25.6.18

LA VOIE VERS L'OUEST I. de l'Atlantique au Mississipi

À lire et compulser des masses de documents sur les iris, en particulier les iris aux Etats-Unis, je finis par en connaître bien des aspects. J'ai remarqué notamment qu'au fil du temps le lieu de résidence des hybrideurs s'est progressivement déplacé d'Est en Ouest. Tout à fait comme cela s'est passé avec les pionniers, lors de la conquête de l'Ouest.

On peut donc penser que les iris sont apparus sur la côte est, en Nouvelle Angleterre par exemple. Pourtant le premier iris américain, d'après Clarence Mahan, qui en connaît un rayon, serait 'Fairy', une variété presque blanche, obtenue par un certain Amasa Kennicott, citoyen de l'Illinois, à proximité de Chicago, dans les années 1900. Voilà qui contredit l'affirmation précédente !

 Il ne faut cependant pas faire d'un cas particulier une généralité. Car à peu près au même moment c'est en Pennsylvanie, à Wyomissing exactement, que Bertrand Farr, qui vendait aussi des pianos, s'est intéressé aux fleurs et a créé une pépinière où il a commencé à hybrider des iris. Nous sommes bien sur la côte ouest, et ma démonstration peut commencer.

Les premiers colons arrivés aux Etats-Unis, en provenance d'Angleterre et d'Allemagne, ont pris pied dans le nord-est du territoire, dans ce que l'on appelle la Nouvelle Angleterre. C'est la première terre que l'on rencontre en arrivant d'Europe, et c'est par là que, vers le début du XXe siècle, les premiers iris hybrides ont été importés. Il est donc normal que ce soit dans cette région que l'on ait commencé à les cultiver, puis à les hybrider. Si Bertrand Farr s'est intéressé aux iris dès le début du siècle, c'est parce qu'il a trouvé sur place des plantes qui arrivaient d'Angleterre où l'hybridation battait alors son plein. La variété qui a fait sa célébrité s'appelle 'Quaker Lady' (1909) mais il est aussi l'obtenteur de nombreux autres iris qu'on trouve encore chez les amateurs de variétés anciennes. Malheureusement il n'a pas noté les pedigrees de ses iris et c'est un manque pour les spécialistes de la généalogie.

A la même époque, dans les environs de Boston où elle est née, Grace Sturtevant s'est à son tour lancée dans l'hybridation des iris. Elle fut la première femme à s'intéresser à cette activité nouvelle qu'était l'hybridation des iris et elle l'a abordée dans un but plus scientifique qu'artistique. Elle a dit elle-même qu'il s'agissait pour elle d' « une étude de la génétique et de la couleur » des iris. Elle a enregistré un grand nombre de nouvelles variétés, mais, avec le temps et l’approfondissement de sa connaissance des iris, elle se montra éminemment sévère avec elle-même et si l’on cherche un exemple de cette obsession de la perfection, il se trouve dans ‘Shekinah’ (1918), qui fut le plus bel iris jaune de son époque et peut-être même le premier.

 Très rapidement ces nouvelles fleurs sont parties avec les nouveaux arrivants vers les terres plus à l'ouest où ils comptaient s'installer. C'est pourquoi on voit apparaître des obtenteurs d'iris au-delà des Apalaches, dans les nouveaux Etats à l'est du Mississipi (Illinois, Indiana, Kentucky, Tennessee...). Le citoyen Kennicott fut un pionnier, mais d'autres ont suivi sa trace et se sont imposés parmi les meilleurs. Encore aujourd'hui leurs obtentions font le bonheur de bien des jardiniers partout dans le monde. Cela se passe à partir des années 1930, et parmi une grand nombre de bons obtenteurs il faut surtout parler de quatre d'entre eux : David Hall (1875/1968), Paul Cook (1891/1963), Orville Fay (1896/1980) et Jesse Wills (1899/1977).

 Le plus ancien, David Hall est l'homme qui a introduit l'endogamie dans l'hybridation des iris. En tant qu'éleveur de chevaux il s'était rendu compte qu'en matière d'amélioration des performances génétiques des résultats tangibles n’apparaissaient guère avant la troisième génération. Il en a déduit que ce qui était applicable aux animaux devaient valoir aussi pour les plantes. Comme il s'intéressait aux iris roses – ceux qu'il a lui-même baptisés les « flamingo pink » - il a poursuivi ses travaux d’amélioration de générations en générations et après 17 ans de persévérance et d’acharnement, il a vu apparaître les premiers iris valables en rose à barbe orange, et ces variétés roses ont très vite acquis une renommée mondiale. Il faut aussi lui rendre hommage pour avoir introduit dans nos fleurs favorites avec 'Chantilly' cette dentelle qui frise si joliment les bords des pétales d’un grand nombre des variétés d’aujourd’hui. Enfin il a été le premier à présenter un iris aux pétales or, au-dessus de sépales blancs liserés d’or, un modèle qui a, depuis, fait florès.

 Dans les mêmes moments, Paul Cook s'est fait à son tour un nom inoubliable. Un nom indissociable de celui de ‘Progenitor’, un pauvre petit semis que la plupart des hybrideurs aurait détruit dès sa première fleur, mais dont il a eu, lui, le génie de pressentir les grandes aptitudes. De ce ‘Progenitor’ sont venus ‘Melodrama’, ‘Whole Cloth’, ‘Emma Cook’, ‘Miss Indiana’ et d'autres d'immense valeur qui nous valent de disposer aujourd'hui d'un panel pratiquement infini d'iris amoenas et bicolores.

Troisième homme de cette avancée vers l'ouest, Orville Fay, l’un des quatre ou cinq plus importants personnages du monde des iris. Les faits sont là pour confirmer cette affirmation. Trois de ses variétés n’ont-elles pas obtenu la Médaille de Dykes ? Ce sont 'Truly Yours' (1949), 'Mary Randall (1950) et 'Ripling Waters' (1961). Son travail, qui s’étend sur près de 40 ans, est essentiel dans l’histoire de l’hybridation et chacun des iris qu’il a introduit ont apporté quelque chose de neuf et d’important. Il aura fait mentir le principe selon lequel un bon hybrideur ne peut pas s’intéresser à tout puisque l’on trouve des variétés Fay incontournables dans presque tous les coloris, et qu’il a hybridé plusieurs autres sortes de plantes et en particulier les narcisses, les pivoines et, surtout, les hémérocalles. Son nom doit être connu et même révéré par tous ceux qui aiment les iris et s’intéressent à leur évolution.

Avec Jesse Wills on est en présence d'un tout autre type d'individu. Poète, musicien, sportif, historien, ornithologue, homme d'affaires, philanthrope, son travail sur les iris n'était qu'un délassement... Pour s'en tenir au domaine des iris qui fut le sien pendant près de 45 ans, il faudrait parler des multiples avancées qu'il y a développées. Pas seulement de 'Chivalry' (1943), qui fut son premier enregistrement, et qui lui valut la Médaille de Dykes en 1947 (pour un coup d'essai ce fut vraiment un coup de maître!) lequel ne faisait pas partie de ses favoris ! Il avait une nette préférence pour les amoenas, de toutes couleurs, comme 'Glacier Gold' (1964), pour les plicatas comme 'Belle Meade' (1950), à moins que ce ne soit pour les « rouges » comme 'Natchez Trace' (1969). Ce fut une personnalité qui a marqué le monde des iris où, comme dans les nombreux autres domaines où il excellait, il a laissé une marque qu'on ne peut pas oublier.

(à suivre...)
Iconographie : 



'Fairy' (Kennicott, 1905) 


'Wyomissing' (Farr, 1909) 


'Quaker Lady' (Farr, 1909) 


'Shekinah' (Sturtevant, 1918)

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