22.5.20

HISTOIRE DES TREIZE (deuxième partie)

Les couleurs mélangées 

Jusqu'à présent on s'est penché sur les iris dont les couleurs se limitent à deux, et se présentent de façon ordonnée. Mais il existe bien d'autres combinaisons, à commencer par celle de plusieurs couleurs qui se mêlent de manière diffuse. Les Américains les appellent « blend ». Cela donne un aspect proche de ce qu'obtiennent les peintres spécialistes du pastel. Inutile de dire combien ces combinaisons peuvent être variées ! Le plus souvent deux couleurs sont intimement mêlées, une troisième n'intervenant qu'en bordure des sépales sous forme d'un petit galon plus sombre ou tout au moins plus foncé que le reste de la fleur. La troisième couleur peut aussi se concentrer soit sur les épaules des sépales, soit sous les barbes, soit encore au cœur des pétales...

 Illustration : 


- 'Burnt Toffee' (Schreiner, 1977) – un « blend » très traditionnel, mais d'un coloris original

Les couleurs brouillées (ou rubanées) 

A ne pas confondre avec les précédentes. Cette fois il s'agit de fleurs où domine une couleur – très souvent une couleur sombre – sur laquelle une autre couleur, contrastée, est répandue de façon aléatoire, sous forme de rubans ou de taches, un peu comme si un pinceau chargé de couleur avait été agité au-dessus de la fleur. Les Américains, qui ont le chic pour créer des mots suggestifs propres à chaque situation, ont désigné ce modèle du nom de « broken color » - couleurs brisées - . Cette disposition des couleurs est assez rare dans le monde végétal, à ma connaissance seuls le œillets et les roses peuvent se présenter ainsi.

Illustration : 


- 'Brindled Beauty' (Ensminger, 1993) – un BC de la première heure

Les couleurs irrégulièrement réparties

On aborde maintenant des modèles de fleur très complexes, chez lesquels le jeu des pigments est en conflit avec différents gènes qui s'opposent en tout ou partie à leur apparition, et de façon très ciblée. On commence par le modèle emblématique que l'on appelle « plicata ». Emblématique parce que c'est celui du premier iris hybride sélectionné pour ses qualités spécifiques. Il s'appelait 'Iris Buriensis' et avait été choisi par M. de Bure parmi les semis obtenus à partir de fleurs pollinisées par les bourdons, afin d'être commercialisé. D'autres plicatas sont apparus au milieu du XIXe siècle et ils ont dominé le monde des iris avant que les autres dispositions de couleurs, considérées comme moins originales, ne soient aussi mises sur le marché. D'après Keith Keppel, le maître en la matière, un iris plicata se définit ainsi : « un modèle avec un fond blanc ou coloré par des pigments caroténoïdes (jaune, rose, orange) et des bords piquetés ou pointillés, voire entièrement teintés d'une couleur sombre et contrastée d'origine anthocyanique. » La disposition des couleurs peut être très variée et peut prendre des formes très différentes suivant l'implication des gènes inhibiteurs des pigments anthocyaniques : pétales presque entièrement colorés et sépales clairs piquetés et liserés de la couleur des pétales ; pétales clairs, couleurs présentes seulement sur les sépales sous forme de pointillés et de bordure ; pétales et sépales presque entièrement revêtus de plumetis plus ou moins denses... C'est un modèle toujours amplement répandu et apprécié, qui connait des extensions spectaculaires ces temps derniers.

Illustrations : 


 'Rococo' (Schreiner, 1959) – un parmi les plus classiques des plicatas

 'Hold the Line' ( Keppel, 2020) – ce qui se fait de plus moderne chez les plicatas

Une de ses variantes est le modèle baptisé « glaciata ». On peut le considérer comme un plicata dont les dessins ont été effacés. Génétiquement, il ne peut pas fabriquer les pigments anthocyaniques qui, autrement, formeraient les dessins. Des surfaces pures apparaissent de chaque côté de la barbe, avec des zones colorées de jaune, rose, orange (des pigments caroténoïdes) – mais pas d'anthocyanine – sur les épaules. Cette absence de pigments bleus ou violacés donne à la fleur l'impression d'une certaine froideur, d'où le nom ! C'est le modèle le plus difficile à identifier car pour être certain de la classification il faut analyser le pedigree de la plante. Mais ce travail est-il bien nécessaire quand on se contente d'apprécier la fleur ?

Illustration : 


 - 'Sun Shine In' (Keppel, 2009) – un pur éclat de soleil

Une autre variante est dénommée « luminata ». C'est en quelque sorte l'inverse d'un plicata : on remarque l’aspect lumineux de la fleur dont le cœur se trouve éclairé, en opposition au reste, plutôt sombre. Un luminata présente les mêmes dessins qu’un plicata, sur les mêmes fonds légèrement colorés, mais en disposition inversée. Ces fonds tiennent leur couleur, plus ou moins prononcée, de la présence dans leurs cellules d’un pigment caroténoïde – donc plus ou moins rouge ou orangé – à concentration variable. Les dessins, eux, sont constitués par les pigments anthocyaniques – bleus ou violet – et leur application a été faite sur les sépales ( et d’habitude aussi sur les pétales). Une caractéristique du modèle luminata est que la pigmentation anthocyanique tend à s’éclaircir notablement au fur et à mesure qu’elle approche des bords. Mais ce qui définit absolument le modèle luminata, c’est une zone claire absolument pure de part et d’autre de la barbe. Pas une seule trace de la couleur de couverture. Au cœur de la fleur les pigments ont été totalement inhibés et par conséquent la surface apparaît dans son exacte teinte de base.

Illustration : 

 - 'Noces de Diamant' (Dejoux, 2020) – un luminata d'anthologie

 Les fleurs rayées 

 Parmi les façons dont les couleurs peuvent être disposées, il y a les rayures. On appelle « distallata » une fleur dont les pétales sont blancs (ou tout au moins très clairs), de même que les sépales, mais ceux-ci s’agrémentent d’une couche centrale de couleur, qui peut être du jaune ou de l’orangé clair, à laquelle s’ajoutent de fines rayures sombres qui suivent les veines du tissu floral, partant de la barbe et s’étirant plus ou moins vers le bord. Mais le modèle distallata tel qu'il vient d'être défini évolue vers un modèle qui n’a pas encore de nom mais qui se rattache à la variété ‘Ring Around Rosie’ apparue en 2000. Le modèle distallata et le modèle ‘Ring Around Rosie’ ont des traits communs qui sautent aux yeux, comme les pétales bien blancs mais légèrement infus de jaune sur les côtes et les sépales poudrés de pourpre. Mais ils diffèrent par les barbes et surtout la densité des dessins qui agrémentent les sépales.

 Illustration : 


- 'Gloriafied Glenn' ( Burseen, 2010) – un distallata de la dernière génération

Les fleurs tachées

Puisque l'on a dit qu'il existait treize modèles, il nous en manque encore un. Ce sera le petit dernier, celui qui est apparu tout récemment, et simultanément, dans quelques pépinières. On peut l'appeler « maculosa » mais cette dénomination n'a rien encore d'officiel. Il s'agit de variétés aux sépales marqués d'un gros signal sombre sur fond clair ou d'une traînée vivement colorée s'écoulant sous les barbes comme l'eau s'échappant d'une bouche de fontaine. Le signal sombre sur les sépales, sous les barbes, est un trait qui existe naturellement chez certains iris d'Asie Centrale et leurs hybrides. Il leur confère un air exotique très séduisant et il y a longtemps que les obtenteurs souhaitaient le transposer sur les grands iris à barbes, mais jusqu'à présent leurs tentatives avaient échoué. On n'est pour l'instant sûr de rien, mais il semble bien que les variétés qui en portent les symptômes aient toutes dans leur pedigree des iris en provenance d'Australie, de chez l'obtenteur Barry Blyth. Les fleurs ainsi maculées sont encore rares, mais l'émulation entre obtenteurs va certainement faire en sorte qu'elles se multiplient et trouvent leur place dans de nombreux catalogues.

Illustration : 

- 'Painted Sky' (Johnson, 2020) – ce qui se fait de plus récent dans ce modèle

 On en est pour l'instant à treize différents modèles de disposition des couleurs sur les fleurs d'iris. Ce n'est sans doute qu'une étape, et il est vraisemblables que d'autres dispositions feront leur apparition dans l 'avenir, car la nature nous réserve certainement encore bien des surprises. Et n'oublions pas qu'à cet éventail de modèles il faut ajouter les innombrables variations dans la coloration des barbes, ce qui multiplie les combinaisons et ajoute de la fantaisie ou de l'originalité ! La couleur des iris est absolument sans limites.

 Illustrations : 


'Collusion' ( Keppel, 2020) – variegata inversé de la dernière heure

'Artifacto' (Burseen, 2016)– ce qu'on appelle un amoena inversé

'Superhero' ( Ghio, 2012) – exemple de variété moderne aux multiples couleurs

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