27.4.19

CARTE D'IDENTITÉ

L'origine de cette chronique se situe dans une publication de Milan Blazek sur Internet. Ce grand spécialiste des iris botaniques et des premiers hybrides s'est penché sur le cas de deux variétés très anciennes qu'il a cultivées au jardin botanique de Pruhonice, près de Prague, dont il fut longtemps le directeur et auquel il a consacré une grande partie de sa vie professionnelle et personnelle. Il s'agit de 'Jacquesania' et de 'Gypsy Queen'.

La première variété vers laquelle il se penche est 'Jacquesania' (Lemon ca 1840). Pour lui, l'iris qu'il dénomme 'Jacquesania', 'et dont il propose plusieurs photos est une fleur aux pétales jaune légèrement fumé et aus sépales blancs abondamment rayés de violet, avec des barbes jaunes. Or toutes les descriptions de 'Jacquesania' parlent plutôt d'un iris en deux tons de grenat. C'est notamment le cas de celle du «  Cornell Extension Bulletin 112 », publié en 1925 par Austin Sands, que cite Iris Encyclopedia : « (…) un brillant bicolore roux écarlate et bordeaux velouté ». Et Clarence Mahan dans son ouvrage « Classic Irises » écrit : « 'Jacquesania' est en réalité un iris avec des pétales rouge violacé teintés de bronze pastel, des sépales rouge violacé et des barbes d'un orange brillant. Pendant plus d'un demi-siècle il fut appelé ' l'iris rouge '. » On est loin du variegata de Prague...

En second lieu Milan Blazek s'intéresse à 'Gypsy Queen' (Salter, 1848). C'est une variété anglaise fort répandue dans le monde et en particulier aux Etats-Unis que le même «  Cornell Extension Bulletin 112 » décrit en ces termes : « (…) c'est un bicolore vieil or veiné d 'acajou velouté. Les pétales vont du jaune miel au vieil or, bien ondulés. Les sépales vont de l'acajou foncé au brun noirâtre, nettement veinés à 1,5'' du bord. Epaules allant du jaune au vieil or.(...) ». Cette fois Milan Blazek est bien en phase.

Pour distinguer les deux variétés, Milan Blazek s'est livré à un examen minutieux des deux fleurs et est arrivé à la conclusion que 'Gypsy Queen' avait le plat des sépales moins veiné et plus foncé que celui qu'il appelle 'Jacquesania' (voir la photo).

Mais où se trouve la vérité ?

Si l'image et la documentation s'accordent au sujet de 'Gypsy Queen', de forts doutes concernent 'Jacquesania'. Il est très possible que ce dernier soit issu de I. variegata à moins que cela ne soit de I. squalens mais on ne peut avoir aucune certitude sur ses origines. A l'époque Lémon n'était pas hybrideur. Il se contentait de recueillir les graines des iris fécondés par les bourdons, de les faire pousser et, quand fleurissaient les jeunes plantes, de sélectionner celles qui lui paraissaient les plus intéressantes, de leur donner un nom et de la proposer à la vente. Tous ses iris sont donc « nés de parents inconnus ». John Salter, à Hammersmith, en banlieue londonienne, ne procédait pas autrement. On doit donc se contenter des descriptions de l'époque, qui peuvent varier d'un catalogue à l'autre comme on en a la certitude en ce qui concerne de nombreuses variétés, mais qui sont tout à fait concordantes pour les fleurs dont on parle aujourd'hui.

Milan Blazek est un éminent spécialiste dont l'érudition suscite l'admiration. Mais les descripteurs du XIXeme siècle, qui ont eu sous les yeux les iris dont ils parlent, ne peuvent pas s'être tous trompés. Alors que, quand on sait avec quelle facilité les étiquetages peuvent disparaître, on peut envisager qu'en toute bonne foi une variété ait pu se voir attribuer un nom qui n'est pas le sien. C'est certainement ce qui s'est passé avec l'iris que le jardin de Pruhonice considère comme 'Jacquesania' . Milan Blazek a de cette façon été induit en erreur, et il l'a admis bien volontiers lorsque je le lui ai signalé. Mais cela ne révèle rien sur l'identité réelle de la variété en question. Car les cultivars de l'époque issus de I. variegata ne sont pas rares, à commencer par 'Fries-Morel' (Lémon, 1840) qui ressemble bigrement à celui que Blazek considère comme étant 'Jacquesania' !

Ah ! Si les iris pouvaient avoir une carte d'identité ! Pour leur en attribuer une il faudrait que l'ADN de chaque variété soit établi et que, chaque fois qu'un doute se présente, on puisse s'y référer pour emporter une certitude. Mais je rêve...

Illustrations : 


'Jacquesania' (version M. Blazek) 

'Jacquesania' (version HIPS) 


'Gypsy Queen' 


'Fries-Morel'

1 commentaire:

Anonyme a dit…

En juillet 2018, j'ai mentionné 2 références bibliographiques concernant 'Jacquesiana' (Blog de la pépinière Iris en Provence et encyclopédie en ligne de l'AIS). Il s'agit de deux publications signées de Lémon, parues dans les annales de Flore et de Pomone :
Les documents sont consultables sur Gallica :
- 1839-1840, p. 370 - https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9760171k/f556.image
- 1841-1842, p. 315 - https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9693413p/f399.image
On est donc en présence de deux descriptions différentes, ceci expliquerait peut-être cela...
AF