4.8.18

COUCHER DE SOLEIL SUR LE PACIFIQUE

l'inaccessible iris rouge

 Comme la tulipe noire ou la rose bleue, l'iris rouge est un fantasme d'horticulteur avide de parvenir à ce qui paraît inaccessible. Mais si les deux premiers ont finalement été atteints, le troisième reste encore bien loin de se réaliser. Pourtant ce ne sont pas les tentatives qui ont manqué ! Il n'y a pas beaucoup d'hybrideurs qui ne se soient essayé dans ce coloris.

Dès le début de l'hybridation, il y a quatre lignées principales qui ont existé. Celle amorcée par la famille Schreiner, celle de Chet Tompkins, celle de Paul Cook et enfin celle lancée par Greig Lapham, de l'Indiana, et poursuivie par Les Peterson et Tell Muhlestein, de l'Utah. Greig Lapham en effet est peut-être le premier à s'être intéressé aux iris rouges, dès la fin des années 1920. Son 'Belle Porter' date de 1929. Puis ce fut 'Jerry' (Lapham, 1934), vraiment rouge, avec une barbe pointée de blanc, dont on peut dire qu'il est le véritable point de départ de la lignée Lapham. En 1937 il a enregistré 'Red Gleam', remarquable par la richesse de son coloris, qui est un descendant de 'Jerry'. La lignée s'est poursuivie pendant de nombreuses générations au cours desquelles sont apparues des variétés comme 'Red Waves' (1946) puis 'Pacemaker' (1948), tirant sur le rouge amarante. Muhlestein, notamment avec 'Burmese Ruby' (1948), a pris la succession, de même que Tom Craig, avec 'Bang' (1955), au coloris vraiment riche, et Les Peterson avec 'Main Event' (1958), dans les tons de grenat. Qu'ils soient signés Lapham, Craig, Muhlestein ou Peterson, tous ces iris ont été des étapes sur la route vers le rouge. Une route décidément bien difficile, sur laquelle bien d'autres se sont lancés.

Les noms de Schreiner, Tompkins, Cook et de quelques autres encore figurent dans cette longue liste. Les Schreiner y ont une place prépondérante, avec des variétés comme ‘Ethiop Queen’, ‘Ranger’, ‘Garden Glory’, ‘Cordovan’ puis ‘Caldron’ qui, croisé avec ‘Trim’ (McKee,1956), donna ‘Velvet Robe’. Parmi les autres enfants et petits enfants de ‘Caldron’ il y a ‘Brasilia’, ‘Gypsy Jewels’, et ‘Vitafire’. Ce dernier ayant longtemps été considéré comme le « rouge » le plus rouge. Et la série s'est poursuivie jusqu'à nos jours, mais parle-t-on d'iris vraiment rouges ? Il serait plus sage de ne pas se bercer d'illusion et d'employer à leur égard le terme de « brun-rouge ».

C'est pour cela que d'autres obtenteurs ont décidé d'utiliser d'autres cheminements pour aller vers le vrai rouge, couleur qui n'existe pas dans le panel génétique de l'iris (sauf dans les barbes) et avec laquelle il faut donc tricher.

Le regretté Richard Ernst a entrepris de régler le problème par la biologie et la recherche génique. Son projet était ambitieux et il s'est donné les moyens de le faire aboutir. Il s'est dit que le pigment rouge ne se trouvant concentré, chez l’iris, que dans les poils de certaines barbes, pour avoir des pétales et des sépales rouges, il fallait parvenir à y concentrer autant de rouge, sinon on n’obtiendrait qu’une fleur rose, et encore à la condition d’avoir éliminé les pigments anthocyaniques... S'en sont suivi de coûteuses recherches qui auraient du aboutir en 2005 avec l'apparition des premières fleurs d'iris transgéniques. Mais on n'a plus jamais entendu parler de ce fameux iris qui aurait du être rouge. Il est par conséquent évident que la tentative a échoué et que l'argent investi l'a été en pure perte.

Dans le même temps Donald Spoon s'est lancé dans l'aventure mais en empruntant un autre chemin. Il a axé sa recherche sur une voie traditionnelle. Il est parti de la constatation que certains iris, dont 'My Ginny' (Spoon, 2002), présentaient des barbes absolument rouges. Un rouge coquelicot provenant d’une forte concentration de lycopène, le pigment qui fait que les tomates sont rouges. Il en a déduit que ce pigment, lorsqu’il est présent dans une fleur d’iris, peut se trouver concentré à l’extrême dans les barbes, mais ne peut pas se développer de la même façon dans les pétales et sépales parce qu’il est bloqué par un gène particulier. Don Spoon était convaincu qu’en utilisant des parents dont les fleurs ont une forte concentration de lycopène il allait parvenir à ce rêve plus que centenaire de l’iris parfaitement rouge. C'était en 2004. Depuis, silence sur le sujet. Sans doute parce que les résultats n'ont pas été à la hauteur...

Un autre irisarien américain s'est, à peu près au même moment intéressé à cette question. Neil Mogensen s'est efforcé de démontrer qu’il peut exister une troisième voie pour obtenir du rouge. D'après lui la couleur rouge pure, qui est produite par la pélargonidine (pigment présent dans les géraniums) fait partie de la même série que la delphinidine (pigment qui colore en bleu les delphiniums …et les iris). Il a donc envisagé la manipulation qui pourrait aboutir à transformer la delphinidine en pélargonidine. Parfait ! Mais rien n’est simple ! Parce qu’aux pigments de base, s’ajoutent des co-pigments et des variations du taux d’acidité du liquide intercellulaire qui rendent l’opération infiniment complexe et très aléatoire dans ses résultats. Si aléatoire que le projet en est resté là...

Dans le dernier « Irises », bulletin trimestriel de l'AIS, Terry Aitken fait part de sa propre approche du problème. Il explique comment, partant des travaux de la famille Schreiner et, notamment, de 'Post Time' (1971), du côté des brun-rouge donc, de ceux de Chet Tompkins avec les iris oranges, de ceux de George Shoop (croisements de variétés roses et de variétés oranges) et de la variété remarquable de Joë Ghio 'Lady Friend » (1980), il est arrivé à une sorte de rouge sombre, assez loin du rouge pompier, mais qui constitue sa marque de fabrique : une sorte de coucher de soleil sur le Pacifique près duquel il travaille. On y trouve 'Code Red' (Aitken, 2003), 'Chianti Classic' (Aitken, 2010), 'Red Triumph' (Aitken 2017) et des semis prometteurs non encore enregistrés. Mais on est encore bien loin de l'iris rouge !

De là à dire que l'iris rouge est inaccessible, il n'y a qu'un pas. Il serait cependant aventureux de le franchir car en ces matières l'impossible n'existe pas. Tant que les recherches se contenteront d'explorer les possibilités de la nature telle qu'elle est, il n'y a aucune objection à ce que le travail se poursuive, mais j'opposerais les plus vives réserves si, pour parvenir au résultat escompté, il fallait passer par une manipulation qui dénaturerait nos chers iris.

Iconographie : 


'Jerry' 


'Caldron' 


'Post Time' 


'Chianti Classic'

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