1.1.16

OMBRE ET LUMIÈRE

On parle abondamment de nos jours des variétés dites "luminata", un peu moins de celles qualifiées de "umbrata". Dans les deux cas on est en présence d'une forme particulière de répartition des pigments anthocyaniques sur les sépales. Le premier type désigne une fleur où ces pigments s’étalent sur le plat des sépales, en laissant vierges les barbes, les épaules ainsi qu’une zone plus ou moins vaste sous les barbes, et vont en s’estompant plus ou moins autour des veines, en fonction de la virulence des gènes inhibiteurs du développement de l’anthocyanine. Le second type désigne des iris dont la couleur générale est claire, essentiellement aux pétales, mais aussi sur la partie extérieure des sépales, avec au centre de ces derniers une large tache de couleur sombre; un peu comme ce que l'on voit sur les iris arils oncocyclus qui ont pour caractéristique de porter à cet endroit un "signal" plus ou moins large tirant sur le noir, ou tout au moins sur le marron foncé.

Keith Keppel, dans un article dont la traduction a été publiée ici en 2004, écrit ceci: "Chez les luminatas il y a un étalement de couleurs (celles qui sont solubles dans l’eau comme chez les plicatas), sur le plat des sépales. Il y a une tendance à ce que cet étalement soit plus léger, voire absent dans les parties veinées. Il y a une tendance à ce que le bord des pétales soit dépourvu de pigments hydro-solubles. C’est tout à fait évident chez des variétés comme 'Spirit World', très difficile à distinguer chez d’autres. Il y a toujours une surface bien déterminée autour des barbes où il n’y a pas un seul pigment hydro-soluble, pas un seul point, et les barbes n’ont aucune trace de bleu ou de pourpre." A propos des "luminatas" moderne Keppel ajoute : "Les veines claires sur des sépales presque complètement colorés se transforment en larges bandes ou veines, avec des îlots de pigment plutôt qu’une véritable pigmentation."

C'est là la description très précise d'un maître en la matière. Un autre exégète de l'irisdom, Chuck Chapman, sur son site, donne cette autre définition, plus concise, mais qui va dans le même sens : "(...) la couleur du fond, des styles et des barbes est la même ; une surface aux épaules et autour des barbes doit être exempt de toute marque plicata."

 C'est effectivement un modèle que l'on rencontre souvent parmi les dernières obtentions, parce qu'il est devenu à la mode, même si j'ai constaté que de nombreux pépiniéristes, dans leurs catalogues, qualifient de "luminata" des variétés qui n'en ont point les caractères.

Keith Keppel prend pour modèle de base sa variété 'Spirit World' (1992) dont il donne, officiellement, une description quelque peu ésotérique, et dont le pedigree est difficile à déchiffrer. Cet iris remarquable a eu une importante descendance, et Keppel lui-même ne s'est pas privé de l'exploiter. Ainsi on trouve parmi ses obtentions 'Moonlit Water' (2004) et 'Teenybopper' (2008). Le premier cité est au pedigree de 'Fancy Ideas' (2012), tandis que le célèbre 'Monmartre' (2007), descend d'un de ses frères de semis. De son côté, 'Teenybopper' est le père du tout récent 'Celtic Tartan' (2014). Un frère de semis de 'Spirit World', 'Mind Reader' (1992), lui-même vrai luminata, est à l'origine de 'Fancy Dress' (1997).

Du même tonneau que 'Spirit World' est sorti une variété qui a eu encore plus de succès en hybridation : 'Fancy Woman' (1994).En effet, si Keppel lui-même n'en a retenu que des IB (au demeurant magnifiques), un grand nombre d'obtenteurs s'en sont servi, et notamment plusieurs hybrideurs d'Europe de l'Est et de Russie, notamment le génial Anton Mego ('Song for Fatima' – 2014).

On a regardé, là et en partie seulement, du côté de Keith Keppel – parce que c'est mon hybrideur favori ! - , mais il ne faut pas négliger l'excellent travail de Joë Ghio ('Stage Lights' -1998, 'Double Click' – 2000), Donald Spoon ('Daughter of Stars' – 2000), Larry Lauer ('Making Time – 2013), Lowell Baumunk ('Elizabethan Age' - 2005) et de bien d'autres.

Aujourd'hui le modèle luminata fait partie des classiques.

Le modèle "umbrata" fait encore discussion, même s'il a des origines fort lointaines. Roberto Marucchi, dans un commentaire su le blog de son compatriote Angelo Garanzini, en donne une définition sobre mais convaincante : "Le gène "umbrata" (ou les gènes "umbrata" car je ne suis pas sûr que cela dépende d'un seul gène) provoque la réduction partielle ou totale de l'anthocyanine sur les pétales et sur les bords des sépales. La réduction peut être partielle parce que le gène "umbrata" peut être en compétition avec le gène qui accroît l'anthocyanine. Le bord décoloré peut être plus mince ou plus ample en fonction des divers types de gènes ou des interférences avec d'autres gènes." Dit comme cela, malgré tout, on ne voit pas très bien ce que cela donne. On peut résumer en disant que c'est en quelque sorte le contraire du modèle luminata, mais ce n'est pas tout à fait exact. Il faut voir une photo pour bien se rendre compte : par exemple celle de 'Yosemite Sam' (Spoon, 1999).

C’est Barry Blyth qui a développé avec le plus de bonheur une souche d’iris umbrata. Il y est parvenu tout d’abord avec ‘Magharee’ (1983), même si le côté obscur n’est pas absolument convaincant car trop clair, à mon avis. Ce ‘Magharee’ a eu une certaine descendance, mais dans celle-ci seuls ‘Exclusivity’ (Innerst, 1999) et ‘Opal Brown’ (Duane Meek, 1996) ont retrouvé (ou à peu près) les traits du modèle. Deux descendants de ‘About Town’ (Blyth, 1996), lui-même mauve avec gros spot prune, méritent d’être cités : ‘Lily my Love’ (Blyth, 1999), un peu terne, et ‘Coffee Whispers’ (Blyth, 1999) lui, bien dans la ligne. Mais c’est sans doute ‘Mastery’ (Blyth, 2000) et ses descendants 'Indulgence' (2002), 'Gypsy Lady' (T. Johnson, 2012) ou 'Skirting the Issue' (Schreiner, 2014), qui renouent le mieux avec le modèle. 'Hold my Hand' (Blyth, 2003), d'une autre origine, présente tout à fait les traits du modèle, et c'est encore plus vrai pour son descendant 'Strawberry Freeze' (T. Johnson, 2012).

D'autres hybrideurs ont eu la bonne surprise d'obtenir des umbratas sans que cela ait certainement été le but de la recherche. C'est, semble-t-il, le cas pour 'Yosemite Sam' déjà cité, mais aussi, chez le même obtenteur, 'Plum Pretty Whiskers' (2003) ou 'Mary Adele' (2013). Enfin, pour terminer ce bref tour d'horizon, saluons l'obtention de Luc Bourdillon qui s'appelle 'Splendeur des Tropiques', qui vient seulement d'être enregistrée, mais qui le mérite depuis longtemps.

En entreprenant cette étude, je m'attendais à trouver une trace d'iris aril dans les pedigrees des umbratas, mais je n'ai rien découvert de tel. Il est vrai que l'apport des arils dans les grands iris actuels est, pourrait-on dire, imperceptible. Quoi qu'il en soit le modèle umbrata est intéressant en ce qu'il apporte au jardin une note colorée tout à fait originale.

 Illustrations : 


 'Spirit World' 


'Song of Fatima' 


'Yosemite Sam' 


'Strawberry Freeze' 


'Splendeur des Tropiques'

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