10.4.20

FAUT PAS PRENDRE TOUS LES IRIS BLEUS POUR DES IRIS SAUVAGES

Pour un grand nombre de gens, quand on parle d'iris on évoque une fleur bleue. Bien que la notion d'iris soit aussi associée à celle d'arc-en-ciel, ce qui laisse à penser à une infinité de couleurs, il n'empêche que le bleu est le nom d'iris est synonyme de bleu. Ce rapprochement ne se fait pas par hasard. Dans un très grand nombre de jardin, mais aussi le long des routes et des chemins, au pied des murs, sous les fenêtres, la saison des iris est celle de la couleur bleue. Mais quand on dit bleu, c'est par métonymie, car on devrait plutôt parler des bleus et même des bleus et des violets. Au printemps dernier, en allant de chez moi au centre du village pour acheter mon pain, sur une soixantaine de pavillons et de maisons anciennes devant lesquels je suis passé, j'ai un jour compté trente-trois jardins où fleurissaient des iris bleus. De la même façon quand on admire un tableau où il y a des iris, ceux-ci sont le plus souvent bleus, à commencer par les fameux « Iris » de Vincent van Gogh.

La plupart de ces iris des jardins sont effectivement des iris que l'on peut qualifier de sauvages. Enfin, en réalité, ce sont des plantes retournées à la vie sauvage. On dit qu'elles se sont naturalisées. Car de véritables iris sauvages, il ne doit plus en exister. Ceux que nous côtoyons aujourd'hui ont un passé tumultueux : ils ne se sont pas faits en un jour. Ils existent certes dans les jardins depuis la nuit des temps, mais ceux que nous admirons aujourd’hui ne sont que les derniers aspects d’une évolution qui a commencé il y a très longtemps et qui a pris une tournure organisée quand des pépiniéristes fondus d’iris ont eu l’idée de sélectionner parmi les semis qu’ils effectuaient de graines issues de fécondations réalisées par les insectes, les plantes les plus belles et les plus originales. Ces plantes-là ont eu un large succès commercial et, comme c'est toujours le cas, une fois disposés dans les jardins par des amateurs qui n'avaient rien d'horticulteurs, ces derniers se sont empressé de perdre ou d'oublier les noms de ces iris, qui se sont à leur tours naturellement hybridés entre eux et avec les iris déjà en place. Voilà comment on passe de plantes précieuses à des plantes anonymes, d'autant plus bleues que les iris de cette couleur, manifestement plus vigoureux et prolifiques que les autres, ont supplantés sans pitié les plus fragiles. C'est toujours ce qui se passe quand on entend dire : « j'avais des iris de toutes les couleurs que j'avais achetés chez un pépiniériste réputé, mais ils ont dégénéré et maintenant je n'ai plus que des iris bleus ».

Les espèces à la base de nos iris des jardins étaient de couleur bleue – ou violette – et ce n'est pas l'apport des espèces levantines introduites à la fin du XIXe siècle qui ont fait changer les choses puisque ces iris étaient uniformément bleus, ou bleu violacé, ou de deux tons de bleu. Ils ont apporté aux iris autochtones des qualités qui leur manquaient, mais ils n'en ont pas changé les couleurs.

Il ne faut cependant pas conclure que si les iris que l'on voit sont bleus, se sont nécessairement des iris « ordinaires » ? car parmi les iris « de collection » les fleurs bleues sont nombreuses, très nombreuses.

C'était déjà le cas parmi les variétés obtenues dès le début du XXe siècle par la pépinière Vilmorin. Prenez l'exemple de 'Monsignor' (1907) ou de 'Ballerine' (1914), ce sont deux bleus charmants. Même chose chez la famille Millet, avec l'inoubliable 'Souvenir de Mme Gaudicheau' (1914) ainsi que 'Paulette' (1930), passé plus largement inaperçu. Quant au grand maître des années 1920/30, Ferdinand Cayeux, il a obtenu des bleus formidables comme le superbe 'Zampa' (1926) dont on a souvent parlé ici, 'Beotie' (1932), tendrement bleu lavande, ou 'Nicole Lassailly' (1937), titulaire de la Médaille de Dykes Française. Mais les grands maîtres des années 1920/30 restent les Américains, grâce aux champions que sont 'Missouri' (Grinter, 1932), 'Great Lakes' (Cousins, 1938), (Chivalry', Wills, 1942), 'Blue Rhythm' (Whiting, 1945) et bien d'autres...

Les Américains ont continué de tenir le haut du pavé aussitôt après la guerre, alors que les Européens avaient bien d'autres choses à faire que de créer des variétés nouvelles d'iris. C'est le cas avec 'Jane Philips' (Graves, 1946), un iris que j'ai découvert un jour lors d'une fête des plantes dans un château de Touraine : en pot, il avait fière allure et j 'ai été séduit par son bleu tendre hérité de 'Helen McGregor' (Graves, 1943), médaillé en 1949. 'Rippling Waters (Fay, 1961), en mauve lilas et barbes mandarine, est un autre produit US qui a fait le tour du monde.

Il faut encore attendre plusieurs années avant de voir des variétés bleues françaises venir s'imposer au plan international. Cela se réalisera en 1978 avec 'Condottiere' (J. Cayeux), la variété française la plus utilisée en hybridation partout dans le monde.

Néanmoins ce sont toujours les hybrideurs américains qui détiennent le « ruban bleu » (si l'on peut dire). Ils ont obtenu de grands bleus , à commencer par la maison Schreiner qui en met sur le marché presque un chaque année. Dans ce vaste choix il faut retenir 'Blue Sapphire' (1953), 'Arpege' (1966), 'Sapphire Hills' (1971), 'Victoria Falls' (1977), 'Tide's In' (1983), 'Altruist' (1987), 'Oregon Skies' (1991), 'Blue Crusader' (1998)... De Neva Sexton on admirera 'Pacific Panorama' (1960) ou 'Good Morning America' (1971) ; pour Sterling Innerst ce sera 'Codicil' (1985) ; pour Bernard Hamner, 'Avalon Bay' (1974) ; pour Sandford Babson ' Shipshape' (1969) et 'Fancy Fellow' (1984) et pour John Weiler, 'Navajo Jewel' (1984) ; enfin parlons des inoubliables 'Babbling Brook' (Keppel, 1969) et 'Mystique' (Ghio, 1975), d'authentiques chef d’œuvres...

Au cours des années 1990/2000, tous les hybrideurs, de quelque nation que ce soit, vont avoir à cœur de créer des iris bleus, depuis les iris bleu glacier jusqu'aux fleurs bleu profond ou au riche violet archevèque. Il n'est pas facile de choisir parmi ces milliers de plantes. Pour un rapide tour du monde j'ai retenu l'australien 'Corona Star' (Grosvenor, 2000), l'italien 'Azzurra' (Bianco, 1994), l'Allemand 'Lippischer Schütze' (Görtbitz, 1997), le tchèque 'Deep Blue Waves' (Seidl, 2006) et pour finir le français 'Mer du Sud' (R. Cayeux, 1997). Rien que des plantes de qualité !

Avec une telle richesse, il n'est pas étonnant que les gens soient tentés d’assimiler iris sauvage et iris bleu. Mais en réalité d'iris sauvage, comme on le sait maintenant, il n'y a plus, et depuis longtemps ! Mais quand ils ont perdu leur nom, ils font croire qu'ils ont retrouvé leurs origines. En fait c'est une manière de leur rendre hommage que de leur attribuer une vie immémoriale ! Les iris bleus qu'ils soient plus que centenaires ou beaucoup plus récents, sont bien les rois de nos jardins.

Illustrations : 


'Ballerine' 

'Paulette' 


'Jane Philips' 


'Navajo Jewel' 


'Corona Star' 


'Mer du Sud'

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