31.10.14

A LA MANIÈRE DE …

Jean de la Bruyère (Les Caractères) 

Jean de la Bruyère est né le 17 août 1645. À cette époque l'iris n'était qu'une fleur commune, le plus souvent bleue ou violette, quelquefois jaune et pourprée ou marquée d'un plumetis violacé sur un fond blanc. Il faudra attendre encore près de deux cents ans pour que les hybrides sélectionnés apparaissent dans les jardins, et encore plus d'un siècle pour qu'ils deviennent la fleur que nous connaissons aujourd'hui. Imaginons donc ce que La Bruyère pourrait écrire de nos jours à propos de l'amateur d'iris, comme il l'a fait pour un personnage de son temps : le fleuriste, amateur de tulipes.

 On peut avoir de la curiosité pour toutes sortes de fantaisies. Rechercher quelque chose que l'on ne connaît point peut être un amusement, voire une ambition. Celle-ci devient parfois une passion envahissante qui se distingue seulement à la petitesse de son objet.

L'amateur d'iris a un jardin souvent autour de sa demeure, mais il est parfois tenu de parcourir maintes lieues pour s'y rendre. Il s'y précipite dès le lever du soleil, et il n'est de retour qu'à son coucher. Vous le voyez immobile au milieu de ses iris, penché devant 'Fürstin Pauline', ce bleu profond qui le fascine: il effleure un sépale, le caresse délicatement, il en aspire le parfum doux et sucré, les yeux fermés pour n'en perdre aucun effluve. Il sort de sa poche un petit carnet où il note quelque détail. Il s'approche de 'Domino Noir', puis il passe à 'Mission Song', cette précieuse rareté qu'il a achetée aux antipodes, et n'a qu'un pas à faire pour atteindre 'Zone d'Ombre' devant lequel il s'accroupit pour en examiner les barbes dorées. 'Buongiorno Aprile' est à côté, tendrement rose, poudré comme une vieille marquise ; il en compte les boutons, note cette information sur son petit carnet, et s'agenouille devant la tige pour en mesurer commodément la hauteur. Il revient devant 'Zone d'Ombre', s'arrête longuement, apprécie le velouté des pétales, leurs vaporeuses ondulations, leur tendre teinte mauve, laisse passer l'heure de retrouver l'en-cas qui l'attend dans un cabas. La pluie, le soleil n'interrompent pas sa contemplation. Mais il sait déjà quelles plantes il va acquérir cet année pour accroître sa collection. Il attend les rhizomes qui viennent de Russie, de Pologne, d'Italie, d'Australie...Il a dépensé pour eux plus qu'il serait raisonnable, mais il ne regrette rien si ce n'est de n'avoir point passé commande en Ukraine et en Slovaquie où il s'est entiché de variétés nouvelles qu'il ne pourra admiré que dans une année.

Lorsque l'ombre va s'allonger et masquer peu à peu les couleurs il reviendra chez lui, fatigué, affamé, mais ravi de sa journée : il aura vu des iris.

Illustrations : 


'Fürstin Pauline' (Görbitz – Allemagne – 1997) 
 


 'Zone d'Ombre' (Ruaud – France – 2012) 


'Buongiorno Aprile' (Romoli – Italie - 1996)

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