30.9.16

BRUNO

En Grande-Bretagne, l'iridophilie n'est plus ce qu'elle était.Les hybrideurs y sont peu nombreux, et la BIS, la fameuse BIS, peine à renouveler ses cadres dirigeants. Ce fut pourtant une grande nation de monde des iris, notamment au début du XXe siècle.

 Parmi ceux qui ont fait sa grandeur et sa gloire, il y a Arthur J. Bliss, un fils de bonne famille qui a bourlingué comme savaient les faire les anglais à cette époque, puis est revenu au pays et s'est intéressé à la génétique et l'a appliquée aux iris. C'est lui (en 1917) le créateur du fameux 'Dominion', et chacun sait que l'apparition de cette variété a été, comme l'écrit Clarence Mahan (1), « un événement révolutionnaire dans l'histoire des iris de jardin ». C'est ce que l'on a appelé « la révolution tétraploïde ». Arthur Bliss n'a jamais été certain des origines de son 'Dominion'. Il a longtemps cru que le parent femelle était un certain 'Cordelia', obtention de Robert Parker, mais il s'est aperçu que la variété qu'il avait utilisée comme s'appelant 'Cordelia' n'était sans doute pas la vraie. Le cas du parent mâle, 'Asiatica' est tout aussi sujet à caution. L'iris que Michael Foster avait baptisé 'Asiatica' avait été récolté en Turquie (un peu comme le fameux 'Amas') mais plusieurs iris cultivés comme étant 'Asiatica' se sont révélés comme étant en fait des variétés baptisées 'Kharput' ou 'Fontarabie', voire même 'Amas' en personne ! C'est sans doute dommage que le doute se soit ainsi installé, mais cela ne change rien aux incontestables qualité de 'Dominion'. Bliss en a fait un usage intensif dans son programme d'hybridation. C'est ainsi que sont apparues des variétés aussi célèbres que 'Cardinal' (1919), 'Bruno' (1922), 'Romola' (1923) et 'Grace Sturtevant' (1926). C'est à 'Bruno' et à sa descendance que nous allons nous intéresser maintenant.

Si l'on est certain que 'Bruno' est bien un descendant de 'Dominion', on n'a aucune certitude quant au nom de son autre parent. A l'époque on n'était pas très exigeant dans l'enregistrement des pedigrees. On sait que c'est une sorte de miraculé puisque seulement deux graines se trouvaient dans le capsule dont il est issu (ce qui laisse à penser qu'il provient d'un croisement entre un tétraploïde – 'Dominion' – et un diploïde car ce type de croisement à la particularité d'être très peu fertile). C'est un iris très joli. Des couleurs douces, veloutées, comme on en obtenait à l'époque, une forme parfaite et une plante robuste et élégante. Les pétales beige teinté de mauve, jaune tendre au cœur, tranchent sans jurer avec les sépales d'un riche pourpre, plus clair au bord. C'est sans doute ces couleurs, puisque le pedigree n'est pas éloquent, qui ont incité ceux qui l'ont choisi a en faire usage en hybridation. Celui qui en a fait le plus grand usage est Ferdinand Cayeux. Parmi les variétés que ce grand maître en a obtenu, il y a notamment 'Député Nomblot' (1929), mais cet iris qui fut peut-être le plus réussi de son époque, n'a pas eu de descendance notable. En revanche 'Jean Cayeux' (1922), l'une des variétés les plus originales qu'on puisse encore trouver, est à l'origine d'un grand choix de variétés excellentes, de sorte qu'il figure dans le pedigree d'un très grand nombre des iris d'aujourd'hui. Pour en faire la démonstration, nous pouvons examiner une cascade variétale complète, qui s'arrête pour l'instant sur un cultivar bien moderne :'Dragon King' (Tasco, 2012).

De 'Jean Cayeux', arrivé très tôt aux Etats-Unis, on passe à un morceau de résistance, le fameux 'Tobacco Road' (Kleinsorge, 1941). C'est l'ancêtre de presque tous les iris bruns ou mordorés. De là on s'oriente vers 'Pantomime' (Babson, 1968). Un iris pour le moins original, d'un coloris un peu terne, mais qui a été très apprécié par de nombreux hybrideurs des années 1970. Un trait particulier de la lignée que l'on examine, c'est que les éléments qui s'y succèdent n'apparaissent qu'environ tous les dix ans. C'est plutôt rare, mais en l’occurrence, cela donne plus de limpidité. Le suivant, dans ces conditions, est 'Art of Raphael' (Zurbrigg, 1979). Comme on dit aujourd'hui, on est sur un iris qui ne paie pas vraiment de mine, qui n'a pas connu de succès commercial, mais qui a acquis la célébrité en étant choisi par Monty Byers pour être l'un des géniteurs du célébrissime 'Thornbird' (Byers, 1988), Wister Medal 1996, Dykes Medal 1997. 'Solar Fire' (Tasco, 2003) vient ensuite. Celui-là, produit de deux Dykes Medal ('Thornbird' et 'Golden Panther') a fait un tabac commercial à défaut de parvenir à la première place dans le course aux honneurs. Il a en effet tout pour plaire : des pétales jaune doré ombré de bronze, des sépales sang de bœuf veinés d'or sous les barbes et ceinturés d'un liseré or, et de longs éperons grenat. On reste dans les coloris rouges sombres avec 'Smoky Shadows' (Tasco, 2010), à la génération suivante. Rick Tasco fait partie des meilleurs obtenteurs actuels. Avec 'Smoky Shadows' il fait honneur à sa réputation : des pétales brun-brique doré, des sépales bordeaux comme un St Emilion, veinés d'or autour des barbes qui sont couleur bronze doré. Les années passent et on approche du temps présent. La dernière variété à apparaître dans cette lignée, c'est 'Dragon King' (Tasco, 2012). Celui-là est en route pour un gros succès commercial. C'est mérité pour cet iris très moderne, que l'on peut classer parmi les iris « à rayures » avec des sépales veinés de grenat foncé sur un fond couleur amarante.

A partir de 'Thornbird' on aurait pu revenir en France, et avec une étape intermédiaire de moins, puisque trois obtenteurs de notre pays l'ont choisi pour certains de leurs croisements. Il s'agit de Jean Peyrard, de Sébastien Cancade et de Jean-Claude Jacob. Le premier a enregistré 'Mon Prince' (2006), un « vrai » BB, le second a proposé 'Crème Frangipane' (2008), qui fait partie des tout premiers de ses enregistrements. Quant à J. C. Jacob, il en a fait usage au moins cinq fois et enregistré :
'Page La Salle' (2006)
'Guéréon' (2007) qui est à l'origine de 'Toul ar Sarpen' (2010)
'Moulin de Trévilis' (2008) qui a engendré le superbe 'Boutefeu' (2012)
'Stérec' (2008)
'Beg an Fri' (2013).
Il y a parmi ces iris des fleurs qui sortent de l'ordinaire comme ce 'Boutefeu', violet sombre, agrémenté de barbes jaune vif, ou 'Toul ar Sarpen', variegata classique mais aux sépales liserés de jaune et joliment ondulés.

 En huit générations seulement on est passé de 'Bruno', il y a presque cent ans, à un certain nombre de variétés ultra-modernes. C'est une performance car, en général, pour atteindre ce niveau de modernité, il faut bien compter une vingtaine de générations. Le cheminement génétique passe par des variétés d'apparence insignifiante, dans les tons de gris ou de brun, et d'autres, rutilantes, appréciées du public pour cela.

 'Bruno' fait partie des grands iris ; de ceux qui ont marqué leur époque, et que l'on ne perd pas de vue puisqu'ils ont transmis leurs gènes aux iris d'aujourd'hui.

Illustrations : 


'Bruno' 


'Député Nomblot' 


'Art of Raphael' 


'Boutefeu'

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