26.7.15

N'OUBLIONS PAS LES FONDAMENTAUX ! (Deuxième partie)

Dans un précédent texte a été abordée la revue des variétés fondamentales de la famille des grands iris. Elles étaient cinq, mais, au fur et à mesure que j'en faisais brièvement le portrait, je me suis rendu compte que certaines autres méritaient tout autant de ne pas sombrer dans l'oubli. C'est pourquoi je reviens aujourd'hui sur le sujet. C'est même dès le début que je me suis dit qu'il fallait aller au-delà des cinq variétés retenues. En effet peut-on parler de 'Whole Cloth' sans dire un mot de ses deux alter ego que sont 'Melodrama' et 'Emma Cook' ? En route, donc, pour un nouveau tour d'horizon.

 'Melodrama' et 'Emma Cook' ou les cousins indissociables. 

 Dans le but d'améliorer le coloris bleu dont il s'était fait une spécialité, Paul Cook a fait usage de son petit 'Progenitor'. Après plusieurs croisements et recroisements, la souche (Progenitor X Shining Waters) qui s'est révélée être un vrai trésor génétique, fut enfin mariée au rose orchidée 'Dreamcastle' (Cook 43). Le résultat : un iris agréablement ondulé, avec des pétales d’un bleu violacé clair qui va en s’assombrissant jusqu’au violet vif, sur les sépales. En prime ce semis était une plante de belle taille, bien branchue et avec de nombreux boutons. Il fut baptisé 'Melodrama' (Cook 56).

 Une autre série de croisements utilisant les mêmes géniteurs – et quelques autres – donna naissance à 'Emma Cook' (Cook, 1957) qui est le plus clair des deux : les pétales sont d’un blanc à peine bleuté, de même que les sépales qui comportent un large liseré en dégradé de bleu s’intensifiant vers le bord (l’effet d’inhibition généré par 'Progenitor' s’est étendu largement sur les sépales), il est légèrement ondulé.

 'Melodrama' est à l’origine d’une foule d’iris bitones, bicolores ou plicatas, soit en ligne directe, soit par l’intermédiaire de ses descendants. Il existe plus de 220 variétés dans le pedigree desquelles figure le nom de 'Melodrama', ce qui laisse supposer que des centaines (voire des milliers) d'iris portent ses gènes. Quant à 'Emma Cook', il est présent dans le pedigree de nombreuses variétés très diverses, dont l'inépuisable 'Condottiere' (Cayeux, 1978) dont il a été question la dernière fois, mais plus particulièrement dans celles qui, comme lui, comportent une large inhibition de la couleur sur les sépales, si bien qu'on parle couramment des fleurs du modèle Emma Cook.

 En fait, parmi les variétés basiques, peut-être aurait-il été plus justifié de citer 'Progenitor' puisque c'est celle-là qui a apporté la révolution. Mais j'ai trouvé préférable de distinguer ses trois descendants principaux, chacun ayant eu une lignée distincte.

 'Pinnacle' et 'Sunset Snows', ou l'apport de Nouvelle-Zélande. 

Emily Jean Stevens est une dame néo-zélandaise à qui le monde des iris doit beaucoup. C'est elle qui a créé les deux variétés dont il va être question maintenant parce qu'elles ont constitué un apport magistral dans la recherche des amoenas jaunes et roses.

 Le premier, 'Pinnacle' (1945), est resté très longtemps la référence en matière d’amoena jaune. Son pedigree s'écrit (Magnolia X (Gudrun x (Lady Morvyth x Rangatira))), ce qui ne dit rien puisque, seul parmi ses antécédents, le blanc 'Gudrun' (Dykes, 1934) a atteint une certaine célébrité en enlevant la Médaille de Dykes britannique dès 1931. Des trois autres on n'a pas de descriptions officielles. Toujours est-il que son introduction sur le marché américain par la famille Schreiner a permis son utilisation en hybridation par de nombreux obtenteurs à la recherche d'amoenas autres que blanc/bleu. Parmi ses enfants ou petits-enfants on trouve, certes, des amoenas jaunes, comme 'Serene Duet' (D. Palmer, 1976), mais aussi de nombreux amoenas pèche, rose ou orangés, comme 'Delicato' (Schreiner, 1972), obtenus en le croisant avec une variété rose. Le second, 'Sunset Snows' (1963), dérive de 'Youthful Charm' (Stevens, 1961) lui même provenant d'une base amoena jaune associée à une variété rose.

'Sunset Snows' est un amoena rose pas franchement pur, mais faisant faire un grand pas en avant dans une matière réputée immensément difficile. Il a donné naissance notamment à 'Ambrosia Delight' (Niswonger, 1982) et 'Festive Skirt' (Hutchings, 1973). Il se trouve aussi derrière 'Sugar Magnolia' (Schreiner, 1998). Mais surtout il est la base de l'immense travail, pas encore achevé, de Barry Blyth sur ce sujet qui lui tient tant à cœur.

 'Mary Randall' ou comment voir la vie en rose 

 À comparer les images de 'Cherie' (D. Hall, 1948 – DM 1951) et de 'Mary Randall' (O. Fay, 1950 – DM 1954) on se dit que l'hybridation des iris roses a avancé à pas de géants. Le premier a une forme simple, basique, et une couleur un peu fade ; le second est le type parfait de l'iris classique, d'un rose franc et soutenu. Dès son apparition, tout le monde des iris s’est rendu compte qu’un grand pas avait été franchi dans les progrès de l’hybridation. Il se présente en fait comme un iris rose vif, infus de crème, avec des barbes oranges. Mais quand on dit « rose », il s’agit de ce rose que les Américains appellent « pink » et que l’on n’a pas de mot équivalent pour définir. Un rose bleuté, à qui l'on peut prêter le nom de rose orchidée. Il a fleuri pour la première fois au printemps de 1948. Son pedigree se décline : (New Horizon X (Pink Cameo x Cherie)). A son propos son obtenteur a écrit quelques années plus tard : « J’ai su aussitôt que j’ai vu la première fleur, que cette plante était exactement celle que je voulais… combinée avec 'Snow Flurry', 'Pink Cameo', 'Fleeta' et 'Native Dancer', elle est à l’origine de tous mes bleu-mauve à barbes rouges…elle est porteuse d’assez de gènes rouges pour produire de l’orange en la croisant avec des jaunes issus d’une lignée de roses. » Effectivement, dès la première génération on lui trouve des enfants dans ces différents coloris sans compter le blanc. Et avec le temps sa descendance directe s'est considérablement accrue, au point qu'on trouve sa trace dans le pedigree de 345 variétés enregistrées, ce qui est un des plus forts taux d'utilisation de tout l'irisdom. Ce qui veut dire qu'il ne doit pas se trouver beaucoup de variétés modernes qui ne compte pas 'Mary Randall' parmi leurs ancêtres.

 Il n'est pas exagéré de dire que 'Mary Randall' mérite bien sa place au firmament des variétés de base du monde des iris d’aujourd’hui, aux côtés de toutes ces merveilleuses variétés dont il est question dans cette chronique et celle qui l'a précédée. Il a fait voir la vie en rose à tant de monde !

 'Black Forest' ou le côté noir du rêve. 

 « Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve » (Charles Baudelaire : La Chevelure). 

 La plupart des iris noirs, ou tendant vers le noir, descendent aujourd’hui d’une variété de base qui se nomme 'Black Forest' (Schreiner 1945). Cette variété a partagé avec 'Sable' (Cook 1938) le titre de « l’iris noir », du fait de l’intensité de son coloris. 'Sable' s’est révélé être une sorte d’aboutissement, car ses descendants, hormis 'Sable Night' (Cook, 1950), n’ont pas manifesté un réel progrès par rapport à leur géniteur sauf en direction d’autres sortes d’iris foncés. En revanche 'Black Forest' a démontré un puissant avenir génétique qui a été utilisé plus de cent fois aussitôt après son apparition.

Le noir a toujours été une des couleurs favorites de la Firme Schreiner et en 2008, à propos de 'Raven Girl', le « noir » de l'année, on lit dans son catalogue que cette variété est qualifiée « d’aboutissement de la lignée vieille de 63 ans qui a commencé avec ‘Black Forest’ ». Sur les origines de ce ‘Black Forest’ lui-même, voici ce qui en est dit dans « The World of Irises » : « Les Schreiner ont croisé ‘The Black Douglas’ avec un semis sombre issu d’une lignée de rouges, et de ce croisement a résulté ‘Ethiop Queen’, introduit la même année que ‘Sable’ de Paul Cook. ‘Ethiop Queen’ croisé avec ‘Dymia’, a donné ‘Black Forest’, de taille un peu courte mais avec un ton de noir d’une profondeur inconnue chez les eupogons. » Les Schreiner ont tout de suite compris ce qu’ils pouvaient espérer de ce ‘Black Forest’. Ils en ont exploité habilement les aptitudes et furent suivis en cette voie par de nombreux obtenteurs.

C'est cette universalité qui place 'Black Forest' dans le peloton des variétés fondamentales car le rêve de Baudelaire s'est toujours vérifié.

 'Wild Jasmine' et 'Fancy Tales' ou les couleurs de l'étrange. 

 Ces deux variétés ont en commun d'être à l'origine de cultivars aux coloris hors des sentiers battus. 'Wild Jasmine' (Hamner 83) est un variegata-plicata avec des pétales jaune soutenu, couleur qui est aussi celle du fond des sépales, lesquels sont couverts d’un tissu brun-rouge, plus sombre au centre, alors que la couleur du fond, presque blanche sous les barbes, réapparaît en lisière. Ce fut une des variétés essentielles de la recherche de Richard Ernst qui en fit un usage intensif associé à 'Edna's Wish' (Gibson 83). 'Fancy Tales' (Shoop, 1980) se présente avec des pétales blancs et des sépales en dégradé rayé de mauve violacé avec des épaules pêche. Ils n'ont rien de commun. 'Wild Jasmine' vient de deux variegata-plicatas très proches l’un de l’autre et d’ailleurs l’un et l’autre descendants de 'Radiant Apogee' (Gibson 64), alors que 'Fancy Tales' et relié à 'Wine and Roses' (Hall, 1963) à travers plusieurs générations de semis riches en amoenas roses.

Ils sont à mettre l'un et l'autre dans la catégorie des iris fondamentaux pour être à la base de deux modèles apparus seulement au début des années 2000 mais qui ont suscité une rare émulation chez les hybrideurs. Il s'agit du modèle « distallata » et de son proche voisin qui n'a pas de nom de baptême mais que je définis comme « distallata + ». « Distallata » désigne des iris sur fond blanc (ou presque) s’agrémentant d’une couche centrale de couleur, qui peut être du jaune ou de l’orangé clair, à laquelle s’ajoutent de fines rayures sombres, partant de la barbe et s’étirant plus ou moins vers le bord. L'autre modèle a, d'origine, des pétales blancs finement ourlés de jaune primevère, et des sépales à fond blanc, légèrement poudré de grenat, bordés de jaune primevère, mais au fur et à mesure que le temps passe et que les croisements se multiplient, le jaune s'assombrit et la couleur vive du centre des sépales change et s'étale. Autrement dit la coloration de base est la même dans les deux cas mais ce qui n'est que fines rayures chez l'un devient beaucoup plus marqué et coloré chez l'autre. Au départ, c'est 'Prototype' (Ghio, 2000) qui a donné le coup d'envoi, suivi de 'Puccini' (Ghio, 1998) et de 'Quandary' (Keppel, 2001) avec la base 'Fancy Tales', tandis que 'Ring Around Rosie' (Ernst 2000) a lancé l'autre modèle en utilisant 'Wild Jasmine'. A partir de 2006, avec 'Wild Angel' (T. Johnson) le modèle distallata d'origine s'est rapproché du modèle distallata +, tandis que Roger Duncan, avec 'Arctic Burst' (2008) arrivait a un distallata + en partant de 'Puccini' ! Il ne restait plus qu'à mélanger le tout. C'est ce qui est arrivé avec 'Scatterbrain' (T. Johnson, 2008) qui est de Ring Around Rosie X Quandary.

 Désormais les deux origines risquent de se fondre dans un modèle intermédiaire, mais l'on ne sait pas si elles vont par ailleurs se maintenir. En tout cas 'Wild Jasmine' et 'Fancy Tales' auront bien mérité de figurer au Panthéon des iris.

Illustrations : 


 'Black Forest' 


'Fancy Tales' 


'Pinnacle' 


'Wild Jasmine'

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