3.10.14

KIR (Fleur du Mois)

On m'a toujours appris qu'il fallait se montrer modeste et éviter de parler de soi. Mais pour une fois je vais faire une exception et évoquer ce mois-ci, du premier iris que j'ai enregistré et pour lequel j'ai, naturellement, une certaine tendresse. Il s'agit de 'Kir' (Ruaud, 2001).

Il y a maintenant longtemps que j'ai été séduit par la variété 'Beghina' obtenue par Gina Sgaravitti, en Italie dans les années 1940. Je l'avais vue dans le jardin de Noël Guillou, à Caussade, quand je suis allé lui rendre visite en 1991, et j'ai été très content qu'il puisse m'en donner un morceau. Planté chez moi, cet iris s'est remarquablement installé et, depuis, fleurit immanquablement tous les ans et se multiplie en masse. Ce qui m'a plu, c'est le coloris étrange, d'un gris clair, sans doute pas très spectaculaire, mais franchement original. Cela m'a donné l'envie de tenter d'obtenir à mon tour des iris gris. Mais en partant d'une variété ancienne, j'avais beaucoup plus de chances d'obtenir des rejetons « dans le style ancien » que des semis d'allure moderne. Je m'y suis risqué quand même. Mes premiers résultats ont été conformes à ce que je pressentais : des iris gris, certes, mais avec des fleurs d'apparence plus proche de celle des variétés des années 50 que de celles des années 80 avec lesquelles j'avais croisé 'Beghina'. Le croisement hasardeux (Beghina X Illulisat (1) ) m'a donné un iris de bordure gentiment dentelé, blanc pur avec une barbe orangée. Malheureusement cette jolie fleur n'a pas passé son premier hiver... Le croisement (Beghina X Sky Hooks) a été plus généreux. Il y a eu dans le lot plusieurs iris gris, certains même d'un riche gris bleuté, mais porté par des fleurs inintéressantes ou des plantes faiblardes. Une seule plante s'est révélée tout à fait correcte. Elle tenait beaucoup, pour ce qui est de son coloris, de son parent mâle, 'Sky Hooks', et la fleur elle-même était élégante, largement ondulée, avec des boutons bien disposés le long de la tige. Je l'ai gardé et je lui ai donné le nom de 'Kir'. Pourquoi ? Trouver un nom pour un iris est souvent difficile. La plupart des obtenteurs vous le diront. Pour certain c'est même un véritable casse-tête. En l'occurrence j'ai cherché un nom hors du commun, qui résume, en quelque sorte, l'iris qui le porte. La description officielle que j'en ai donnée est la suivante : « S. golden chartreuse yellow ; style arms mustard and mauve ; F. golden chartreuse yellow, mauve flush below orange beard », soit, en français : « pétales jaune chartreuse doré ; bras du style moutarde et mauve ; sépales jaune chartreuse doré, infusion de mauve sous les barbes orange. » Ce jaune teinté de vert, cette goutte mauve, cela m'a fait penser à l'apéritif célèbre : deux doigts de bourgogne aligoté et une larme de liqueur de cassis.

Voilà pour la genèse de 'Kir', et pour son nom. J'étais assez loin de mon projet d'iris gris, le plus sombre possible. Je ne suis jamais arrivé à obtenir ce que je souhaitais (mais je n'y ai sans doute pas mis tout l'acharnement et toute la persévérance nécessaires). Mais j'avais du moins un bel iris, d'un coloris peu fréquent, bien sous tous rapports. La vie nous entraîne souvent fort loin de nos intentions initiales !

'Kir' a été fidèle pendant plusieurs années, jusqu'au jour où il a été atteint de pourriture et où j'ai failli le perdre. J'ai réussi à le sauver et il est reparti, mais avec une vigueur bien moins nette, et depuis il ne se multiplie que tout doucement. Heureusement plusieurs amateurs m'ont fait le plaisir de s'intéresser à cette rareté et je sais qu'il pousse dans quelques jardins où il est en bonne santé. Non loin de chez moi, un ami le cultive et la touffe est devenue énorme, avec des fleurs qui n'ont jamais atteint chez moi la même ampleur : le cordonnier n'est pas toujours le mieux chaussé !

 'Kir' mène une carrière confidentielle, comme bien des variétés obtenues par des amateurs. Je n'ai pas cherché à lui assurer une progéniture, mais il a un « neveu » dont je suis également fier, 'Zone d'Ombre' (Ruaud, 2012), surprenant amoena inversé à barbes orange, qui descend de 'Iriade' (Laporte, 2004) par son côté paternel. Quant à 'Beghina', il m'a également donné une variété agréable, 'Mauvais Genre' (Ruaud, 2012), qui est un enfant du plicata 'Queen in Calico' (Gibson, 1980). Celui-là, qui n'a, au demeurant, rien de révolutionnaire, a attiré ma compassion par sa volonté inébranlable à fleurir dans les pires conditions : planté sans ménagement dans un espace mal aéré, trop près d'un crataegus envahissant, il manifeste une vigueur peu commune. Pour le récompenser, je l'ai déplacé et installé à un endroit beaucoup plus favorable où il prospère désormais à son aise.

Illustrations : 

 'Kir' 


'Beghina' 


'Zone d'Ombre' 


'Mauvais Genre' 

(1) 'Illulisat' (Muska, 1995) Unicolore blanc glacier, barbes mandarine, éperons bleus.

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