28.3.14

A L'OMBRE D'UN GÉANT

Dans un univers aussi restreint que celui des iris, comment peut-on exister, professionnellement, dans l'ombre d'un confrère qui occupe tout le terrain ? C'est la question qu'on peut se poser à propos des hybrideurs et producteurs d'iris qui ont eu la malchance de se trouver en concurrence avec Ferdinand Cayeux, au cours du premier tiers du XXe siècle. Leur situation avait de quoi les décourager quand on constate le succès planétaire de leur éminent confrère dont la réputation internationale attirait chaque année de nombreux amateurs étrangers dont certains faisaient la traversée de l'Océan Atlantique pour admirer les variétés créées à la pépinière du Petit Vitry.

En fait, chacun avait trouvé une façon de se distinguer ! Nous allons suivre le parcours de chacun des principaux confrères de Ferdinand Cayeux et voir de quelle façon ils avaient réussi à se faire une place plus ou moins grande au soleil.

La famille Verdier. 

C'est assurément la plus ancienne « maison » d'iris qui était encore en activité quand F. Cayeux est entré dans la carrière. Elle a été créée par Victor Verdier au milieu des années 1800, et s'est perpétuée en la personne des deux fils de ce dernier, Charles et Eugène jusqu'à la guerre de 1914. A ce moment c'est la Maison Vilmorin qui a racheté la collection d'iris, une des plus importantes qui aient jamais été réunie, et qui a mis sur le marché les derniers produits des frères Verdier. Les variétés signées Verdier apparues dans les quinze premières années du siècle dernier rivalisaient effectivement avec celles obtenues par les autres hybrideurs. A commencer par 'Edouard Michel' (1904) qui possède la particularité d'être l'un des premiers iris triploïdes à avoir été commercialisés. Dans son livre « Classic Irises and the Men and Women who Created Them », Clarence Mahan se demande pourquoi cette variété a rencontré un tel succès car il considère qu'il s'agit d'une fleur « old fahion », c'est à dire avec des pétales qui ne se tiennent pas et des sépales qui pendent an oreilles de cockers. Parmi les autres variétés Verdier qui ont eu un réel succès, il faut citer 'La Neige' (1912), un iris blanc très blanc, et 'Prosper Laugier' (1914), bitone brun-rouge clair.

Charles André. 

L'activité de celui-ci est plus confidentielle. Pour se distinguer (ou peut-être, tout simplement, parce que cela lui plaisait) il s'est attelé à la recherche d'iris nains. Et il a eu la satisfaction d'obtenir, dans les années 1920, deux variétés qui ont fait sa célébrité, 'Lieutenant de Chavagnac' et 'Jean Siret'. Le premier est dans les tons de violet, le second dans les tons de jaune. L'un et l'autre sont à la fois nains (on dirait aujourd'hui des SDB) et remontants !

Fernand Denis. 

Cet ingénieur installé à Balaruc les Bains (tout près de l'actuelle pépinière des Iris de Thau) à eu le bonheur d'utiliser, parmi les premiers, les iris tétraploïdes du Proche Orient (I. mesopotamica) pour améliorer les anciens iris diploïdes exploités depuis toujours. L'opération n'a pas été des plus simples, mais elle a réussi et c'est grâce à cette « révolution tétraploïde » que l'iridophilie a pu atteindre son niveau actuel. L'activité de Fernand Denis ne s'est pas limitée aux grands iris, il a exploré bien d'autres domaines, comme celui des arilbreds ou celui d'autres croisements interspécifiques comme sa variété 'Paltec', issue d'un croisement entre I. pallida et I. tectorum. Dans le domaine des grands iris certaines de ses variétés sont à retenir : 'Madame Claude Monet' (1911), 'Madame Chobaut' (1916) et 'Blanc Bleuté' (1922), ancêtre de 'Missouri' (DM 1937), 'Chivalry' (DM 1947) et 'Blue Sapphire' (DM 1958).

Armand Millet et fils. 

L'entreprise de la famille Millet eut une existence fort longue et pleine de succès. Au début du 20eme siècle elle était toujours florissante et faisait la réputation de Bourg La Reine, cité où elle était installée. D'ailleurs Armand Millet, en un geste de reconnaissance, donna le nom de 'Colonel  Candelot', lequel fut maire de Bourg La Reine, à l'une de ses variétés les plus réussies. La Maison Millet bénéficia elle-aussi de l'apport remarquables de I. mesopotamica et ne se priva pas d'utiliser cette espèce exceptionnelle pour ses meilleurs croisements, et en particulier pour 'Souvenir de Mme Gaudichau' (1914). Mais on lui doit aussi des variétés remarquables comme 'Corrida'(1914)', Romeo'(1922), 'Madame Cécile Bouscant' (1923), ou 'Souvenir de Laetitia Michaud' (1923), laquelle est à l'origine de deux vainqueurs de la Dykes Medal, 'Helen McGregor' (DM 1949) et 'Eleanor's Pride' (DM 1961).

Philippe de Vilmorin et la Maison Vilmorin-Andrieux. 

C'est évidemment le plus célèbre concurrent de Ferdinand Cayeux. Cependant jamais il ne réussit à lui ravir la Médaille Française de Dykes créée en 1928.

Pourtant des variétés comme 'Alcazar' (1910), 'Isoline' (1904), 'Oriflamme' (1904) ou 'Tamerlan' (1904) ont eu un succès commercial sans équivalent, à leur époque. Et tout au long des années 1920 et 1930 les iris Vilmorin ont fait jeu égal avec ceux de la famille Cayeux. 'Ambassadeur' (1920), 'Alliés' (1922), 'Le Poussin' (1926), 'Antarès' (1927), 'Alcée' (1930), 'Manoir de Launay' (1936) ou 'Audran' (1938) sont autant de succès admirés partout dans le monde, qui ont contribué à la fortune de la Maison Vilmorin-Andrieux. Malgré ces authentiques réussites, la célébrité de la famille Vilmorin n'a pas résisté à celle de la famille Cayeux...

L'ombre d'un géant est décidément bien épaisse et ceux qui s'y trouvent malheureusement dissimulés ne parviennent pas facilement à la transpercer et à s'épanouir à son côté.

Illustrations : 


'Alliés'


'Colonel Candelot' 


'Edouard Michel' 

'Madame Chobaut'

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