18.2.18

LA PART DES AUTRES

En réponse à un compliment que lui faisait Jérôme Boulon, Keith Keppel a écrit cette belle phrase : « None of us "starts" anything, we just build on what others have wrought » soit, en français : « Personne d'entre nous ne démarre quoi que ce soit, nous construisons sur ce que d'autres ont amorcé. » C'est une remarque d'une grande exactitude en même temps que d'une remarquable modestie. On n'attendait pas moins de celui qui est aujourd'hui le plus « capé » et le plus talentueux des hybrideurs.

 C'est reconnaître que l'hybridation n'est pas le travail d'un homme isolé. Ce n'est pas pour autant un travail collectif. Chacun ajoute une pièce à un édifice qui a été amorcé il y a bien longtemps par d'autres qui avaient mis leur science et leur imagination à créer ce qui fut leur pièce. Et cet édifice n'est jamais terminé car d'année en année tous ceux qui pratiquent l'hybridation poursuivent le travail. Cela me fait penser à la rivière qui coule depuis des millions d'années, qui parcourt dans le temps le même chemin, en modelant ses rives, modifiant son cours, déposant ses sédiments sur son passage, un jour à un endroit, le lendemain les reprenant pour les placer ailleurs. Ce n'est pas Clara Rees qui a inventé les ondulations des tépales d'iris. Elle a récolté, par hasard et chance, les avancées de ses prédécesseurs. La touche personnelle qu'elle a mise dans la construction a été de choisir les parents et de provoquer l'assemblage de chromosomes qui devait aboutir à ces ondulations qui ont séduit tous les amateurs de l'époque et qui font maintenant intimement partie de notre vision des iris.

Dans sa réponse à Jérôme Boulon qui lui disait qu'il semblait avoir une affection particulière pour 'Silk Road' (2007), Keppel a rectifié en disant que tout cela venait plutôt de 'Sea Power', le parent mâle de 'Silk Road', en ajoutant : « Je devrais plutôt faire remarquer que 'Sea Power' est originaire d'une pure lignée Schreiner (1) et qu'on ne peut trouver rien de meilleur que ça dans les lignées de bleu/blanc/violet. » Ce qui est une attitude vraiment fair-play dont je ne suis pas sûr qu'on puisse trouver l'équivalent dans les relations entre hybrideurs de notre pays.

Quoi qu'il en soit, la phrase de Keith Keppel me fait penser à un cas de partage entre hybrideurs qui a eu des résultats de premier ordre. Richard Cayeux, dans son livre « L'Iris, une Fleur Royale », a raconté comment il a rapporté de chez George Shoop, en 1981, un peu du précieux pollen de 'Delphi' (Shoop, 1979) qui, déposé sur 'Condottiere', a donné naissance à un semis bleu-blanc-rouge, mais insuffisamment contrasté, qui n’est connu que sous son numéro (8109 A), et comment, recroisé avec d’autres descendants de 'Condottiere', il est à l’origine d’une série exceptionnelle de variétés tricolores. Voilà un exemple de collaboration fructueuse et de partage généreux. Mais l'histoire des iris est pleine d'autres anecdotes de ce genre et certains hybrideurs des années d'or (Paul Cook, Orville Fay...) sont connus pour leur générosité vis à vis de leurs confrères.

Il n'est pas nécessaire cependant d'attendre le bon vouloir d'un collègue pour poursuivre le travail entrepris par celui-ci. On peut même dire que tous les hybrideurs ont fait un jour usage de variétés obtenues par d'autres et que ce n'est que grâce à ce travail antérieur qu'ils ont réalisé leur objectif. A titre d'exemple, on peut parcourir le pedigree d'une variété moderne comme 'Urluberlu' (R. Cayeux 2012). Elle provient du croisement (Bord de Mer X Belle Hortense) où 'Bord de Mer' (R. Cayeux, 2009) est un fils de 'Chevalier de Malte' (R. Cayeux, 1997), qui est lui-même le fils de 'Whirl Around' (M. Hamblen, 1986), et derrière ce dernier il y a d'une part 'Anon ('J. Gibson, 1974), d'autre part 'Porta Villa' (J. Gibson, 1972). Le premier a pour ancêtre 'April Melody', et le second en est le descendant direct. 'April Melody' est un géniteur utilisé par une foule d' hybrideurs partout dans le monde et une bonne illustration de ce qu'on ne crée rien sans recourir au travail d'un autre.

Le travail d'un autre est bien souvent le moteur de l'activité d'un hybrideur ; parce qu'il se sent inspiré par un sujet ou une variété en particulier. C'est ainsi que les iris de Blyth ont largement inspiré ses confrères partout dans le monde, et en particulier en France ou, par exemple, Alain Chapelle a utilisé le fameux 'Decadence' (Blyth, 2001) pour un grand nombre de ses créations. C'est le cas pour 'Arabesque Pourpre' (2013), 'Blanche Sultane' (2015), 'Cap vers le Large' (2011), 'Caresse d'un Soir' (2010), 'Coeur de Framboise' (2011), 'Divine Symphonie' (2015), 'Fleur de Lumière' (2011), 'Fleur du Désert' (2010), 'Grenat des Iles' (2011), 'Lueur d'Azur' (2011), 'Plume d'Ange' (2010), 'Rêve de Paix' (2010) et 'Reflets Epicés' (2016). A ce rythme de mauvaises langues diraient qu'il s'agît d'idolâtrie ! Mais il est évident qu'Alain Chapelle n'est pas le seul à avoir eu cette synergie puisque 'Decadence' a eu à ce jour plus de 500 descendants dans tous les pays où l'on s'occupe d'iris !

Enfin on ne peut pas terminer ce commentaire sans rappeler les échanges réciproques qui ont lieu entre Keith Keppel et Barry Blyth. Depuis de nombreuses années ces deux-là traversent chaque année l'océan Pacifique pour entreprendre ensemble un admirable travail, et leur collaboration est éminemment fructueuse. Combien de variétés signées Blyth apparaissent dans les obtentions de Keppel et combien d'iris de Keppel sont à l'origine de produits imaginés par Blyth ? La liste en serait bien trop longue.

 Tous ces exemples confirment que la création des iris hybrides s'avère bien être ce que Keppel en dit : «On ne démarre rien, on construit sur ce que d'autres ont amorcé. » 

 (1) Pedigree de 'SeaPower' = (Yaquina Blue X Jazz Me Blue) 

Iconographie : 


 'Silk Road' 


'Delphi' 


'Urluberlu' 


'Fleur de Lumière'

1 commentaire:

Tauzin a dit…

J'avais déjà remarqué dans le listing de l'A I S cette véritable création : Dornspiel que j'aimerai bien acquérir . Pourrait on savoir si quelqu'un la possède,ou si sa collection n'est pas été rachetée après le décès de Muska . Pour moi il serait vraiment dommage que cette variété disparaisse . Elle me parait particulièrement exeptionnelle de part sa bordure très frisée , un vrai joyau comme on en voit si peu . Il faudrait peut etre lancer des appels,ça pourrait rendre un très bel hommage pour cette incroyable création qui je crois peut apporter beaucoup encore en hybridation .
D.Tauzin