8.11.13

LE BÉNÉFICE DU DOUTE

Les iris dont le pedigree n’est pas indiqué lors de leur enregistrement ont mauvaise réputation. Je connais des collectionneurs qui considèrent que ce n’est pas sérieux de marquer « parents inconnus », et qu’il vaudrait mieux s’abstenir d’enregistrer une variété si l’on n’est pas en mesure d’identifier ses parents. Est-ce pourtant si grave que cela ? J’espère que cela sera intéressant de comparer les arguments des détracteurs du système et ceux des gens qui le défendent.

 « Unknown parentage » apparaît dans les Check-Lists quand l’obtenteur qui rédige le document d’enregistrement ne veut pas ou ne peut pas donner les noms des variétés qu’il a croisées. Du point de vue du collectionneur, c’est quelque chose de frustrant. Quand on acquiert un iris, on aime bien savoir de quel croisement il provient. Pour plusieurs raisons :
1) cet aveu d’impuissance laisse planer un doute sur le sérieux du travail de l’obtenteur, surtout quand celui-ci est peu ou pas connu, par conséquent on s’interroge sur la qualité de son travail d’hybridation et de sélection. Il est en effet bien admis que celui qui pratique l’hybridation avec sérieux et méticulosité doit prendre note de tous les croisements qu’il réalise, cultiver séparément les graines puis les plantules qu’il a obtenues, repiquer ses semis avec minutie et éviter les causes de confusion.
2) même si l’on n’a pas l’intention de pratiquer l’hybridation, il est satisfaisant de connaître les origines des variétés que l’on cultive, autant par curiosité que par désir de précision quelque peu scientifique ; et plus on progresse dans la connaissance des iris plus on est curieux de toute information. Comment, par exemple, dresser l’arbre généalogique d’une variété quand on a des trous énormes ici ou là dans cet arbre ?
3) c’est encore plus déplaisant lorsqu’on veut effectuer des croisements avec un soupçon de connaissances génétiques. Avec les variétés dont on ignore les origines on ne peut être certain de rien et les croisements relèvent de la loterie, et comme à la loterie il arrive que l’on gagne, mais il est encore plus fréquent que l’on perde, et se donner tant de peine pour un aussi calamiteux résultat, c’est à vous dégoûter !
4) certains iront même jusqu’à craindre qu’on ne mette en doute leur propre compétence s’ils s’aventurent à utiliser des parents apparemment aussi peu fiables.
D’où l’opinion très réservée de bon nombre de collectionneurs sur ces iris du type « enfant trouvé ».

Cependant ces réticences sont-elles réellement justifiées, et faut-il juger aussi sévèrement les obtenteurs qui ne donnent pas les noms des parents de leurs cultivars ?

« Unknown parentage » peut, certes, couvrir les lacunes de l’obtenteur, ou le côté hasardeux de son travail. Pour ne parler que de gens disparus, je relèverai le cas de la famille Gordodelov, en Russie, qui, dès la chute du régime soviétique dans son pays, a enregistré un paquet d’iris pour la plupart obtenus pendant les années sombres, avec des moyens rudimentaires. Systématiquement ces enregistrements sont noté « parents inconnus ». Ce n’est pas faire injure à ces hybrideurs courageux que de considérer que leurs iris sont de qualité plutôt moyenne et que leur enregistrement ne se justifiait pas vraiment. Accordons-leur notre indulgence et retenons surtout leur désir de marquer leur arrivée dans l’univers général des iris.

« Unknown parentage » peut signifier tout autre chose. Lorsqu’un hybrideur chevronné se résout à ce type de déclaration, c’est surtout qu’il reconnaît la qualité de l’iris ainsi déclaré, mais qu’un alea de production a fait disparaître les traces des parents utilisés, ou qu’un doute sérieux apparaît dans les documents conservés. Dans ces cas ne pas indiquer de parentèle n’est pas une manifestation de légèreté, mais au contraire la preuve d’un travail sérieux et consciencieux. Est-ce la bonne attitude ? C’est celle de la maison Schreiner à propos de ‘Stepping Out’, dont on connaît le destin, ou celle de Joë Ghio avec ‘Hopeless Romantic’ (2005), l’un des meilleurs roses de ces dernières années ? De la part de personnages aussi dignes de confiance, on ne peut qu’applaudir leurs scrupules.

Ce même souci de sincérité peut évidemment concerner des obtenteurs moins prestigieux. Je suis certain même que la volonté de ne tromper personne anime la plupart des irisariens, et que s’il y a des imposteurs, ceux-ci ne se trouvent pas nécessairement parmi les sans-grades. Ses contemporains ont reproché à Chet Tompkins non seulement d’être un peu touche-à-tout et de manquer plutôt de rigueur dans ses sélections, mais surtout d’être porté à tricher avec les pedigrees. C’est une grave accusation dans un champ d’activité qui repose sur la sincérité des déclarations et l’honnêteté des déclarants.

Pour ceux qui veulent pratiquer l’hybridation, même si l’absence de certitude peut être rageant, après tout, il y a suffisamment d’excellents iris pour que, si l’on redoute l’inconnu, on choisisse pour parents des variétés aux origines avérées.

En fin de compte, une vraie incertitude a une réelle valeur, une fausse vérité est sacrilège. Tirons donc notre chapeau à ceux qui ont le courage de dire « je ne sais pas » et accordons-leur toute notre confiance. Ils méritent de profiter du bénéfice du doute.

Illustrations : Quatre valeureux « unknown parentage » : 


‘Bold Look’ (Schreiner, 1993) 


‘Cayenne Capers’ (Gibson, 1959) 


‘Hopeless Romantic’ (Ghio, 2005) 


‘Pot d’Or’ (R. Cayeux, 2009)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans son catalogue 2013-2014, Barry Blyth signale la mésaventure arrivée en 2010. Suite aux pluies continues qu'ils on connu pendant la période de floraison, et qui a duré jusqu'en décembre, les étiquettes d'identification des croisements, du même modèle que celles qu'il avait toujours utilisées, ont été attaquées et mangées par des minuscules escargots. Près de la moitié de ses croisements sont issus de père inconnu.
Cela le contrarie pour 2 raisons: cela le gène de commercialiser des iris dont il ne connait pas le pedigree complet, et il ne peut pas savoir quels sont les iris intéressants comme pollen parent.
Pour différentes raisons, cela peut arriver à tout le monde.

J.C. JACOB

Anonyme a dit…

On ne peut jamais exclure la possibilité que la fleur ait été fécondée par le pollen de deux parents-pères différents, à moins d’avoir pris toutes les précautions nécessaires afin de protéger la fleur d’une contamination avant et après l’acte d’hybridation. Sinon la parenté peut bien s’avérer correcte pour certaines graines et fausse pour d’autres. Aussi faut-il, à mon avis, proscrire le pinceau comme outil d’hybridation car trop difficile à nettoyer correctement entre chaque croisement effectué. La pince à épiler, trempée dans de l’alcool à 95°, est beaucoup plus pratique et sécurisante. Tout ceci pour dire qu’un iris ‘parenté inconnue’ est préférable à une variété dont la parenté donnée est probablement fausse!
LR