31.8.18

RETOUR SUR LA TECTONIQUE DES SÉPALES

Déjà en 2007 j'ai abordé ici la question de l'évolution des sépales des iris. Onze ans après il est possible de revenir sur ce sujet qui est toujours d'actualité. L'idée de ce retour m'est venue à l'examen d'un photo de la variété 'Reta Fry' (Terrell, 1964) que j'ai retenue à propos de la chronique sur les iris du modèle 'Joyce Terry'. Cette photo n'a rien d'exceptionnel et la remarque qui la concerne pourrait tout aussi bien s'appliquer à n'importe quelle variété de l'époque de 'Reta Fry'. Ce qui frappe sur ces photos c'est l'aspect des sépales qui restent encore très proches de ceux des iris botaniques du type « germanica ». On remarque des attaches très minces. Ce qui, à l'origine, n’est pas une anomalie puisque les sépales devaient initialement s’ouvrir largement et se rabattre pour laisser les insectes accéder facilement aux pièces sexuelles. En fait ils ressemblaient un peu aux feuilles de mâche, avec, en partant de la zone d’attache des pièces florales au-dessus des ovaires, une « queue » mince et étroite, s’étalant en une forme obovale, atténuée à la base, obtuse à l’extrémité. Cette apparence s'est accentuée quand la matière, la chair, des sépales s’est épaissie pour leur conférer une meilleure tenue dans le temps. Le poids de ces sépales plus épais a provoqué une retombée des bords de chaque côté de la nervure centrale, plus solide. Cet effondrement cesse quand le poids de la matière s'amenuise, c'est à dire vers la pointe. D'où cet aspect particulier que j'ai appelé ci-dessus « feuille de mâche ». Les spécialistes se sont bien rendu compte de ce défaut et une de leurs tâches a été de tenter d'y remédier. Par le jeu des sélections, ils sont peu à peu parvenus à obtenir des sépales cordiformes, donc s’élargissant très vite, comme les feuilles du tilleul par exemple, et prenant une texture voisine de celle des fleurs de magnolia. Peu à peu les sépales ont eu une meilleure tenue : au lieu de pendre tristement, ils se sont redressés, se tenant le plus près possible de l’horizontale. Mais ce n'est pas tout : en prenant rapidement de la largeur, ils ne laissent plus aucun espace entre eux et, même, viennent à se chevaucher, un peu comme les plaques tectoniques de la croûte terrestre. La fleur y gagne en ampleur ce qu’elle perd en accessibilité reproductrice : chez de nombreuses variétés modernes le chevauchement des sépales dissimule partiellement ou totalement les étamines et les styles. Dans la nature ce serait préjudiciable à une bonne pollinisation, mais en horticulture cela n’a pas d’importance puisque la fécondation est assurée par l’homme.

L’apparition des ondulations sur les fleurs d’iris a permis un autre progrès : une meilleure tenue des sépales. C’est le principe de la tôle ondulée, où la rigidité est atteinte par le mouvement donné au métal : il est notoire que les variétés ondulées ont des sépales plus rigides et plus dressés que les variétés plates (« tailored » comme on dit en américain).

Ainsi, de sépales mous et prenant vite une position rabattue, on est parvenu en un peu moins de cent ans, à des sépales presque horizontaux, ondulés voire crêpés, qui maintiennent la fleur élégante et fraîche pendant plusieurs jours, permettant de voir ouvertes sur une même tige plusieurs fleurs étagées, un peu comme on a coutume de voir chez les glaïeuls ou les cannas. C’est évidemment plus spectaculaire.

Dans le précédent article je me demandais si les fleurs d’iris avait atteint une perfection sans possibilité d’amélioration. Aujourd'hui on voit bien qu'elles ont continué d’évoluer. Cela n'a pas été nécessairement pour transformer fondamentalement les fleurs que l’on apprécie, mais pour apporter d’autres éléments. Les fleurs bouillonnées en sont un, pas toujours bien maîtrisé, mais qui, comme le reste, se perfectionne et se modère. Mais on n'en est pas encore à ce qu’imagine Richard Cayeux pour l’iris du futur lorsqu’il évoque, dans son livre « L’iris, une fleur royale », les iris barbus du troisième millénaire :  « On peut donc dès aujourd’hui imaginer de nouveaux modèles de fleurs d’iris : des iris « spiders » (à divisions très longues et très fines…), des iris aux divisions bordées de cils… » ainsi que des fleurs à l’aspect de I. paradoxa, c’est à dire avec des sépales « très petits, horizontaux, portant une forte barbe noire et des pétales violets et chatoyants nettement plus grands ». Ce qui s'est développé, en revanche, ce sont des iris sans pétales, c’est à dire avec une forme plate, un peu comme celle des iris du Japon, où les six pièces florales sont des sépales ou pseudo-sépales, se recouvrant largement. Aux Etats-Unis on parle de « flatties », mais les avis sont très partagés sur l'esthétique de ces fleurs.

 On ne sait donc pas ce que l'avenir nous réserve, mais on est capable d'apprécier les perfectionnements apportés à la tenue des sépales. Et l'on ne peut s'empêcher de considérer que les fleurs d'iris modernes ont acquis au fil du temps une tenue supérieure et une grâce indéniable.

Iconographie : 

 'Clarinette' (Vilmorin, NR circa 1940)- sépales étroits « à l'ancienne » 


'Frontier Marshall' (Schreiner, 1965) - variété « tailored » 


'Bursting Bubbles' (Ghio, 2000) – sépales très larges 


'Rogue Trader' (Blyth, 2007) – sépales très ondulés 


'Sea Power', Keppel, 1999) – sépales bouillonnés

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