12.4.19

ADIEU... MEDAILLES

Le but ultime de la course aux honneurs qui caractérise l'activité du petit monde des iris aux Etats-Unis est l’attribution de coupes et de médailles prestigieuses, très recherchées par les hybrideurs et les pépiniéristes. On a déjà décrit ici le fonctionnement de cette compétition au long cours marquée par des étapes qui font penser à un tournoi de tennis ou à la coupe du monde de football. Dès leur mise sur le marché les variétés nouvelles entrent dans la course. Au bout de deux ans elles peuvent obtenir un H.M., premier niveau de la compétition, puis au bout de deux nouvelles années elles concourent pour les Awards of Merit (AM) qui les désignent pour l'étape suivante – encore deux ans après – les Médailles Catégorielles. Puis, encore au bout de deux nouvelles années les variétés toujours en lice se disputent la Médaille de Dykes, le saint Graal de l'irisdom. Ainsi en huit ans minimum une variété peut être déclarée la meilleure de l'année, mais en fait il faut aujourd'hui en général dix ou onze ans pour arriver au sommet. Tous les classements sont le résultat du travail des juges américains. Ces personnes agréées après une formation scrupuleuse, visitent les jardins où elles vont voir et pouvoir apprécier les divers variétés en course. Des juges, il y en a dans toutes les régions et ceux-ci visitent les jardins qui se trouvent à proximité de leur lieu de résidence : ils ne parcourent pas tout l'immense pays à la recherche des variétés listées sur le document qui leur est remis chaque année. Ont donc le plus de chances d'être notées les variétés largement diffusées à travers l'Union. Les autres, moins bien distribuées ou émanant de petits obtenteurs, ne seront vues que de temps en temps et ne recevront donc que peu de points, ce qui anéantira leurs chances de passer au niveau suivant, et ce handicap s'aggravera au fil de la bataille...

Pour être noté, il faut donc être vu, et le plus souvent possible. Une variété aura ses chances multipliées si elle est présente dans de nombreux jardins. C'est à ce niveau que l'évolution actuelle des pratiques du monde des iris entre en ligne de compte.

Pendant de très nombreuses années, les hybrideurs et pépiniéristes américains ont proposé chaque année à leurs client un nombre de nouveautés de dépassant guère la quinzaine. C'était le cas des grandes entreprises comme Schreiner ou, en son temps, Cooley. Quelques autres atteignaient la dizaine, beaucoup d'autres se contentaient d'une poignée de variétés nouvelles. Le commerce étant ce qu'il est, plus chacune de ces variétés se trouvait distribuée, et par conséquent visible dans les jardins, plus elle accroissait le nombre de notes qu'elle était susceptible de recevoir. Cela conférait un avantage aux iris commercialisés par les grandes firmes, pour peu qu'ils soient de qualité et/ou précédés d'une certaine renommée. Les autres, quelque soient leurs mérites, subissaient la contrainte de leur manque de visibilité.

Comment les choses se présentent-t-elles aujourd'hui ?

Plusieurs obtenteurs-pépiniéristes mettent à leur catalogue un nombre croissant de nouveautés. Par exemple, en 2019 :

SUTTON = 28 variétés
STOUT = 22
SCHREINER = 19
SPOON = 16
KEPPEL = 11
et, record absolu, MID-AMERICA = 150 !
dont – BLACK = 58
JOHNSON = 59
BLYTH = 23
AUTRES =10.

Prenons les 59 iris de Tom Johnson. Même s'ils se vendent bien car ce sont des fleurs magnifiques, il vont être dispersés, éparpillés, et donc vus chacun par un nombre restreint de juges : un ici, un là... Chacun va recueillir bien moins de votes ; chacun aura donc beaucoup moins de chances de se bien classer. Une variété, en revanche, que l'on va voir dans beaucoup de jardins sera, mathématiquement, plus souvent notée et sera bien placée pour les H.M. Et le système veut que si une variété n'atteint pas l'étape des H.M. elle est définitivement hors course. Avec une avalanche comme celle de cette année (mais c'était déjà le cas les années précédentes), non seulement Black et Johnson me semblent avoir fait le choix de renoncer aux futures médailles, mais encore, en dispersant les votes sur un grand nombre de variétés, ils rendent beaucoup moins pertinents les choix qui vont résulter de cette dispersion. Le hasard va avoir son rôle dans l'attribution des H.M. Et, par conséquent, dans les attributions de récompenses qui vont suivre.

Autre conséquence de cette surabondance, la vie commerciale de chaque variété va se raccourcir car les pépinières devront faire un choix pour leurs propositions qui sont limitées par la taille de leurs exploitations, et les nouveautés vont très vite mettre au rancart des iris qui n'auront fait qu'une apparition avant d'être totalement oubliés, quels que puissent être leurs mérites. La pépinière Mid-America Garden paraît avoir choisi une politique qui va dans ce sens. L'intérêt ? Les clients sont friands de nouveautés, on leur en donne ! Et l'on prend le pas sur les concurrents en mettant sur le marché très vite (pas besoin d'attendre d'avoir un stock important) des plantes superbes et très variées. La gloire passe après la réussite commerciale... Les obtenteurs et pépiniéristes qui auront fait le choix de limiter leurs nouveautés seront, eux, doublement récompensés : plus de chances de recevoir d'abondantes notes, et plus de chances que leurs variétés aient une vie prolongée et une descendance importante. L'aspect horticole est privilégié...

Illustrations : 

'Secret Hopes' (Johnson, 2019) 


'Lash Out' (Black, 2019) 


'Choose a Dream' (Blyth, 2019) 


'Dark Universe' (Keppel, 2019)

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