5.7.19

LE LIS BLEU D'ESPAGNE

Il existe une légende originaire de la région de Valence, en Espagne, où il est question d'un lis bleu. Un lis bleu ? En Espagne ?

Le compositeur Joaquin Rodrigo, dont tout le mode connaît le « Concierto de Aranjuez » et la poignante mélodie de son mouvement lent, a également écrit un poème symphonique baptisé « Per la flor del lliri blau », en français : « Pour la fleur du lis bleu ». C'est ce titre qui m'a intrigué et conduit à me renseigner précisément sur son origine. Il est donc basé sur une sombre légende médiévale qui raconte comment les trois fils d'un roi mourant partent à la recherche du lis bleu dont les pouvoirs magiques pourraient sauver leur père. C'est le plus jeune des trois qui découvre la fameuse fleur. Mais il est tué par ses frères qui veulent garder pour eux la gloire d'avoir rapporté le miraculeux remède.

Mais de lis bleu il n'y a point. Cependant on peut faire le rapprochement avec la confusion fréquente en France entre le lis et l'iris, ce qui nous vaut, depuis le roi Clovis, de parler de fleur de lys pour désigner ce qui est en réalité une fleur d'iris. Le lis bleu de Catalogne serait donc sans doute un iris bleu, et dans ces conditions on a l'embarras du choix.

Cela pourrait être Iris unguicularis plus connu sous le nom d'iris d'Algérie, que l'on rencontre parfois en Espagne où il trouve la douceur climatique qui lui convient et lui permet de développer ses fleurs bleues, délicatement parfumées, qui apparaissent discrètement au cœur de touffes abondantes de feuilles longues et fines dès le mois de février. Pourtant il ne s'agit pas d'une espèce rare et dans ce cas il n'eut pas été nécessaire aux trois frères de partir à la recherche d'une plante qu'ils eussent pu trouver facilement tout près du palais paternel.

Un autre iris pourrait faire l'affaire, d'autant plus qu'il est fréquent en Espagne et notamment dans le région de Valence. Il s'agit de Xiphium vulgare, un iris bulbeux d'environ 60cm de haut qui pousse dans les sols secs du pourtour méditerranée, et qui se distingue par ses fleurs le plus souvent bleues, marquées d'un signal jaune. Au demeurant c'est une plante assez commune et voyante en raison de sa taille. Les frères n'auraient donc pas eu besoin d'entreprendre une mission botanique pour s'en procurer.

Alors pourquoi ne pas envisager qu'il s'agisse d'un autre iris bulbeux à fleurs bleues, le très connu iris des Pyrénées (Xiphium latifolium) ? Parce que cet iris en tous points délicieux ne se plait qu'en climat frais et humide, ce qui explique sa présence sur les pentes pyrénéennes exposées comme dans la montée du col du Tourmalet, mais n'a aucune chance d'apparaître dans l'arrière pays valencien.

Ne reste donc à envisager que la solution de Juno planifolia, un iris bleu, méditerranéen, de petite taille, mais avec des feuilles étroites en touffes épaisses, avec, plus ou moins dissimulées en leur centre, de grosses fleurs dans différents tons de bleu, généralement d 'un bleu doux, lilacé, marqué de bleu plus vif sur les sépales et finement veiné de jaune. Leur parfum délicieux est ce qui les signale le plus sûrement aux promeneurs. Ne serait-ce pas cela le lis bleu de la légende ? C'est en tout cas à lui que je donne ma préférence. Les trois frères qui voulaient prolonger la vie de leur père ont très bien pu sans trop s'éloigner de Valence le trouver assez facilement sur les pentes rocailleuses.

On dit que les plantes – et singulièrement les iris, peut-être en vertu de leur parfum si délicat – ont le pouvoir d'apaiser les humeurs des hommes. Il semble que le lis bleu d'Espagne n'ait pas eu ce pouvoir puisque les deux ainés n'ont pas hésité à commettre un abominable crime pour tirer un misérable profit de la découverte de leur cadet. La légende ne dit pas s'ils ont ou non été démasqués, ni si le roi leur père a eu son existence prolongée grâce aux vertus de Juno planifolia dont au demeurant on peut être sceptique, les iris en général ayant la réputation d'être toxiques. Et si la quête des trois frères n'avait pas pour motif de hâter la fin d'un roi dont ils aspiraient les uns et les autres à prendre la succession ?

Illustrations : 

Iris unguicularis 


Xiphium vulgare 


Xiphium latifolium 


I. juno planifolia 

ces quatre photos proviennent de la collection de SIGNA

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