14.6.20

ROIS DU MONDE (DES IRIS)

Pour ceux qui s'intéressent d'un peu près au monde des iris, il y a un phénomène surprenant. En vingt ans, entre 1984 et 2003, la famille Schreiner a remporté huit fois la Médaille de Dykes américaine (1). Auparavant, depuis les origines, elle ne l'avait obtenue que trois fois (1958 avec 'Blue Sapphire', 1963 avec 'Amethyst Flame', et 1968 avec 'Stepping Out'). Depuis 2003, aucune médaille... Les meilleures choses ont une fin, soit, mais dans le cas présent quelles ont été la ou les raisons qui ont abouti à cette interruption brutale ? Je vais donner ici mon interprétation personnelle.

Dans les années 1980, c'est à dire au moment j'ai commencé à m'interesser aux iris, ceux de la maison Schreiner étaient ce qui se faisait de mieux au monde. C'est ce que j'ai compris en analysant les catalogues des pépinières françaises spécialisées. Une grande partie du fond de commerce de ces fins connaisseurs était constitué par les iris signés Schreiner.

Le travail exceptionnel de la famille Schreiner, avec un souci de la beauté, de la qualité des plantes, avait fait faire un bond en avant à l'hybridation des iris et propulsé l'entreprise au premier rang mondial. En y mettant les moyens, les Schreiner frères et sœur étaient devenus les champions du monde de leur spécialité. Au plan horticole, en réalisant chaque année un très grand nombre de croisements et en cultivant des hectares de semis, il leur était possible de pratiquer une sélection rigoureuse mais aussi de retenir un grand nombre de cultivars dignes de triompher dans tous les concours et de donner satisfaction à une multitude de clients à la recherche de plantes superbes robustes et prolifiques. Avec une régularité d'horloge, le catalogue annuel, somptueux, proposait une quinzaine de variétés nouvelles, de différents modèles, capables de donner satisfaction à tous les types de clients. On peut faire rapprochement flatteur avec la politique de la firme automobile Daimler-Mercedes : des voitures de série de grande classe, et des modèles de compétition pour la Formule I.

Et voilà qu'au tournant du siècle les iris Schreiner, toujours d'aussi belle qualité, n'ont plus été trouvé dignes des plus hautes récompenses. Les iris Schreiner ont plus ou moins disparu des listes des récompenses. Cela n'est pas le résultat d'un boycott organisé, ni celui d'un caprice de gens blasés, mais simplement les juges ont considéré que ces plantes ne sortaient plus des sentiers battus et n'apportaient plus au monde des iris la nouveauté et l'originalité qui déclenchent l'enthousiasme des grands amateurs et font progresser ce domaine de l'horticulture. Pourtant l'équipe dirigeante de l'entreprise, et les spécialistes chevronnés qui avaient créés huit fois les plus beaux iris étaient toujours là. Que s'était-il passé ?

Pour expliquer ce changement on peut avancer une double argumentation. Après huit victoires au plus haut niveau, les Schreiner ont peut-être pensé qu'ils n'avaient plus grand' chose à prouver, qu'ils pouvaient donc passer à un autre sujet et continuer le développement de leur entreprise déjà florissante, mais talonnée par celle d'une autre grande famille du monde des iris : les Cooley/Ernst. En effet cette autre entreprise, d'excellente réputation, avait choisi, sous la direction de Richard Ernst, de donner la priorité à la croissance de leur affaire. En produisant des iris de qualité, au goût du jour, mis très vite sur le marché parce qu'en stock du moindre quantité compte tenu du fait que plusieurs variétés proches les unes des autres offraient un choix plus vaste. Une politique que respectent désormais de nombreux hybrideurs de par le monde. Le catalogue Cooley ne courait pas plusieurs lièvres à la fois, mais séduisait la clientèle par une présentation riche et moderne. C'est sans doute cela qui a conduit l'entreprise au premier rang, devant la maison Schreiner ! Celle-ci, à mon avis, se devait de réagir, et elle l'a fait avec succès. Mais ce fut au détriment de la recherche en vue d'améliorer les iris hybrides. Les variétés proposées chaque année à un public conservateur mais néanmoins attiré par les nouveautés, se sont contenté de renouveler les modèles bien connus. Pendant ce temps des hybrideurs inventifs et talentueux ont pris le relais et raflé les récompenses. Avec un champion hors pairs, Keith Keppel, et quelques autres, moins puissants que les deux entreprises leaders, mais déterminés à montrer leur compétence et à se faire connaître d'une autre manière.

La compétition entre les deux familles a duré plusieurs années. Mais le destin a choisi son camp. En 2011 Richard Ernst a été emporté par un cancer de l'intestin et aucun autre membre du clan n'était en mesure de prendre la succession. L'entreprise a été démembrée, vendue « par appartements », et a laissé le champ libre aux Schreiner qui, entre temps, avaient changé de génération. Est-ce que cette dramatique péripétie a contribué au changement de stratégie des Schreiner ? On peut le penser. Toujours est-il que peu à peu les iris Schreiner sont revenus au premier plan dans les compétitions internes comme internationales. Aux USA, le renouveau a été pour 'High Chaparral' (2006), en 2012, où il s'est glissé parmi les concurrents pour la Wister Medal après avoir remporté le concours de Moscou en 2010. En 2015 ce fut le tour de 'Blueberry Parfait' (2009) et de 'Dracula's Kiss'(2009), lequel a remis ça en 2016, année où 'Black Is Black' (2010) a fait son entrée avant de recevoir la médaille en 2017 ; à Florence où ils ont souvent eu les honneurs, les Schreiner ont triomphé en 2000 avec 'Diabolique' (1997). Puis l'éclipse a duré jusqu'en 2014 où 'Drifting' (2011) a reçu le Florin d'Or, suivi en 2017 par 'Spirit Rider' (2013) ; enfin en 2019 à Munich ils se sont placés aux eux premières marches du podium avec 'Enraptured' (2016) en n° 1, 'Cybergrape' (2016) en n° 2.

De nouveau les iris Schreiner postulent pour être les rois du monde des iris.

Illustrations :

'Celebration Song' 

'Dracula's Kiss' 

'Black is Black' 

'Spirit Rider' 

(1) liste des iris Schreiner ayant obtenu la Médaille de Dykes entre 1984 et 2003 :

- 1984 = 'Victoria Falls' (Schreiner, 1977) ;

- 1988 = 'Titan's Glory' (Schreiner, 1981) ;

- 1992 = 'Dusky Challenger' (Schreiner, 1981) ;

- 1994 = 'Silverado' (Schreiner, 1987) ;

- 1995 = 'Honky Tonk Blues' (Schreiner, 1988) ;

- 1999 = 'Hello Darkness' (Schreiner, 1992) ;

- 2001 = 'Yaquina Blue' (Schreiner, 1992) ;

- 2003 = 'Celebration Song' (Schreiner, 1993).

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