14.6.14

DU TEMPS ET DES MODES

En matière d'iris, comme dans bien d'autres domaines, le temps exerce son influence, et la mode y ajoute ses effets.

Le temps ? Il n'est que de comparer un iris des années 1930 et un autre des années 1980 pour être convaincu de l'influence du temps. Et cette comparaison portera essentiellement sur la forme de la fleur et sur ses couleurs, alors que l'effet du temps porte également, dans un sens, sur la résistance aux maladies, dans un autre sur la floribondité, pour n'aborder que deux caractéristiques essentielles. Prenez, par exemple, 'Cameroun', une variété de 1938, signée Cayeux, remise cette année au catalogue de cette illustre maison, et 'Commando' (Schreiner, 1984), qui lui ressemble assez, et vous remarquerez l'évolution et les 46 ans qui les séparent ! Et pourtant 'Commando' n'est pas une variété révolutionnaire. La différence serait encore plus flagrante si la comparaison portait sur une variété encore plus récente, comme 'Ming Lord' (B. Blyth, 2004).

Car le temps enregistre les changements qui, de génération en génération, s'opèrent dans les dimensions, les formes, les couleurs des fleurs.

Cela ne se voit pas sur les photos, mais les fleurs de 'Cameroun' sont de petite taille, elles s'inscrivent dans un cercle d'environ 10 cm, au maximum. Celles de 'Commando' ont beaucoup plus d'ampleur : elles ont gagné au moins 2 cm par rapport aux précédentes. Quand à celles de 'Ming Lord', si elles sont à peu près de la taille de celles de 'Commando', elles semblent plus développées car elles bénéficient de l'élargissement des sépales, ce qui fait paraître l'ensemble de la fleur plus important. Cette notion de dimensions s'applique aussi à la plante. 'Cameroun' ne dépasse pas les 90 cm de haut, les deux autres dépassent le mètre. Le feuillage des iris anciens est souvent étroit, celui des fleurs modernes est plus abondant et plus développé.

C'est peut-être dans la forme des fleurs que l'évolution survenue est la plus flagrante. La forme de 'Cameroun' est ont ne peut plus classique : pétales en dôme, sans ondulations, sépales légèrement tombants, eux aussi parfaitement plats, étroits à la base. Du côté de 'Commando' la situation a évolué, mais sans excès : quelques ondulations, pétales turbinés, larges sépales mais pas encore horizontaux. Avec 'Ming Lord', on a une fleur tout à fait contemporaine : pétales volumineux, très ondulés, mais qui ont tendance à s'ouvrir vers le haut, sépales évasés, semi-horizontaux, ondulés sans exagération, grosses barbes. Actuellement la tendance est aux sépales très ondulés, gaufrés comme une fraise de costume renaissance, au-dessus de sépales franchement ouverts. Mais on constate aussi un retour aux tépales très plats (tailored, comme disent les anglophones), et aux fleurs plus petites (il faut dire « dainty ») : la recherche, comme la mode, est cyclique. Un temps il y eut un foisonnement d'iris à éperons, avec des extravagances pas toujours esthétiques, mais sans parvenir à des fleurs franchement doubles. L'apparition récente des pompons va peut-être faire évoluer les choses en cette direction.

Dans l'exemple cité, on a volontairement choisi des fleurs aux couleurs plutôt semblables, mais les variétés modernes arborent régulièrement des teintes nouvelles ou des associations inédites. Il y a eu, il y a quelques années, une multiplication des « dark tops », puis chacun a voulu proposer son « distallata » avec une évolution intéressante de ce modèle vers des véritables iris à rayures. Le modèle variegata inversé (pétales bleus, sépales jaunes) prend de l'ampleur et les couleurs s'approfondissent ; les iris gris se multiplient, a l'exemple de ce que fait Barry Blyth en Australie, et les plicatas multicolores recueillent l'enthousiasme d'un Keith Keppel, aux Etats-Unis. On a connu auparavant les iris « bleu-blanc-rouge » dont notre Richard Cayeux national s'est fait le champion avant que les obtenteurs américains ne lui emboîtent le pas avec un succès certain. En matière de couleurs traditionnelles, en revanche, il n'y a pas de nouveauté remarquable : la recherche de l'iris rouge va d'échecs en échecs et l'on a fait le tour de ce qui peut s'obtenir dans les autres coloris, on risque donc par là de reproduire inlassablement les couleurs de base et alors l'action des hybrideurs visera davantage les modifications de forme.

Le domaine des couleurs est singulièrement influencé par la mode : pendant un temps on proposera des quantités d'iris jaunes, puis viendra le temps des mordorés, des bleus, des oranges... Que quelqu'un commercialise une belle variété d'une certaine couleur, et dans les années qui vont suivre, un tas d'iris dans le même ton vont faire leur apparition.

 Autre effet de mode, celle de mettre sur le marché chaque année un nombre important de nouveautés. Fut un temps où les plus grandes maisons se contentaient d'offrir une douzaine de nouveaux iris. Maintenant même de petites entreprises garnissent leurs catalogues ou sites Internet d'une bonne vingtaine de variétés. Cette inflation est suscitée par le goût des Américains pour les choses nouvelles et, par conséquent, l'espoir commercial de réaliser encore plus de ventes. Elle peut avoir, un effet pervers, en multipliant les variétés presque semblables ou, encore plus grave, en sélectionnant des individus médiocres mais attrayants à l’œil. Quand je vois une variété comme 'Wizard of Odds' (P. Black, 2007), je crains que l'on en soit arrivé là (couleurs flashantes, mais fleurs mal disposées sur la tige et plante faiblarde.

Le temps et la mode ont une influence majeure dans l'évolution des iris. Espérons que cela n'aboutira pas à des excès regrettables.

 Illustrations : 


'Cameroun' 


'Commando' 


'Ming Lord' 


'Wizard of Odds'

1 commentaire:

gerard a dit…

A peu près d'accord, sauf sur cette affirmation : "l'effet du temps porte également, dans un sens, sur la résistance aux maladies"
Je fais le constat presque inverse, constatant l'incroyable résistance aux maladies de certaines variétés anciennes (dites "historiques") comparée à la fragilité de variétés nouvelles certes belles, mais éphémères.
Par ailleurs, ayant délaissé, pour cause de travail, pendant une quinzaine d'année la passion maniaque de collectionneur, j'ai constaté au retour de celle-ci il y a environ sept ans, les changements intervenus dans le monde de l'iris.
A voir les catalogues, notamment sur le net, une révolution s'était produite pendant mon "sommeil".
En fait, sans nier les améliorations de forme et de texture et la nouveauté de certaines associations de couleurs ou de motifs, il m'a fallu déchanter, en constatant qu'une part importante de la nouveauté tenait dans l'évolution de la photographie, quand le numérique autorise une meilleure appréhension de la lumière et de multiples et faciles corrections.