4.3.16

LES PETITS MAÎTRES DES ANNÉES FOLLES

Les années 1920/1930 ont été outrageusement dominées par la personnalité – et le talent – de Ferdinand Cayeux. Cependant ce grand personnage, admiré partout dans le monde, n'était pas le seul dans le microcosme français des iris. Certes son principal concurrent, Philippe de Vilmorin, associé à son alter ego Séraphin Mottet, avait quitté ce monde en 1917, et laissé béante un vaste espace, mais d'autres hybrideurs tentaient de se faire une place au soleil.

 Commençons par dire deux mots d'un obtenteur dénommé Bouscant. Il n'est pas facile d'obtenir aujourd'hui des précisions concernant ce personnage. J'ai découvert qu'il s'agissait de Alexandre Bouscant, horticulteur à Fontenay aux Roses. Cet homme bien oublié de nos jours s'est intéressé aux iris, et, dans les travaux de la Commission des Iris de 1933, le Secrétaire de la Commission, J.M. Duvernay, cite parmi les variétés remarquables du moment un iris nommé 'Frida', forte plante aux fleurs bitones bleu dauphin aux pétales et violet moyen aux sépales, avec des barbes jaune safran. Le nom de Bouscant apparaît une seconde fois dans celui d'une variété de la Maison Millet baptisée 'Mme Cécile Bouscant' (1923), variété tétraploïde de couleur rose orchidée. Il semble que la renommée de cet hybrideur n'ait pas atteint les États-Unis d'Amérique : ni « The World of Irises », ni Clarence Mahan n'y font allusion.

 Un autre petit maître peu connu est Auguste Nonin, horticulteur à Châtillon sous Bagneux. Il était beaucoup plus réputé pour ses chrysanthèmes et surtout ses roses. 'Madame Auguste Nonin' est un rosier que l'on trouve encore aujourd'hui. Mais il avait aussi un intérêt pour les iris (il a fait partie de la Commission des Iris, en 1926) et quelques-unes de ses obtentions ont été remarquées, comme 'Odette Olivet' (?), unicolore rose mauve vif, mêlé de lilas, 'Marie-Louise', (1918), mauve, 'Candeur' (1933), blanc comme son nom le laisse à penser, ou 'Fraîcheur' (1933), plicata blanc de porcelaine, teinté et marginé de rose magenta.

 On franchit un niveau quand on passe aux autres confrères de Ferdinand Cayeux. En effet qu'il s'agisse de Fernand Denis ou de Millet père puis fils, on a affaire à des hybrideurs internationalement connus.

 Fernand Denis était déjà un irisarien chevronné au début des années folles puisqu'il avait 62 ans en 1920 et que ses premiers iris datent des années 1900, comme 'Troost' (1904). J.M. Duvernay dans l'ouvrage pré-cité dit de lui : « M. Denis, qui a tant contribué à l'amélioration du genre Iris, et à qui nous devons la série de magnifiques hybrides de Ricardi (…). » Ce patriarche de l'hybridation vivaient à Balaruc-les-Bains, sur l'étang de Thau, non loin d'où demeure Jean Ségui, autre hybrideur réputé. Son haut fait d'arme est d'avoir fait usage dans ses croisements de Ricardi qui est la version horticole de l'espèce I. mesopotamica. Convaincu que les grosses fleurs de cette espèce devaient apporter un progrès dans l'hybridation des iris, il avait pratiqué ce croisement interspécifique I. mesopotamica X I. germanica sans savoir qu'il unissait deux plantes au nombre de chromosomes différent et qu'avec un peu de chance il allait transférer la tétraploïdie de son Ricardi aux variétés diploïdes et provoquer ce qu'on a désigné sous le nom de « révolution tétraploïde ».

 Le plus fameux des descendants de Ricardi est sans doute 'Mme Chobaut' qui est déjà une variété ancienne au moment de début de cette chronique puisque enregistré en 1916. C. Mahan le décrit ainsi : « un fond de couleur jaune calcédoine qui devient blanc sur les sépales. Ses pétales sont teintés et liserés de rouge violacé clair, et ses sépales sont veinés et striés de rouge violacé. » D'autres variétés issues avec certitude de Ricardi se nomment 'Andrée Autissier' (1921), indigo clair, 'Melle Schwartz' (1916), mauve pâle, ou 'Blanc-Bleuté' (1922), bleu glacier. Ce dernier devait avoir une descendance illustre puisqu'on y trouve 'Missouri' (Grinter, 1932 – DM 1937), 'Chivalry' (Wills, 1943 – DM 1947) et 'Blue Sapphire' (Schreiner, 1953 – DM 1958), le gratin des iris bleus en quelque sorte.

Parmi les autres intéressants cultivars, il faut faire une place à 'Ochracea Caerulea' (1919), dont le nom latinisant ne doit pas faire oublier qu'il ne s'agit pas d'une espèce d'iris, mais d'une variété utilisée largement en hybridation par les confrères de F. Denis, dont F. Cayeux lui-même.

Avec plus de 150 variétés à son inventaire, Fernand Denis est un hybrideur important.

La famille Millet, avec Armand, le père, et Lionel, le fils, est l'autre versant de la concurrence à Ferdinand Cayeux. Compte tenu de sa renommée, il est sans doute un peu injuste de la classer parmi les « petits maîtres ». Mais elle ne se situe néanmoins pas au niveau de la Maison Cayeux qui, à l'époque, plantait déjà chaque année plus de 6000 semis !

Le plus important des iris obtenus à Bourg-la-Reine, par Armand Millet est sans conteste 'Souvenir de Mme Gaudichau' (1914) ainsi baptisé pour rendre hommage à Armandine Rosalie, fille de l'obtenteur, veuve à 34 ans et décédée à 44. Ce superbe tétraploïde dans les tons de bleu violacé a eu un impact considérable sur le monde des iris, notamment parce que Mitchell l'a utilisé pour obtenir 'Santa Clara' (1931) et qu'à partir de là ses gènes se retrouvent dans la plupart des iris bleus actuels et, par retombée indirecte, dans de très nombreuses variétés dans toutes les couleurs possible. Plusieurs variétés remarquables sont sorties des jardins Millet au cours des années 1920/1930. A commencer par le célèbre 'Romeo' (1922), qui est un genre de variegata, décrit par ses auteurs comme « Iris à petites fleurs et fines tiges solides. Pétales d'un joli jaune citron ; sépales où se mêlent le mauve et le rouge violacé avec une gorge striée et griffée d'acajou sur un fond blanc ». Le nom de 'Madame Cécile Bouscant' a été évoqué plus haut, mais il faut ajouter que cette variété vivement appréciée aux USA est à l'origine de nombreux iris dans les tons de brun ou de cuivre.

Moins largement commercialisés que ceux de son confrère Cayeux, et victimes des destructions dues à la deuxième guerre mondiale, la plupart des obtentions de la Maison Millet de la période 1920/1930 ont disparu. On trouve encore 'La Bohémienne' (1926), étrange sorte de plicata veiné de rouge magenta sur fond blanc, 'Henri Rivière' (1927), variegata crème et mauve, 'Germaine Perthuis' (1924), magnifique fleur violette à barbes jaunes, et quelques autres dont, et surtout, 'Souvenir de Laetitia Michaud', bleu violacé, d'une forme considérée comme parfaite.

Ainsi le règne incontestable de Ferdinand Cayeux n'a pas été sans partage, et si ses concurrents sont aujourd'hui un peu oubliés, ils ont cependant été de valeureux hybrideurs dont il ne faut pas négliger le travail.

 Illustrations : 


 'Madame Chobaut' 


'Ochracea Caerulea' 


'La Bohémienne' 


'Germaine Perthuis'

Aucun commentaire: