7.11.14

ALLEGRO MA NON TROPPO

Dans l'interview qu'il m'a accordée et qui a été publiée ici récemment, Keith Keppel faisait remarquer que l'apparente injustice qui a marqué la carrière iridistique de Richard Ernst pouvait être attribuée à la surabondance de variétés apparemment très proches les unes des autres. Il disait notamment : «  ces similitudes ont entraîné une dispersion des votes, et par conséquent, pour chaque variété, un gain de voix insuffisant pour obtenir une récompense. » De mon côté, dans la note biographique consacrée à George Sutton, publiée ici en août 2013, je disais, à propos de son palmarès : « les récompenses majeures y sont très rares et sans commune mesure avec l’étendue de la production. » et je faisais un rapprochement avec le sort réservé à Richard Ernst. Aujourd'hui il est évident que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut appliquer à George Sutton les conclusions concernant Richard Ernst. Trop de bien peut donc nuire !

Tous ceux qui côtoient le monde des iris depuis un certain temps ont remarqué que, depuis quelques années, le nombre de variétés nouvelles mises sur le marché chaque année s’accroît considérablement. Il fut un temps où les plus importants producteurs proposaient au maximum une quinzaine de variétés chaque année. C'était le cas de Schreiner, par exemple. Mais les entreprises plus petites se contentaient d'inscrire à leurs catalogues cinq ou six nouveaux iris, souvent moins. En 2014 Schreiner est passé à 19 nouveautés, et Mid-America (Black et Johnson) atteint le chiffre record de cinquante !! C'est ahurissant. Chez Cayeux, en France, on est à 18 nouveaux TB, ce qui est déjà bien important. A côté, chez Keppel et Sutton, avec seulement 9 TB parmi les nouveautés, on est dans une situation différente.

Il faut préciser que la situation de Sutton est particulière. A la suite de la mort de ses parents, Michael Sutton, qui a repris le flambeau, a choisi de déménager. Cette année est donc une année de transition, en effet au cours des années précédentes les nouveautés avaient été bien plus nombreuses : par exemple, en 2012 la famille Sutton avait enregistré 20 TB (et un certain nombre d'autres iris dans les différentes catégories). Les années précédentes, la situation était à peu près la même. On est donc en présence d'une entreprise familiale de taille moyenne mais qui met sur le marché beaucoup de nouvelles plantes chaque année. Avec une conséquence immédiate : les récompenses majeures sont très rares. Pensez que les Sutton père et fils ont enregistré à ce jour plus de 500 variétés et qu'ils n'ont été récompensés que par une trentaine de HM et moins de dix AM, la variété la plus prisée étant 'Devonshire Cream' (1999). Pourtant les iris signés Sutton qui, par certains traits, font un peu penser à ceux de Joë Ghio, n'ont pas la réputation de fragilité de leur modèle. Ils poussent bien et ne font pas parler d'eux par leurs caprices. Mais si on leur applique le raisonnement tenu pour ceux de Richard Ernst, ils sont trop nombreux et se ressemblent trop. Pour illustrer cette affirmation, je ne prendrai qu'un exemple : les variegatas jaune/bleu (ou violet). C'est un modèle que la famille Sutton affectionne. On en trouve plein dans son catalogue. Pour la seule année 2012, il y en a cinq. Lorsque les juges vont passer devant toutes ces variétés, ils en retiendront certaines, mais pas toutes, et en fin de compte chacune n'aura obtenu que peu de votes et elles risquent toutes de passer à côté du jackpot. Voilà pourquoi, toutes catégories confondues, les Sutton n'auront reçu en 2014 que deux AM et six HM...

Le cas de Black et Johnson (Mid-America) pourrait faire douter de la théorie défendue ci-dessus. Leur bilan 2014 est tout à fait saisissant : 4 médailles catégorielles (BB, IB, SDB, Arilbred), 14 AM (toutes catégories confondues), et 47 HM !!

A noter que pour les iris de Barry Blyth, qui ne sont pas tous sur le marché américain, la question des awards n'a pas la même importance, mais il pourrait leur arriver la même mésaventure que celle qui frappe les iris Ernst ou Sutton, car je trouve, et depuis de nombreuses années, qu'ils sont trop nombreux à être retenus et commercialisés.

En se limitant comme il le fait, Keppel applique une politique sérieuse et réfléchie : d'une part il reste dans ce que sa petite entreprise peut raisonnablement faire si elle veut être rigoureuse dans sa sélection ; d'autre part il évite de disperser les votes des juges, ce qui contribue, d'année en année, à lui maintenir un haut taux de récompenses. Prenons le cas de l'année 2014 : Une médaille catégorielle (celle des MDB), huit AM (dont 5 pour les TB), et quinze HM. Ce n'est pas mal pour un seul homme.

Pour conclure, je dirai que l'opinion de Keith Keppel est certainement l'expression de la réalité, même si il peut arriver, comme c'est le cas pour Mid-America, qu'elle soit battue en brèche. Mais peut-être va-t-il arriver aux variétés Black et Johnson ce qui est arrivé à d'autres. Cela n'aurait rien d'étonnant, tant il est vrai qu'à trop offrir, on se disperse. Il vaut sûrement mieux aller « allegro ma non troppo ».

Illustrations : 


'Devonshire Cream' (Sutton G., 1999) 

'Fiery Echo' (Sutton M., 2012) 


'Hawaiian Sunrise' (Sutton M., 2012) 

'Lightsaber' (Sutton M., 2012)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je rajouterais une note toute personnelle en signalant que Keppel n'a pas d'intérêt commercial aussi poussé que Sutton, Black, Johnson ou encore Blyth. Il travaille en partenariat très étroit avec les autres hybrideurs mais l'on voit bien, rien qu'en feuilletant son catalogue très peu illustré et très sommaire, que son but premier n'est pas de canarder tous azimuts de nombreux iris mais bien de se départir d'un système commercial qu'il partage de moins en moins.
J'avoue que pour ma part Keppel a toujours été le numéro un de l'hybridation, il sait parfaitement doser ces ingrédients, sa connaissance encyclopédique des iris qu'il utilise en croisement et cette liberté de créer sans but lucratif allié à un savoir-faire que je qualifierais presque de don et on obtient des iris toujours tirés à quatre épingles, pas flemmards, suffisamment modernes sans être aguichants, bref, des iris de haute-volée.

Encore un immense bravo à lui.

Sébastien

gerard a dit…

Les créations de Sutton n'ont certes pas toute la reconnaissance qu'elles méritent. Trop nombreuses ? Sans doute, mais aussi un turn over rapide au niveau du catalogue où il est parfois difficile de retrouver des iris crées 3 ou 4 ans plus tôt.
Enfin le système de récompenses ne serait-il pas à revoir ? Il y a une très grande différence entre l'appréciation globale très élogieuse des iris de Suttton sur Internet et les récompenses obtenues. Bien sûr rien ne peut remplacer le jugement d'un iris "in situ" mais le système que décrit Sylvain, souffre à l'évidence d'une carence manifeste.

Anonyme a dit…

Si Paul Black et Tom Johnson rafflent maintenant autant de récompenses c'est parce que Paul a peu à pau compris que pour se faire remarquer, il fallait que les iris soient distribués dans un maximum de jardins différents dans tous les états des Etats Unis et ainsi être vus par beaucoup de juges qui ne pourraient pas se permettre de parcourir la totalité du territoire de la federation. C'est ainsi que le médailles tombent là-bas!

Loïc