22.12.17

AUDACE ET SENSIBILITÉ

L'hybrideur avec lequel, jusqu'à ce jour, j'ai eu le plus de contacts, c'est Lawrence Ransom, qui nous a quitté il y a un peu plus d'un an. De ces échanges nombreux il me reste le souvenir d'un homme d'abord difficile mais profondément sensible et chaleureux. « Droit dans ses bottes » (comme certains ont dit), il a suivi sans dévier un chemin rocailleux dont étaient bannis compromission et esprit mercantile. Il en a résulté une œuvre d'obtenteur exigeant ; et ce qui est remarquable c'est combien les variétés qu'il a obtenues et enregistrées sont l'exact reflet de son personnage et l'expression de son bon goût. Dans sa terre du Sud-Ouest il a obtenu des iris splendides et rares par leur élégance et leur chic. Des fleurs qu'il désirait « dainty » et que l'on peut qualifier de « glamour ». Il ne s'est pas contenté de la culture, facile, des grands iris, ni même de celle moins galvaudée des variétés naines, mais il s'est aussi consacré à celle, délicate, des iris arils et des croisements interspécifiques inédits. C'est en ce domaine qu'il a fait preuve d'audace et contribué de la meilleure façon à sa renommée dans le petit monde des iris.

 Sensibilité et audace sont donc, à mon avis, les termes qui qualifient le mieux ce personnage peu commun.

Pour ce qui est de la sensibilité, elle apparaît particulièrement dans ses grands iris de jardin (TB). J'ai cultivé plus de la moitié de ses obtentions (grands iris et iris nains standards) et je ne m’en suis jamais lassé. 'Opera Bouffe' (1991), 'Claude Louis Gayrard' (1995), 'Samsara' (1996), et surtout 'Désiris' (1993) font partie des variétés que j’aimerais emporter sur mon île déserte. Ce sont des iris qui n'ont pas obtenu la diffusion qu'ils auraient méritée, mais à mes yeux le fait que leur distribution ait été aussi confidentielle ne fait qu’ajouter à leur valeur.

 'Opéra Bouffe' date de 1991, au tout début de sa carrière. Il est de ('Debby Rairdon' X 'Spirit Of Memphis' ), un croisement qui n'a rien de révolutionnaire, mais le produit affirme déjà la spécificité de son auteur : une fleur parfaitement proportionnée, délicatement ondulée, avec une matière charnue assurant une longue tenue, le tout sur une plante saine et vigoureuse. 'Claude Louis Gayrard', quatre ans plus tard, démontre que Lawrence a parfaitement assimilé les règles de base de l'horticulture. Son iris allie le modèle amoena inversé à un « self » prestigieux ('Edge Of Winter' X 'Mystique' ). Le résultat est un délice de perfection formelle et de délicatesse des couleurs. 'Samsara' (1996) ('Caroline Penvenon' X 'Catalyst') a retenu l'attention des juges du premier concours Franciris. Il y a obtenu le premier prix : une récompense parfaitement méritée pour ce joli jaune clair florifère et prolifique. 'Desiris' (1993) ('Beverly Sills' X 'Soap Opera') est l'exemple parfait d'un iris totalement réussi. Taille de la fleur, coloris, ondulations, frisures, tout est là en justes proportions. C'est pour une fleur comme celle-là qu'on regrette que la Médaille de Dykes ne soit pas accessible aux variétés non américaines.

Jusqu'à la fin le travail de Lawrence Ransom a été de cette qualité. Prenez 'Chloé Ransom' (2010), ce descendant de 'Clause-Louis Gayrard' a conservé le chic de son « père » et en adoucit encore le coloris. Et 'Manon Anna' (2015), qui fait partie de sa dernière sélection, maintient ses choix en matière de couleur et d'ondulations. Je vois dans ces iris les qualités que j'ai appréciées précédemment chez Joë Gatty et que je découvre aujourd'hui dans les premières obtentions enregistrées d'une hybrideuse française, Bénédicte Habert (plus connue sous le pseudonyme de Lisa Héméra).

Mais Lawrence Ransom ne s'est pas contenté de produire des grands iris magnifiques. Il a, plus encore, travaillé sur d'autres catégories d'iris barbus (MDB, SDB, MTB, IB), ce qu'il est le seul obtenteur français à avoir fait, et, bien plus difficile, sur les arils, arilbreds et species issus d'oncocyclus et Regelias. Tout cela avec la même exigence de perfection. Pour ce travail exceptionnel, la BIS, dont il fut membre, s'honorerait de lui attribuer sa plus prestigieuse médaille, la « Foster Memorial Plaque » qui distingue les plus remarquables personnages de l'irisdom.

Ses recherches dans le domaine des arilbreds nous valent aujourd'hui de pouvoir admirer ses obtentions issues de 'Vera', un cultivar brun-rouge et violacé issu d'un croisement de deux espèces du groupe des Regelias, I. korolkowii et I. stolonifera. A partir de 1996 et jusqu'à sa disparition Ransom a croisé et recroisé les descendants de 'Vera', avec des résultats qui devaient le combler. Depuis 'Eastern Dusk' (2010) jusqu'à 'Refosco' (2010) et 'Sleazy' (2012) il y a une dizaine de variétés qui réjouissent les amateurs de ces iris à la subtile beauté.

La disparition prématurée de Lawrence Ransom a privé le monde des iris de l'un de ses membres les plus originaux. Anglais de naissance, français d'adoption, il a su marier les deux cultures ; imaginatif et perfectionniste, il nous a donné des fleurs parmi les plus belles qu'on puisse trouver.

 Iconographie : 


 'Opéra Bouffe' 


'Désiris' 


'Chloé Ransom' 


'Manon Anna' 


'Eastern Dusk' 


'Sleazy'

1 commentaire:

gerard a dit…

Je partage tout fait ton jugement. Désiris est pour moi un "must".