12.8.16

LA FOI DU CHARBONNIER

Peut-on faire confiance aux renseignements fournis par les hybrideurs lorsqu'ils enregistrent une nouvelle variété ? C'est la question qu'on peut se poser après la lecture de l'article publié par Keith Keppel dans le dernier bulletin de l'AIS, et intitulé  « Ancestry.Iris ». Avec l'assentiment de l'auteur, en voici une traduction pour les lecteurs d'Irisenligne.

« La recherche généalogique en vue de retrouver les racines des familles est un passe-temps toujours populaire. En tant qu'hybrideur d'iris, vous voulez plus vraisemblablement connaître les racines des parents potentiels que vous envisagez d'utiliser pour votre programme de recherche, repérant leurs ancêtres pour évaluer quels traits ils sont susceptibles de transmettre à la génération suivante. A moins que vous ne soyez simplement curieux de savoir d'où viennent les iris que vous cultivez.

Quelle que soit leur motivation, les irisariens ont de la chance. Je ne connais pas une autre vivace de jardin disposant d'une somme équivalente de renseignements. Dans les années 1920, peu après la formation de l'AIS, a été commencé le travail de compilation d'informations sur les cultivars présents et passés. Maintenant, plus de 90 ans plus tard, il est possible de chercher les renseignements compilés et de bâtir les arbres généalogiques des variétés contemporaines en remontant de 25 générations ou plus jusqu'à l'espèce originelle ! Tout ceci est possible grâce à la prévoyance des fondateurs de la Société et au dévouement des ceux qui ont poursuivi les enregistrements.

 A partir de 1929, pour chaque décade, un volume relié (la check-list) a été publié listant l'information recueillie sur chaque cultivar : Hybrideur, description, notation de la mise éventuelle sur le marché (introduction), ainsi que le pedigree du cultivar, s'il est connu. Le contenu de chaque check-list est compilé depuis les dix livrets annuels (Registrations and Introductions – ou R&I) publiés pendant la décade.

Bien que dans les check-lists il y ait une incroyable masse d'informations, rien n'est jamais parfait. Ceux qui fouillent sérieusement dans les ancêtres d'une famille peuvent trouver que des renseignements manquent ou qu'une information est douteuse (paternité vraie, inconnue ou délibérément falsifiée, comme point de départ !). Vont suivre quelques points à prendre en considération quand on fait une recherche sur un iris.

Par exemple, l'espèce de base utilisée peut ne pas être tout à fait vérifiable. Quelle sorte de I. kashmiriana a été utilisée ? Il y a des plantes avec 24, 44 ou 48chromosomes qui circulent sous ce nom, et en plus on peut spéculer sur ce que les renseignements sur les origines du kashmiriana donné dans la première check-list sont dans l'erreur totale. La référence à « hybride de pumila » notée dans les premiers enregistrements peut être lue comme I. lutescens (chamaeiris) plutôt que comme le véritable I. pumila. D'autres questions se posent de savoir si une plante recueillie dans la nature est la véritable espèce ou un hybride naturel.

Avec les tout premiers iris hybrides, les renseignements peuvent ne pas avoir été notés ou bien les renseignements n'existaient plus quand on a commencé leur recueil en vue de la première check-list. La recherche de publications horticoles ou botaniques, couplée à une abondante correspondance avec les hybrideurs et les pépiniéristes de cette époque, ont donné quelques précisions, mais quand l'hybrideur a disparu il est souvent impossible de retrouver une information. (Avis aux hybrideurs : c'est pourquoi on vous demande une information aussi détaillée quand vous complétez le document d'enregistrement pour vos futures beautés !) Dans quelques cas, les hybrideurs ont pu avoir des réticences à indiquer la parentèle par peur de donner un information à leurs concurrents. Souvenez-vous, cela se passait à une époque où les croisements avaient lieu entre des espèces ou des plantes ayant été obtenues après une ou deux générations seulement : il y avait peu de variations – très peu de couleurs et de modèles – aussi, si quelque chose d'unique apparaissait il pouvait être tentant de garder le secret vis à vis de ses rivaux sur ses « recettes génétiques ». Heureusement, avec nos hybrideurs modernes et des hybrides complexes, dans la plupart des cas il s'agit de croisements tétraploïdes, plutôt que des croisements diploïdes, il y a un choix bien plus grand de possibilités de semis. La culture du secret est plutôt inconnue.

Malheureusement il est toujours possible de discuter de la falsification d'une information. Un hybrideur bien connu indiquait de faux parents pour beaucoup de ses introductions, et sur une période de plusieurs décades. Étudiant et analysant cette partie de ses enregistrements, qui existent toujours, on peut rétablir la véritable parenté de quelques uns, affirmer la légitimité d'autres, constater l'illégitimité de certains et ne pas être certain du reste. Il apparaîtrait que certains pedigrees ont été « mis à jour » pour les faire paraître plus complexes, plus récents ou plus vendables, tandis que d'autres ont été truqués pour retirer tout crédit parental à des variétés en provenance d'hybrideurs avec lesquels il était en concurrence.

 Les variétés utilisées dans un croisement peuvent elles-même être mal nommées. Pendant que j'étais greffier (registrar), j'ai posé une question à propos du nom d'un parent listé dans un questionnaire, il ne correspondait au nom d'aucune variété enregistrée. L'hybrideur m'assurait que le nom était correct... il m'a en fait envoyé la liste de ce qu'il avait acheté chez un marchand de bulbes bien connu. Il y avait six variétés, et pas une seule avec un nom régulièrement enregistré. (Noms de semis ou de variétés rebaptisés pour des raisons commerciales ?). Quand vous recherchez un enregistrement, sachez qu'un nom entre guillemets n'est pas considéré comme un nom enregistré de façon valide.

Il vaut beaucoup mieux pour un hybrideur dire qu'une parenté est inconnue plutôt que de mentir. Le manque de parenté n'interdit pas à un iris d'être enregistré, introduit sur le marché et éligible pour les honneurs. 'Stepping Out' (Schreiner,1964) a remporté la Médaille de Dykes en 1968, mais ses parents sont inconnus à cause d'un poulet qui est allé dans la planche de semis et a gratté un certain nombre d'étiquettes. Il provient d'un croisement enregistré, mais lequel ? Il y avait beaucoup trop de possibilités pour en designer seulement une.

 Des animaux peuvent souvent être le problème d'un cas de manque de parenté. Des oiseaux arrachent les étiquettes dans une planche de semis. Des escargots ou des limaces mangent le papier des étiquettes, ou bien des oiseaux les retirent des tiges peut-être en les confondant avec des papillons en vol. 'Flora Zenor' (J. Sass,1941), important iris rose historique est de parents inconnus parce qu'une sauterelle a grignoté son étiquette. Des corbeaux arrachent et mélangent des jeunes semis ( peut-être parce qu'ils s'imaginent qu'il y a un grain à la base de ce qu'ils prennent pour un jeune pied de maïs) ; les jeunes hémérocalles peuvent connaître le même destin. Jim Gibson a eu une année de nombreux croisements mélangés quand Go-Go, son chat, a sauté sur la table et renversé les caissettes où les graines étaient à sécher. Un mouton à la longe s'est égaré à Melrose Gardens et a traîné sa chaîne sur une planche, brisant les tiges des semis.

Vous pensez qu'on vous a tout dit ? Des enregistrements de Blodgett sont inconnus parce que quelqu'un s'est introduit dans un hangar et a volé une boîte à outils qui, au lieu d'outils, contenait le carnet d'enregistrement. Et un jour Neva Sexton a posé un de ses carnets d'enregistrement sur le pare-choc de sa voiture, et elle avait oublié ça quand elle est partie pour Bakersfield.

Une source d'erreur dans les enregistrements peut survenir si des graines sont plantées dans un sol ayant servi précédemment pour d'autres semis. Orville Fay racontait qu'il avait vu des iris noirs fleurir au milieu de croisements roses de Dave Hall. Il es notoire que les graines d'iris noirs mettent longtemps à germer et que des plantes peuvent apparaître après plusieurs années.

Prendre note des croisements peut être une corvée pour de nombreux hybrideurs, comme le dit Larry Gaulter dans une de ses lettres : « Désolé, je suis tellement négligent dans la notation de mes propres croisements. Après tout les croisements me semblaient plutôt matière à plaisir et je n'avais aucune idée de ce que cela pouvait représenter après des années de travail sur une lignée. Prendre des notes n'a jamais été ma tasse de thé. »

Il faut noter que des erreurs se glissent plus volontiers ( et sont plus difficiles à détecter et à corriger) quand on travaille avec de nombreux semis plutôt qu'avec des variétés identifiées. La dyslexie n'est pas rare, et avec l'âge peut survenir une conjugaison d'erreurs par confusion et perte d'une bonne vue. Il peut aussi y avoir des erreurs typographiques dans n'importe quel texte à imprimer.

Tout bien considéré, les recueils d'informations sur les enregistrements sont une source incroyable d'information et de réjouissance. Amusez-vous bien ! »

Soit, on peut suivre le conseil de Keith Keppel : il sait de quoi il parle puisqu'il a été responsables des enregistrements pour l'AIS pendant de longues années au cours desquelles il s'est acquis la reconnaissance et le respect des hybrideurs du monde entier. Peut-être restera-il néanmoins un certain doute dans l'esprit des obtenteurs procédant à l'enregistrement de leurs variétés. Et le doute pourrait également s'insinuer dans leur esprit quand ils choisissent les parents de leurs futurs croisements. Mais à mon avis ces craintes n'ont guère lieu d'être car elles ne pourraient concerner que de très peu nombreuses variétés et il n'est pas nécessaire d'avoir la foi du charbonnier pour croire à la sincérité des informations contenues dans les enregistrements des check-lists ou, aujourd'hui, des données informatiques de « Irisregister ».

 Illustrations : 
  

 'Bandeira Waltz' 


'Flora Zenor' 


'Lighted Within' 


'Spiced Cider'

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