8.8.14

A LA MANIÈRE DE … JEAN D'ORMESSON

(Un jour je partirai sans en avoir tout dit)


Les iris du Plessis-Vaudreuil 

Mon grand père aimait les iris. Il considérait qu'une demeure quelle qu'elle soit ne pouvait pas se passer d'iris. Mais ce qu'il appelait des iris n'avait rien à voir avec ces plantes somptueuses qu'on trouve de plus en plus souvent dans les jardins. Au Plessis-Vaudreuil il y avait plusieurs massifs d'iris. Des iris bleus. Si on lui parlait d'autres couleurs mon grand père haussait les épaules et déclarait, péremptoire : «  Il n'y a pas de vrais iris d'une autre couleur que le bleu ! » Si on insistait en disant qu'il y avait des iris blancs, il répliquait qu'il ne s'agissait que d'une plante de marchands. « Pourquoi pas des rouges, faisait-il remarquer, comme sur les armes de la ville de Florence ? » Les iris, avec leur raideur toute militaire devaient évoquer pour lui les service des armes du par toute famille noble, et par conséquent le ramener vers de chères splendeurs passées.

Des iris bleus, délicieusement parfumés, envahissaient donc les massifs du Plesis-Vaudreuil. Ils avaient colonisé les espaces à proximité des grands arbres. Ils étaient eux-même infestés d'adventices menaçantes. Des graminées essentiellement. Car le parc, en dehors des alentours du château lui-même, ne voyaient guère passer le jardinier. Mon grand père justifiait ce demi abandon par la nécessité de laisser la nature se comporter comme Dieu voulait. Pour confirmer ces intentions écologiques, il avait de même interdit de cueillir les fleurs. Celles des iris comme celles des autres fleurs herbacées qui poussaient ici et là en toute liberté. Marie, cependant, avait obtenu la permission de faire des bouquets pour orner l'autel de la chapelle du château. Elle usait et abusait de cette permission, de sorte qu'à la saison, en mai, des fragrances sucrées le parfum des iris emplissaient la chapelle au point que cela devenait pratiquement insupportable.

Mais la saison des iris est brève. Dans la Haute Sarthe elle ne dure que de la mi-mai à la mi-juin. Quand elle se terminait, restaient seules les hautes hampes abandonnées, où persistaient des moignons bruns, recroquevillés qui finissaient par sécher et laissaient place à de grosses capsules vertes. J'aimais, vers la fin d'août, surveiller l'ouverture de ces capsules. Leur extrémité supérieure finissait par se craqueler, comme la chrysalide de quelque libellule, mais ce n'était pas un insecte parfait qui allait en jaillir, mais de grosses graines orangées qui me faisaient penser à du maïs. Un matin, quand nous nous promenions dans les allées, Marie et moi, nous ne trouvions que les lambeaux grisâtres des capsules desséchées au bout de tiges exsangues. Qu'étaient devenues les graines ? Les geais et les pies les avaient-ils emportées ?

 La multiplication des iris est unes chose passionnante. Cette plante peut se reproduire à l'identique indéfiniment. Sans passer obligatoirement par une phase sexuée. Une fois la plante créée, elle est là pour toujours. Ainsi Dieu a-t-il confié la tâche de créateur à l'homme, voire même à l'insecte. Un simple bourdon peut être un créateur. Il féconde une fleur, Une graine survient. Une nouvelle plante apparaît. Elle va se multiplier à l'infini, tant que la terre durera, si aucune catastrophe ne vient interrompre cette part d'éternité. Dieu a-t-il fait exprès de déléguer cette responsabilité divine ou s'agit-il d'une erreur ? Mais Dieu peut-il commettre une erreur ?

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