6.3.15

DE LA BEAUTÉ

Contentons-nous de parler de la beauté des iris, puisque ces fleurs constituent ce qui nous intéresse ici.

La beauté des iris, ou l'idée que nous nous en faisons, a bien changé au cours du temps. Il s'agit d'une évolution équivalente à celle de tout ce qui est considéré comme beau. La beauté d'Agnès Sorel, la maîtresse du roi Charles VII, ferait-elle aujourd'hui se pâmer ses contemporains ? De même dirait-on maintenant qu'est belle la reine Marie-Antoinette, avec ses vêtements extravagants et ses fards outranciers ? Les canons de la beauté sont intimement liés au phénomène de mode et c'est vrai pour les iris comme pour les êtres humains. Mais dans le cas de notre fleur préférée un paramètre supplémentaire est à prendre en compte : les progrès de l'horticulture.

Prenons une variété comme 'Anne-Marie Cayeux' (Cayeux, 1928). Voici ce qu'on trouve à son sujet dans le compte-rendu des travaux de la Commission des Iris de 1933 : « Il n'existe rien de semblable à cette variété dans les iris ; grande fleur, très jolie forme et de bonne consistance, ensemble du coloris héliotrope rosé ; divisions supérieures à peine nuancées de fauve, les inférieures éclairées au centre, rappelant le coloris gorge de pigeon. Un grande amélioration des plus distinctes dans les iris depuis longtemps. » Une fleur du même genre était en compétition pour le premier trophée Franciris, en 2000. En effectuant son premier tour parmi les plantes à juger, le jury, à l'unanimité, a suivi son président, le Pr. Gambassini, et éliminé ce candidat, sans autre forme de procès. La fleur était « démodée » ! Qu'en était-il de sa beauté intrinsèque ? Personne n'a songé à en tenir compte. Cela ne remet pas en cause les qualités de 'Samsara' (Ransom, 1996), qui l'a emporté cette année-là, mais on peut être certain que ce même 'Samsara' ne serait pas consacré aujourd'hui ! Cette fleur n'a rien perdu de sa beauté et des qualités qui lui ont valu sa récompense, mais la mode a évolué et les juges y sont forcément sensibles : ils ont dans leur esprit une autre idée de la beauté, où la modernité tient plus de place que la beauté proprement dite.

La beauté est donc liée au temps et, en matière d'iris, aux progrès de l'hybridation. Ce sont, à ce stade, les hybrideurs eux-même qui influent sur ce qui est la beauté. Ils établissent leurs croisements en tenant compte des caractères qu'ils veulent obtenir ou reproduire, et, au moment de la sélection, ils choisissent les variétés dont les fleurs ont des formes ou des couleurs qui sont dans l'air du temps. Prenons l'exemple des fleurs à éperons. Pendant des années ces appendices ont été considérés comme des monstruosités et les plantes qui les portaient ont été impitoyablement éliminées. Puis un jour un hybrideur a estimé que cela pouvait être esthétique et il en a mis certaines sur le marché. Ce fut la même chose avec les iris qu'on désigne sous- le vocable de « broken colors » faute de leur avoir trouvé une désignation en latin horticole acceptée par tous.

Mais à ce niveau intervient une autre composante : l'opinion des amateurs. Celle-là est plus difficile à cerner. Il arrive que l'adhésion des collectionneurs à ce que certains considèrent comme beau est lente à intervenir. Il faut tenir compte de la résistance au changement et bien des éléments nouveaux sont considérés comme laids pendant des années avant que, l'habitude aidant, ils soient enfin adoptés. D'autres au contraire ont immédiatement du succès. Iris à éperons (ou rostratas) et iris à couleurs brouillées (ou broken colors) ont eu du mal à être reconnus ; alors que les fleurs à pétales bouillonnés se sont imposées dès leur apparition. Ce fut le cas pour 'Sea Power' (Keppel, 1999) ou 'Decadence' (Blyth, 2004).

Voilà donc la beauté future sélectionnée par les hybrideurs inspirés, puis installée par les amateurs. C'est suffisant pour faire le succès des bêtes à concours, mais cela ne garantit pas l'enracinement des variétés qualifiées de belles par les « professionnels de la profession » dans les choix du public. Bien souvent on a remarqué que des variétés appréciées des personnes qualifiées n'ont pas eu le même accueil de la part des acheteurs. Et n'oublions pas que ce sont ces derniers qui permettent au petit monde des iris d'exister et à la recherche d'avancer. Pourquoi 'Silk Road' (Keppel, 2007), fleur récompensée à Florence, qui réunit tous les traits de l'élégance, du bon goût et, en un mot, de la beauté est-il resté si discret, alors que 'Gypsy Lord' (Keppel, 2005), de la même écurie et de la même génération a tout de suite atteint des sommets dans les votes de popularité ? Le public ne juge pas la beauté avec les mêmes règles que les autres intervenants dans ces appréciations, c'est pourquoi, par exemple, les iris primés au concours de Munich – où les juges patentés n'interviennent pas, n'auraient sans doute pas obtenu les mêmes résultats devant un jury de professionnels.

La beauté des iris s'apprécie donc à trois niveaux : celui des obtenteurs, celui des juges (et des collectionneurs) et celui du grand public. Il peut y avoir de sérieuses différences, mais, en fin de compte, une sorte d'équilibre s'établit et une tendance générale apparaît. Ce qu'on considère comme la beauté suit donc l'évolution de la mode car ce qui est déclaré comme beau à un moment n'obtiendra plus la même appréciation quelques temps plus tard. C'est une autre application de l'adage « ainsi passe la gloire du monde »...

Illustrations :

'Anne Marie Cayeux''  


'Samsara' 


'Decadence' 


'Silk Road'

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