14.11.14

ANGES OU DÉMONS

Étudier les noms donnés aux iris (comme aux autres plantes, d'ailleurs) fait partie des choses qui m'intéressent et m'amusent. Choisir un nom, cela fait appel à l'inconscient autant qu'au conscient et, à son énoncé, on peut le plus souvent déduire la couleur ou l'aspect de la variété. Ainsi, lorsqu'un nom contient le mot « angel » (« ange » en anglais), on peut être à peu près certain que la fleur qui le porte est partiellement ou totalement blanche. Un ange peut-il être d'une autre couleur que le blanc ? A l'inverse, la couleur du démon est beaucoup moins évidente. Sombre, sans doute, mais pas forcément noire.

Ce rapprochement spontané n'est cependant pas apparu dès le début de l'hybridation par la main de l'homme et la dénomination des cultivars. Dans la Check-List des années 1940, par exemple, je n'ai pas trouvé un seul nom commençant par « angel » ou « ange ». La mode, si mode il y a, n'a débuté qu'avec les années 1950. Cela peut s'expliquer, peut-être, avec l'apparition d'un nombre croissant de noms comportant deux mots : cela permet d'exprimer un concept un peu plus élaboré, et par conséquent de se lancer dans une évocation faisant appel à un ressenti ou à une réflexion. Voilà sans doute la raison de l'apparition de noms mettant en avant le concept de l'ange et, parallèlement, celui de la pureté, de la blancheur. Le premier TB dont le nom comporte le mot « angel » est sans doute 'Angel Face' (Tompkins, 1953), et ce n'est pas celui d'un iris blanc ! Cette variété est un plicata dans les tons rosés sur fond blanc. Elle est suivie de peu par 'Angel's Flight' (Jenkins, 1955), en blanc infus de vert aux pétales.

Dès les années 1960, le nombre des iris dont le nom comporte le mot « angel » ou ses dérivés, s'accroît rapidement. Deux variétés bien connues de cette époque sont 'Christmas Angel' (DeForest, 1959) et 'Flight of Angels' (Terrell, 1968), toutes deux en blanc. On peut citer, dans les années suivantes, 'Angel Unawares' (Terrell, 1970), frère de semis du précédent, puis 'Angel Choir' (Schlieffert, 1970). 'Heavenly Angels' (Gatty, 1979), plus ivoire que blanc, descend de 'Angel Unawares'.

Dans les années 1980, les « angels » sont nombreux. 'Unknown Angel' (Mahoney, 1985) en fait partie. Et plus le temps passe, plus les obtenteurs font appel au mot « angel » : 'Song of Angels' (Schreiner, 1991) entame une série poursuivie quelques temps par la maison de Salem, avec 'Smiling Angel' (1994), 'Queen of Angels' (1995) et 'Porcelain Angel' (2003). D'autres obtenteurs s'y sont mis, y compris Monty Byers  avec 'King of Angels' (1996), et Barry Blyth avec 'Some are Angels' (1996). Plus récemment 'Angel Wings' (Linda Miller, 2005), 'Face of an Angel' (Paul Black, 2007), 'Johnnie's Opal Angel' (Christopherson, 2009), continuent de filer la métaphore.

Cependant tous les « angel » ne sont pas blancs ! Le rose et le bleu évoquent aussi, pour certains, la pureté angélique. C'est notamment vrai pour Nate Rudolph et son 'Pink Angel' (1973), ou pour Keith Keppel et son 'Guardian Angel' (2005), tous deux en rose, alors que penchent pour le bleu Graeme Grosvenor avec 'Azure Angel' (1994), et son compère australien Barry Blyth avec son 'Maybe an Angel' (1996).

Plus exceptionnels sont les 'Angel's Blush' (Pinegar, 1994), en chamois, et 'Wild Angel' (Tom Johnson, 2006), en « distallata ». Mais lorsqu'on passe à des coloris sombres, ce sont plutôt les anges déchus qui sont mis en scène, comme c'est le cas pour 'Avenging Angel' (Williamson, 1984), brun rouille, pour 'Earth's Dark Angel' (Nicholson, 1998) ou 'Ebony Angel' (Larry Johnson, 2000). On est alors plus proche de l'enfer que du ciel.

Et quand les hybrideurs parlent d'enfer, ils le font pour des iris chez qui on voit passer le feu, comme c'est le cas pour 'Inferno' (Schreiner, 1975) ou 'Infernal Fire' (Gerald Richardson, 1994). Le diable, lui, est moins noté, question couleur, que ses frères du ciel. Certes il y a surtout du rouge sombre, voire du noir, mais on trouve aussi des couleurs plus fraîches : 'Be a Devil' (Blyth, 1988), 'Rustling Devil' (Farrington, 1996) et 'Devil's Kiss' (Bruce 2010) sont grenat foncé, mais 'Devil's Own' (Blyth, 2002) est couleur cuivre, et 'Devil's Waltz' (Lynn Markham, 2010) est violet améthyste, et l'on trouve même un 'Innocent Devil' (Cadd, 2003), blanc. La boucle est bouclée...

On vient de voir que les notions d'ange ou de démon ne laissent pas les obtenteurs d'iris indifférents. Ils y trouvent un sujet d'inspiration pour les noms qu'ils donnent à leurs nouveautés. Et ces noms reproduisent ce que chacun, au fond de soi, ressent à l'évocation des ces notions. Une prochaine fois on fera la même recherche pour deux autres notions, voisines, qui sont celles de ciel (dans le sens de « paradis ») et d'enfer.

Illustrations : 


'King of Angels' 


'Queen of Angels' 


'Ebony Angel' 

'Be a Devil'

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