28.9.18

UNE ANNÉE DANS LA VIE D'UN IRIS



(suite)

Quand la fleur s’ouvre, tout l’appareil est en place. La seule part d’inconnu est de savoir quand et par qui va s’opérer l’acte sexuel proprement dit. La fleur attend. Cette attente est quelque fois vaine : aucun bourdon ne vient ou tout au moins aucun bourdon porteur de pollen. Mais très souvent l’attente est couronnée de succès : chacun va jouer son rôle, de façon involontaire et mécanique, mais en application d’une sorte de contrat. La fleur, qui dans la définition primaire du statut de chaque être vivant a choisi l’immobilité, avec les avantages et les inconvénients de cette situation, va tout faire pour tirer profit des éléments mobiles de la nature que sont les insectes. Elle va manigancer un stratagème pour les attirer, et pour leur faire accomplir les mouvements qu’elle ne peut pas exécuter elle-même. Mais elle va les récompenser en leur offrant un bonbon : le nectar. Les insectes, en l’occurrence les gros bombyles bleus, vont voler de fleur en fleur à la recherche de ce nectar qui est leur carburant. Les brillantes couleurs des iris, de même que la délicieuse odeur que certains d’entre eux exhalent, vont les attirer. Ils vont utiliser la piste d’atterrissage que constitue le sépale. La barbe va leur montrer le chemin qu’ils doivent emprunter pour parvenir à la source de nectar. Ils vont se glisser dans l’entonnoir et, parvenir là où ils veulent aller, puis, repus, ils vont faire marche arrière pour repartir vers une autre fleur. Leur dos velu ressemble à certaine brosse à vêtement : quand on la passe dans un sens elle se charge des poussières, quand on la manipule dans l’autre sens, tout se dépose. Les bombyles vont le frotter sur les étamines que leur passage à fait s’incliner, et récolter le pollen. Les voilà, embarrassés de cette charge génétique, qui volent vers une autre fleur. Ils se posent et recommencent leur manège. Mais cette fois leur dos va effleurer la lèvre collante du stigmate et les grains de pollen vont y être déposés. Le tour est joué ! L’acte sexuel s’est déroulé en deux temps, mais il est parfait et correspond tout à fait à ce que notre iris souhaitait : les gènes mâles d’une fleur ont été portés vers les gènes féminins d’une autre. Mais l'iris a ajouté une difficulté dans sa phase de reproduction : pas d'auto-fécondation ! C'est le stigmate qui va se charger de la sélection des grains de pollen. Il rejettera les grains provenant d'autres espèces de plantes et ceux de sa propre fabrication.

 Le grain de pollen se compose de deux éléments : un élément qui joue le rôle de véhicule pour le second. A peine le pollen sera-t-il déposé sur la lèvre collante du stigmate, que le premier élément va émettre un tube pollinique qui va pénétrer dans le tissu du stigmate et progresser vers l’ovaire à travers l'espace intercellulaire. A l'intérieur de ce tube pollinique le second élément qui contient les gamètes mâles va glisser jusqu'à l’ovaire, situé à l'étage en-dessous. Plusieurs grains de pollen peuvent se trouver collés sur la lèvre du stigmate, de même que sur les deux autres stigmates ; ce qui se passe alors est assez semblable à ce qui se passe chez les êtres animés. C'est au plus fort la poche ! Le grain qui parviendra le premier aux ovules sera celui qui accomplira l' œuvre de vie. Les ovules sont alignés en rangs et alimentés par un cordon, un peu comme les fœtus d’un mammifère. Un grain de pollen féconde un ovule et un seul. Il met environ huit heures pour se développer et parvenir au contact de l’ovule. Les grains de pollen peuvent n’être déposés que sur une seule des trois lèvres stigmatiques ; ils féconderont néanmoins l’ensemble des ovules, dans les trois compartiments de l’ovaire par l'intermédiaire du cordon qui les relie. Dès qu’ils sont fécondés les ovules (il peut y en avoir jusqu’à une centaine dans une capsule) commencent à se développer : ils grossissent et la capsule qui les contient prend du ventre. Elle mettra environ deux mois pour atteindre la maturité. A ce moment le printemps sera terminé depuis longtemps et nous serons au milieu de l'été.

 Été

Après l'effort considérable que représente la floraison et la fécondation, l'iris va entrer dans une phase de repos que l'on appelle la dormance. En dehors de voir que les feuilles se dessèchent, on a l'impression, de l'extérieur, que plus rien ne se passe. Mais la plante alimente néanmoins la ou les capsules porteuses de graines et prépare l'année suivante en constituant des réserves dans son rhizome et en préparant les bourgeons latéraux qui donneront naissance aux développements de la plante et à sa reproduction végétative, c'est à dire à l'identique.

La froidure de l'hiver a été nécessaire pour déclencher la reprise de la végétation, la chaleur de l'été est indispensable pour que les graines cachées dans la capsule grandissent et mûrissent. Quand les graines seront mûres, la capsule va jaunir, se dessécher et s’ouvrir par le haut. Dans la nature l’éclatement de la capsule aboutira à laisser tomber au sol les graines qui s’en échappent. Certaines, un jour, germeront et donneront naissance à une nouvelle plante. Dans le jardin, l’hybrideur prendra grand soin de récolter ces graines avant qu’elles n’abandonnent la plante-mère, de façon que des semis spontanés ne se produisent pas car ils auraient pour conséquence de parasiter la touffe originelle et de laisser croire à une mutation. Les précieuses graines, petits cubes dorés, assez semblables à des grains de maïs, en plus foncé, vont se mettre à sécher. Le séchage est une phase importante. Les graines, tombées à terre en plein été, vont y subir les effets de la chaleur estivale sur un sol généralement sec. Sèches, elles résisteront aux attaques des agents naturels toujours prêts à profiter d’une source de nourriture. Mais la conséquence sera un durcissement de l’enveloppe et, partant, un peu plus de difficulté pour germer.

La période de dormance durera un temps variable, fonction des caractéristiques génétiques de la plante et des conditions atmosphériques.Elle prendra fin, en général, avec l'arrivée de l'automne.

Automne

Notre iris se réveille peu à peu. Il entame une nouvelle phase de développement. En fait il n'est plus le même, c'est un iris nouveau qui apparaît. En effet le précédent a terminé son cycle et il cède la place aux pousses qui sont apparues le long du rhizome ancien. C'est en cela que l'iris est éternel : l'intégralité de ses gènes se trouve rassemblé dans ces pousses nouvelles, et tout repart pour une nouvelle année qui sera suivie d'un nombre indéfini d 'autres années... Pour l'instant les jeunes « yeux » ce développent sous terre, sans le secours du feuillage qui, lui, est le plus souvent sec ou rabougri. Ils vont ainsi progresser jusqu'à ce que la froidure ne freine leur végétation et qu'ils ne s'endorment de nouveau jusqu'à ce que l'allongement des journées ne les incite à reprendre leur fonction. Nous serons alors au printemps...

Comme dans le livre de David Haskell, une année s'est écoulée. Notre iris renouvelé poursuit inlassablement le grand roman de la nature.

1 commentaire:

Lisa a dit…

Super article et poétique en plus !