent le nom de ‘Karen’. Elles sont l’une et l’autre bien jolies et il serait dommage de ne pas en profiter !

Mais cet incident pose le problème des disparitions. Réelles ou supposées ? On a beau s’entourer d’un maximum de précautions, d’autres doublons existent certainement. Qu’en est-il par exemple des deux ‘Aigue Marine’ ? Toutes deux issues de la Maison Cayeux. Le premier (Cayeux, 1938) est-il absolument perdu ? Le second, tout récent, (Cayeux 2012) a-t-il un peu prématurément repris le nom ?

Iconographie :

‘Karen’ (Morrison, 1924)
‘Karen’ (Hamblen, 1984)
‘Fashion Queen’ (Schreiner, 2004)
‘Aigue Marine’ (Cayeux, 2012).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le nom de cette création bleu ciel ("Aigue-Marine") de 2012 a été refusé par le registrar de l'AIS car il paraît qu'il existe toujours des exemplaires de l'original Aigue-Marine aux Etats-Unis. J'ignore quel nom a été attribué à cette plante officiellement, mais il s'appelle toujours Aigue-Marine dans le catalogue Cayeux.