12.8.18

IRIS ET PORCELAINE

Il y a quelques semaines,en visitant la manufacture de porcelaine de Meissen, en Saxe, et en voyant le processus de fabrication, j'ai fait le rapprochement avec ce qui se passe avec les iris plicatas. Une fois l'objet créé, c'est à dire moulé ou tourné, cuit une première fois, trempé dans le bain d'émaillage et cuit à nouveau, il est décoré de la main des artistes que sont les ouvrières chargées de ce travail admirable. C'est à peu près ce que la nature à prévu pour les plicatas traditionnels : on part d'une base immaculée, c'est à dire d'un blanc pur issu d'une fleur dont les pigments caroténoïdes sont inhibés, et on applique sur cette base des dessins anthocyaniques. Les porcelaines de Meissen sont le plus souvent décorées en bleu de cobalt, ce qui correspond presque exactement à ce que donnent les pigments anthocyaniques sur les plicatas originels ! Voilà donc des objets d'art dont la base d'un blanc absolu est délicatement ornée de différents dessins bleu profond. Le rapprochement avec les iris est saisissant.

Trempant leurs fins pinceaux dans un mélange de pigments en poudre et d'eau, les décoratrices (ce sont essentiellement des femmes qui font ce métier) déposent délicatement un trait de couleur d'un bleu-indigo sombre sur le bord des objets. Que constate-t'on avec les plicatas du modèle 'Stepping Out' ? Une ornementation identique. Comme avec la porcelaine, le trait peut être fin, identique sur les pétales et les sépales ; c'est le cas pour une fleur comme 'Tea Apron' (Reynolds, 1960), variété fétiche des débuts de Keith Keppel, ou de 'Gigi' (Schreiner, 1971), descendant direct de 'Stepping Out'. La couche de couleur peut aussi par endroit et pour certains motifs être plus épaisse ; les exemples de ce type sont innombrables chez les plicatas, c'est même le type de référence, comme on le trouve sur 'Charmed Circle' (Keppel, 1968) ou les grands classiques qui s'appellent 'Going my Way' (Gibson, 1971) ou 'Rondo' (Schreiner, 1972). On en voit encore chaque année dans les catalogues (cela se tasse un peu, mais voyez le superbe 'Grapetizer' (Johnson, 2009) ou le magnifique 'Oreo' (Keppel, 2017).

Si l'illustration l'exige, les décoratrices de Meissen peuvent réaliser de grands aplats de couleur (un peu comme le font les porcelainiers de Limoges avec leur célèbre « bleu de four »), ce qui a son pendant sur certains plicatas où le fond blanc est presque entièrement recouvert par la couverture anthocyanique comme c'est le cas pour l'ancien 'Winner's Circle' (Plough, 1971), tout comme pour les récents 'Dancing in the Dark' (Johnson, 2011) ou 'Midnight Velvet' (Johnson, 2013).

La nature peut cependant être plus inventive que les êtres humains. C'est ainsi qu'elle a produit des plicatas assez différents des précédents, tout en conservant la couleur bleu sombre. Il peut s'agir de fines rayures couvrant tout ou partie de la base blanche, comme on peut le voir sur 'Autumn Circus' (Hager, 1990), ou de multiples petites taches, comme des gouttes de bruines tel celles qui apparaissent sur les créations de Rick Tasco : voir 'Celestial Explosion' (2003).

A Meissen, comme dans les autres manufactures de porcelaine, on n'utilise pas seulement le bleu de cobalt pour décorer les objets. Toutes les couleurs sont en fait obtenues. A commencer par un bleu clair, très utile pour les ciels des décors baroques ou rococos.Chez les plicatas, c'est une couleur fréquentes, qui apparaît sur des variétés comme l'ancien 'Jeanne d'Arc' (Verdier, 1907), le superbe 'Rococo' (Schreiner, 1959) ou 'Gentle Rain' (Keppel, 1976) ou encore 'Earl of Essex' (Zurbrigg, 1979), ainsi que l'australien 'Star of the Morn' (Grosvenor, 2005).

Et ce n'est pas tout ! On croit souvent voir un fond blanc chez certains plicatas alors que celui-ci est en fait faiblement teinté de jaune ou d'orangé. A cause de ça, les dessins anthocyaniques, par illusion d'optique, semblent tendre vers le magenta, le grenat voire même le brun. Ce sont aussi des couleurs fréquentes dans les décors des porcelaines. C'est ce petit jeu qui donne leurs couleurs à 'Masterplan' (Keppel, 1995), 'Mariposa Autumn' (Tasco, 1999) ou 'Ghirardelli Square' (Keppel, 2016).

 Il y a bien d'autres rapprochements à faire entre les iris plicatas et les objets de porcelaine, qu'elle soit de Meissen, de Sèvres ou de Limoges. Nous pourrions continuer d'explorer ces subtiles convergences, mais dans le dernier paragraphe nous nous sommes déjà éloignés de ces couleurs de base que sont le blanc immaculé de la porcelaine elle-même, et le bleu profond des ornementations originelles. Les iris plicatas du style de 'Stepping Out' connaissent aujourd'hui une certaine perte d'affection de la part du public et des obtenteurs. C'est qu'il existe maintenant tellement d'autres coloris disponibles ! La porcelaine sait aussi faire usage de multiples couleurs, mais ce qu'il y avait de points communs possibles avec les iris n'a plus rien alors d'exceptionnel. Est-il alors nécessaire d'en parler ?

Iconographie :

'Gigi' 

'Going my Way' 


'Winner's Circle' 


'Midnight Velvet' 


'Autumn Circus' 


'Celestial Explosion' 


'Rococo' 


'Star of the Morn' 

'Mariposa Autumn' 


'Ghirardelli Square'

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