23.11.12

DANS "LE MIROIR MAGIQUE DE LA RÉALITÉ"

C’est Marcel Proust qui définit le travail de Claude Monet comme étant : « le miroir magique de la réalité ." Ainsi, vue par Monet, la réalité le serait au travers d’un miroir magique, celui qui lui donne une fraîcheur et des couleurs absolument vraies qui désorientera le public de l’époque. Il n’y a pas, semble-t-il, de meilleure définition du travail monumental du premier des impressionnistes. Mais en quoi peut-elle s’appliquer au domaine des iris ? C’est ce que nous allons essayer de voir dans la chronique de ce jour.

Il est curieux de constater combien Monet, dubitatif à propos de son œuvre, et souvent même totalement insatisfait, était sûr de lui quand il parlait d’horticulture ou de botanique. Pour s’en convaincre il n’est que de citer les consignes qu’il donne à son jardinier à un moment où il doit s’absenter de Giverny pour quelques semaines ou quelques mois, comme il le fait presque chaque année. « Semis : environ 300 pots Pavot – 60 pots Pois de senteur – environ 60 pots Anémone blanche – 30 jaune. Sauge bleue – Nymphéa bleu en terrine – Dahlias – iris Kaempferi. Du 15 au 25 mettre les dahlias en végétation sur couche ; bouturer avant mon retour ceux qui sortiront. – Penser aux bulbes de lys. – Si les pivoines arrivent, les mettre de suite en place si le temps le permet, en ayant bien soin d’abriter pendant les premiers temps les bourgeons du froid, comme de l’ardeur du soleil. S’occuper de la taille : les rosiers pas trop longs, sauf les variétés épineuses. En mars semer les gazons, bouturer les petites capucines, avoir bien soin de la serre du gloxinia, des orchidées etc., ainsi que des plantes sous châssis. » Et les consignes continuent sur le même ton péremptoire. Monet est un jardinier extraordinaire, et il n’est pas étonnant que son jardin soit un véritable paradis. Dans ce paradis les iris ont une place de choix, comme on le voit encore à Giverny, où rien n’a été profondément modifié.

L’intérêt pour les iris apparaît dès l’installation des Monet à Giverny. Dans les marais de l’embouchure de l’Epte, là où elle rejoint la Seine, tout près du village, les iris jaunes – I. pseudacorus – se trouvent en abondance, et leurs fleurs gracieuses et légères, associées à la présence de l’eau, ont attiré le peintre dès qu’il a fait connaissance avec les alentours de la maison où il venait de s’installer après des années de déménagements successifs. Il les a peints à plusieurs reprises, d’abord au bord de l’Epte, puis dans son jardin d’eau, tout au long de ses dernières années et principalement entre 1910 et 1926, quand son dessin devient plus flou, au fur et à mesure qu’évoluent sa conception de son art et, plus prosaïquement la qualité de sa vue. On passe d’une touche délicate un jeu de taches jaunes sur le fond où l’eau est figurée par de longs mouvements de couleurs onduleux.

Les autres espèces et variétés d’iris ne l’intéressent pas moins. Il est fier de ce qu’il en a fait dans son jardin, comme cela apparaît dans une lettre à son confrère Gustave Caillebotte, quelque temps avant la disparition prématurée de ce dernier : « Ne manquez pas de venir lundi comme c'est convenu, tous mes iris seront en fleurs, plus tard il y en aurait de passés.» Il les peint, bien sûr, a maintes reprises, sous tous leurs aspects, comme il a toujours fait avec les différents motifs auxquels il s’est attaché, et comme il l’explique poétiquement : « Le nuage qui passe, la brise qui fraîchit, le grain qui menace et qui tombe, le vent qui souffle et s'abat brusquement, la lumière qui décroît et qui renaît, autant de causes, insaisissables pour l’œil des profanes, qui transforment la teinte et défigurent les plans d'eau. »

Ce qui passionne Claude Monet, c’est l’abondance, la profusion même de fleurs. Le jardin de Giverny est un fouillis d’une richesse extraordinaire, qui apparaît encore aujourd’hui. Les iris y sont particulièrement mis en valeur, et la collection qu’il en a réuni est une des plus belles de son époque. L’inondation de 1910, qui la détruira, fut une terrible épreuve pour le peintre qui, cependant, entreprendra aussitôt de la reconstituer. Tant que ses yeux le lui permettront, il peindra ses fleurs, et notamment ses iris, de plus en plus confusément, dans une image que troublent les effets de la cataracte. Mais le miroir magique continuera jusqu’à la fin à transfigurer la beauté des choses.


 Illustrations : 
Iris (1900) 
Iris jaunes (1917) 
Iris jaunes (1924) 
Iris dans le jardin ( ?) 

 Sources :
Monet, une vie dans le paysage, Marianne Alphant, Hazan, 1993. 
Encyclopedia Universalis.

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