14.9.18

MORT SUBITE DU CULTIVAR

C'est un des phénomènes les plus étranges que nous réserve le monde des iris. En américain, avec cette concision que permet la langue anglaise, on dit tout simplement « blooming out ». En deux mots tout est dit ! L'iris fleurit (bloom) et meurt (out). C'est quelque chose qui est apparu aux Etats-Unis dans les années 1980 (peut-être avant, mais on n'en parlait pas) et qui s'est répandu à travers le monde, conséquence certaine de la diffusion internationale des cultivars.

Pour avoir plusieurs fois constaté le phénomène, je puis en faire une description précise. D'abord il faut dire qu'il se produit le plus souvent au cours de la période de floraison (l'anthèse comme disent les savants) suivant la plantation. Au moment de cette dernière la plante reprend normalement et passe l'hiver sans dommage apparent. C'est lors de la reprise de la végétation que les premiers symptômes apparaissent. D'abord cette reprise met du temps à se manifester. Et elle ne se déroule pas selon le processus classique. Le premier signe d'anomalie est qu'une seule pousse se manifeste au lieu des trois habituelles. C'est la tige qui doit porter les fleurs. Les deux tiges latérales qui ne sont composées que de feuillage n'apparaissent pas. Et la tige qui pousse pousse lentement et reste prostrée. Alors que les tiges des autres plantes s'élèvent jusqu'aux 90cm traditionnels, celle de la plante atteinte ne dépassent pas les 60cm. Seule et courte, elle va tout de même porter des fleurs. Peu. Une ou deux, rarement plus. On comprend que toute l'énergie dont la plante a besoin ne provient que de la réserve constituée dans le rhizome. A l'éclosion de la première fleur, qui intervient à la période normale, on constate qu'elle manque de sève car les tépales sont un peu fripés, comme si ils étaient victimes d'une forte sécheresse. Néanmoins les couleurs, les ondulations, les frisottis éventuels sont là. La durée de vie de la fleur n'est pas diminuée. La catastrophe annoncée apparaît dans toute son étendue lorsque toutes les fleurs sont fanées. A ce moment l'iris atteint tend à disparaître. C'est à dire que n'en subsiste que la tige qui a porté les fleurs, désormais desséchée. On peut passer à l'éloge funèbre !

Retirons du sol la plante apparemment morte. Le rhizome est sec, vidé. Les racines, peu nombreuses sont également sèches et aucun bourgeon ne se montre sur les côtés du rhizomes, là où, dans une situation normale il devrait y en avoir au minimum un sur chaque face. Le diagnostic est sans appel.

J'ai lu plusieurs commentaires et analyses à propos de cet événement. Tous se concluent par un aveu d'impuissance et de doute. Les explications données ne m'ont jamais parues satisfaisantes. Les plantes atteintes sont-elles victimes d'une agression extérieure ? Un ravageur inconnu s'est il ainsi manifesté ? Est-ce le résultat d'une attaque bactérienne ou virale ? Rien ne confirme ces causes éventuelles. Il faut donc s'orienter vers une anomalie génétique. C'est d'autant plus vraisemblable qu'il peut arriver que le « mort » ressuscite ! En effet il est apparu que le rhizome desséché, placé dans l'obscurité totale et une légère humidité, après quelques semaines de catalepsie, laisse pointer quelques signes de vie. Cela se manifeste par l'apparition de ces fameux bourgeons latéraux gages d'une reprise de la végétation. Cependant cette résurrection n'est pas générale. Elle n'intervient que sur certains rhizomes atteints, pas sur tous, loin s'en faut. Pourquoi ? Mystère !

Il semble bien néanmoins que la cure d'obscurité soit le seul remède. On connaît la puissance vitale d'un rhizome d'iris. Combien de fois a-t-on découvert qu'un morceau de rhizome abandonné au compost survit à ce placement en fosse commune et renaît avec un acharnement incroyable. Et combien de fois a-t-on constaté qu'un minuscule segment laissé en terre après un arrachage total d'une touffe, donne naissance à une nouvelle plante, souvent vigoureuse, qui vient sans vergogne se mêler, et parfois se substituer, à celle que l'on a mise à son ancienne place ! C'est d'ailleurs une des causes de ce que certains qualifient de dégénérescence !

Il y a donc une trace d'espoir puisque le choc provoqué par le placement en atmosphère obscure peut aboutir à une reprise. Reste à organiser ce traitement. J'ai tenté plusieurs méthodes. La première consiste à disposer un pot à fleur renversé par-dessus le rhizome dont le pronostic vital est engagé, sans toucher au rhizome lui-même, dont on pourra assez facilement suivre la résurrection en soulevant périodiquement le pot et en auscultant le malade. Une autre, qui n'est pas moins efficace mais qui présente quelques difficultés, consiste à enterrer profondément le rhizome. La lumière ne l'atteindra plus sous cette taupinière artificielle et, s'il doit reprendre, il le fera. Mais il faut faire attention au taux d'humidité dans le monticule : trop d'eau et le rhizome va pourrir, pas assez et il va poursuivre fatalement sa dessication. Et puis cela n'est pas facile de contrôler l'éventuelle reprise !

Chez certains collectionneurs la plus grande plaie atteignant les iris est la pourriture du rhizome. Chez d'autres, c'est le « scortch », ce dessèchement brutal de la plante, sans signes avant-coureurs. Le blooming-out n'est pas la plus fréquente mais il ruine bien des espoirs et fait disparaître des variétés qui auraient pu présenter une avancée intéressante dans le progrès de l'horticulture des iris. La connaissance du phénomène est encore balbutiante et, compte tenu de l'importance très relative de l'affaire, il n'est pas raisonnable de penser à une étude approfondie des causes et des remèdes. Contentons-nous pour l'instant d'une approche pragmatique...

Iconographie : Quelques variétés qui ont « bloom-outé » dans mon jardin : 


'Jud Paynter' (Nichol, 1991) 


'Callella' (Muska, NR) 


'Bontje Kermis' (2010) 


'Sébastien Cancade' (Laporte, 2007)

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