25.8.17

UN COEUR D'ACROBATE

Annette Peacock est une artiste de jazz dont la voix de mezzo distille dans les morceaux lents, une musique qui coule comme du miel. L'un de ses albums s'intitule « Un Cœur d'Acrobate ». J'ai pensé que ce titre pouvait aussi convenir pour parler d'iris. Mais quels iris ? C'est quoi, un cœur d'acrobate ?

J'imagine qu'un acrobate ne peut pas avoir le cœur de tout le monde. C'est forcément un cœur exceptionnel, « gros comme ça » pourrait-on dire. Alors, pour en revenir aux iris, quel peut être le point commun ? Y a-t-il des iris qui ont un cœur particulier ? Et en quoi peut-il être particulier ? Voici quelle peut-être la réponse à ces questions.

Le cœur d'une fleur d'iris, c'est cette partie un peu secrète qui se situe autour du point d'attache des pétales et des sépales, l'endroit par où passe tout ce qui constitue la raison d'être de la fleur : le nectar qu'elle fabrique pour attirer les insectes fécondateurs, le filament parti du grain de pollen qui a réussi à s'implanter sur la lèvre collante du stigmate pour s'enfoncer vers la cavité ovarienne à travers le tube pollinique. C'est le carrefour de la vie. On le voit assez mal lorsqu'on examine une fleur car souvent les pétales le dissimule et c'est la barbe qui retient l'attention. Le style, cet accessoire pétaloïde qui porte le stigmate abrité sous sa crête et qui, aussi, protège l'étamine comme sous un parasol, se distingue parfois du reste de la fleur en prenant une teinte qui lui est propre, soit qu'elle s'assortit à celle des pétales, soit qu'elle préfère rejoindre la couleur des sépales. Mais la couleur des sépales, justement, peut être différente à cet endroit de ce qu'elle est sur le reste, et c'est là que le cœur de l'iris peut être exceptionnel.

Le phénomène est spécialement marqué chez les iris plicatas. On sait que l'apparence unique de ceux-ci résulte de l'action d'un gène qui, avec plus ou moins d'intensité, inhibe le développement des pigments anthocyaniques. Il agit à la fois sur la coloration des sépales et sur celle des pétales, et aussi sur celle des styles. Et c'est sa virulence qui occasionne l'infinie variété des couleurs et de leur répartition sur les plicatas. Un plicata classique -'Cross Stitch' par exemple – se présente avec des sépales centrés de blanc et marqués de pointillés violet, de plus en plus vifs et denses à mesure qu'on s'approche du pourtour, et des pétales où le violet n'est que légèrement décoloré vers le centre, en négligeant les veines qui gardent leur coloration. Et que deviennent les styles ? En l’occurrence ils ne sont pas touchés par l'action du gène inhibiteur et ils restent profondément violets. Mais tous les plicatas ne se présentent pas comme cela. Ainsi chez 'Inner Darkness' les sépales sont presque totalement décolorés, alors que les pétales ne le sont pour ainsi dire pas. Alors que sur 'Stitch in Time' la couleur se réfugie à peu près équitablement sur le seul pourtour des pétales et de sépales, tandis que sur 'Lightly Seasoned' on ne voit presque plus rien à l'exception de quelques plumetis sous les barbes. Ce sont là quelques dispositions particulières des couleurs, mais il y en a énormément d'autres !

L'action blanchissante du gène plicata a un certain mal à s'exercer sur les styles. C'est la partie qui lui résiste le mieux. Il existe bien sûr des variétés où il réussit à s'imposer partout. Comme chez 'Needlecraft'. Mais il existe aussi des iris dont les styles restent parfaitement colorés. Ce sont ceux-là les plus intéressants et les plus originaux.

En cherchant parmi les milliers de photos d'iris qui dorment dans mon ordinateur, j'ai trouvé, tout de même une trentaine de variétés qui présentent cet aspect particulier. L'origine du phénomène n'est pas d'aujourd'hui ! Regardez l'antique 'Parisiana' (Vilmorin, 1911), un plicata diploïde des débuts de l'hybridation artificielle. Dix ans plus tard, Arthur Bliss a obtenu 'Princess Osra' (1921) dont les styles sont pareillement restés colorés. Et si l'on se rapproche de nos jours, il est possible de découvrir une ou deux lignées d'iris modernes auxquelles on peut rattacher la plupart des variétés en cause. C'est d'abord chez Gordon Plough que ça se passe. On peut en fixer le début avec 'Saigon' (1960) et son descendant 'Viet-Nam' (Plough, 1966). Le très célèbre 'Tea Apron' (Sass, 1960), une des variétés fétiches de Keith Keppel, est une autre souche pour ces iris originaux. Les deux origines sont réunies, d'ailleurs, chez 'Jakarta' (Plough, 1966) et, bien sûr, le modèle s'en est trouvé renforcé. D'ailleurs 'Jakarta' X 'Viet-Nam' = 'Punjab' (Plough, 1971), autre variété du modèle, et 'Tea Apron' X 'Stepping Out' = 'Sentry' (Noyd, 1970), belle démonstation ! Et on peut continuer : 'Sentry' X 'Punjab' = 'Raziza' (Plough, 1975) et 'Blue Staccato' X 'Raziza' = 'Orinoco Flow ' (Bartlett, 1989), lequel est, à mon avis, le parfait exemple de ce que cette double lignée peut donner...

'New Tomorrow' (Sexton, 1981) est une autre déclinaison de 'Tea Apron' et il est lui-même au pedigree de 'Hidden Surprise' (Durrance, 1985).

Quant à 'Sterling Flurry' (Innerst, 1991), il semble n'avoir aucun lien avec les précédents, cependant en cherchant bien on découvre parmi ses ancêtres un certain 'Happy Meeting' (Lyon, 1953) qui se révèle un sérieux vecteur du modèle en question. Cela passe par 'Charmed Circle' (Keppel, 1968) et cela donne 'Etiquette' (Keppel, 1981) autre démonstration du modèle.

On peut se demander d'où vient 'Patriotic Heart' (Maryott, 2001), l'un des plus récents exemples. Apparemment son pedigree ne plaide pas en faveur d'une origine commune aux précédents. C'est également le cas de deux « francs-tireurs » : le BB 'First Contact' (Spoon, 1997) et le TB australien 'Gentle on the Eye' (Grosvenor, 2008), mais ce n'est pas celui de 'Wheels in Motion' (Christoferson, 2006) qui est relié à 'Charmed Circle'.

Il n'est pas possible d'analyser le cas de tous les iris plicatas bleus au cœur sombre, car ils sont vraiment trop nombreux. Retenons seulement l'existence prouvée de la lignée Plough et, dans une moindre mesure, de la lignée Keppel. C'est dire si ces cultivars sont en général de bonne famille. Ils démontrent qu'il n'y a pas que dans le monde du jazz que l'on trouve des coeurs d'acrobate.

Iconographie : 

'Parisiana' 


'Sentry' 


'Hidden Surprise' 


'Orinoco Flow' 


'Etiquette' 


'Patriotic Heart'

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