9.8.19

JUGER UN IRIS

Il y a plusieurs année une personne m'a demandé de venir chez elle pour que je lui donne mon avis sur les semis qu'elle avait réalisés.  « Voici, me dit-elle, regardez comme ils se portent bien, les hampes sont très hautes, bien solides, bien droites... » Oui, c'était exact, mais ce n'était pas facile de dire à cette personne qu'elle avait tout faux !

Un iris c'est avant tout une plante de jardin. Quand on est appelé à porter une appréciation sur l'un d'entre eux, il faut donc commencer par évaluer la plante. Et une plante de jardin doit être jugée selon quatre critères principaux : santé, apparence, vigueur et prolificité. Quatre critères qui expriment la bonne qualité du produit que l'on veut proposer au public et qui doit donner satisfaction à ses acquéreurs. Un iris en bonne santé aura un feuillage d'un vert un peu bleuté qui se dresse naturellement, sans macules, sans mollesse, sans jaunissement. Ce feuillage sera d'une bonne densité, sans excès, solide mais pas trop raide, d'une hauteur régulière, dégageant bien les hampes florales, mais aussi soutenant la base de celles-ci pour éviter qu'elles ne versent. La touffe d'une plante saine aura une forme harmonieuse, car il ne faut pas qu'elle présente plus de feuilles que de fleurs, mais elle doit dégager une impression de robustesse et d'élégance ; ni excessivement haute, ni prostrée. Puisqu'il s'agit d'une plante de jardin, elle a intérêt à se développer sans problème. Qu'y a-t-il de plus décevant qu'une plante aux feuilles rares et grêles, avec peu de hampes florales et peu de fleurs sur ces hampes ? Enfin un autre sujet de déception serait que notre plante se multiplie péniblement, tardant à constituer une jolie touffe et n'émettant que des tiges parcimonieuses. La première partie du jugement portera donc sur ces aspects et si l'appréciation n'est pas concluante, la plante devra être rejetée, c'est çà dire qu'au moment de la sélection elle sera soit mise de côté en vue d'un futur croisement tendant à améliorer ses faiblesses, soit purement et simplement mise au compost et oubliée. Lors d'un concours, on peut supposer que chez l'obtenteur la plante en compétition avait présenté des caractéristiques favorables. Si ces caractéristiques n'apparaissent pas, il faudra en déduire soit un comportement capricieux (ce qui veut dire que cette plante peut avoir le même comportement fautif dans le jardin de son acquéreur), soit un incident de culture, soit un avatar climatique. C'est à juger par cas d'espèce, mais quoi qu'il en soit, c'en est fini des espoirs d'un bon classement...

Le côté végétatif de l'iris ayant ainsi été traité, on s'intéressera à la fleur. A commencer par la hampe florale. C'est un élément essentiel. Pour débuter réfléchissons à la finalité de cette hampe. Elle a pour raison d'être de porter les fleurs. C'est une tâche difficile. La hampe apparaît à la pointe du rhizome, au centre d'un panache de trois pousses dont les extérieures portent les feuilles et la centrale porte les fleurs. Quand celles-ci vont s'ouvrir, elles vont constituer un poids important qui se trouvera en porte-à-faux, ce qui exige une grande rigidité de la hampe et un ancrage solide dans le sol grâce aux racines. En plus de sa robustesse la hampe doit se développer de telle sorte que les fleurs autres que celles du bouton axillaire puissent s'épanouir à l'aise, sans être obligées de s'incliner pour pouvoir s'ouvrir complètement. La hampe va donc devoir non pas rester bien verticale, mais se désaxer soit à droite soit à gauche, pour laisser les fleurs s'ouvrir convenablement. On dit qu'elle doit prendre une forme en candélabre. Elle doit aussi donner naissance à plusieurs branches latérales porteuses de fleurs. Quatre branches c'est parfait, trois c'est acceptable. C'est une condition rédhibitoire car il faut qu'il y ait un maximum de fleurs, régulièrement étagées et s'ouvrant les unes après les autres : surtout pas toutes ensemble ce qui serait inesthétique et constituerait une charge difficile à soutenir, donc risquant d'entraîner un versement de la hampe. Toujours pour garantir une floraison la plus longue possible, il est nécessaire qu'il y ait de nombreux boutons floraux : aujourd'hui on considère qu'en dessous d'une moyenne de sept, c'est insuffisant. Et ces boutons doivent être disposés équitablement le long de la hampe grâce à ses branches latérales. Enfin elle doit s'élever nettement au-dessus du feuillage mais sans excès de manière à ne pas avoir l'air dégingandé. Si les fleurs restent dissimulées parmi les feuilles on ne les verra pas, ou peu, et l'aspect général laissera une impression de nanisme déplaisante. Voilà des conditions difficiles à remplir et bien souvent fautives, ce qui peut amener le sélectionneur à rejeter une plante qui, pour d'autres raisons, aurait pu lui paraître intéressante. En compétitions les juges se montrent toujours sévères à ce sujet.

Ce n'est qu'après ces premiers examens que l'on va s'intéresser à la fleur proprement dite.

Sa forme tout d'abord : régulière, gracieuse, élégante ; des ondulations régulières renforceront son maintien, des frisettes et des bouillonnés seront appréciés pour peu qu'ils n'entravent pas l'éclosion et n'alourdissent inutilement l'ensemble ; au demeurant des fleurs solides mais plates (« dainty » en anglais) peuvent avoir leur charme et correspondent au goût de certains amateurs. Sa taille ensuite : ni trop importante (cela doit être en proportion avec la hauteur de la tige) ni trop réduite. Une fleur trop grosse va sembler lourde et disgracieuse, une fleur trop menue sera assimilée à maigreur ou pauvreté. Sa texture aussi : peu de matière veut dire durée de vie réduite et sensibilité excessive à la pluie. Son parfum, le cas échéant : une fleur délicatement et délicieusement parfumée méritera quelques points de plus ! Son modèle et son coloris enfin. On entre là dans le subjectif, néanmoins des considérations autant commerciales qu'horticoles entrent en ligne de compte. En effet quel intérêt peut-il y avoir à reproduire une fois de plus un coloris maintes fois remarqué ou un modèle devenu absolument banal ? Pour le marchand, ce n'est pas se distinguer des autres, pour l'horticulteur ce n'est pas faire preuve de créativité. Au moment de la sélection chez l'obtenteur, c'est le ressenti de celui-ci qui va faire la décision. En compétition la question divise toujours les juges et c'est quelquefois ce qui va faire la différence entre deux variétés proche l'une de l'autre quand on additionne leurs points ! Je me souviens d'un concours où le premier ne l'a emporté que d'un point portant sur l'originalité de la fleur...

Si l'on fait abstraction du côté très anecdotique de l'opération, juger un iris n'est donc pas quelque chose qui s'improvise. Aux Etats-Unis, où l'opération peut avoir des répercussions économiques importantes, les apprentis-juges suivent une formation qui n'a rien d'un amusement. On est plus décontracté en Europe, mais en général les obtenteurs font preuve d'une rigueur encourageante. En concours il faut voir avec quel sérieux les jugent opèrent : ils savent se montrer exigeants mais ils réservent pour la touche finale une petite place pour exprimer leur sensibilité.

Illustrations : 


Jury du Concours de Florence 2019 


'Chachar' (Seidl, 2013), une variété deux fois primée, mais toujours contestée...

1 commentaire:

gerard a dit…

Les jugements et récompenses nous laissent parfois perplexes. Si aux E.U. les juges sont sévères, comment expliquer qu'un iris comme Owyhee Desert (Lucille Pinkston, R. 1996) ait pu obtenir une Honorable Mention en 1999 et un Award of Merit en 2001, alors que de l'avis général, c'est un iris qui pousse mal et fleurit très irrégulièrement ?