31.7.20

VOS PAPIERS, SVP !

L'identification des iris pose de multiples problèmes, tant à l'obtenteur qu'au jardinier. En effet ce n'est pas une question accessoire : chaque variété nouvelle est en effet taillée pour exister éternellement ; le nom qu'elle porte est donc quelque chose d'essentiel ; tout comme la conservation de celui-ci quels que soient les incidents qui peuvent contribuer à sa perte. Et un iris qui a perdu son nom risque de disparaître à tout jamais, dans un anonymat désespérant.

Dans les documents.

Un hybrideur qui a l'intention de donner une suite à son travail va commencer par donner à chaque semis une identité provisoire constituée d'un numéro, plus ou moins simple, dont il est le seul à savoir ce qu'il recouvre. Chacun établit sa propre numérotation et dans les documents qu'il conserve afin de se souvenir de ce qu'il a semé et planté, à chaque numéro correspond le pedigree du futur iris, l'année du semis, l'emplacement de la jeune plante dans le plan du jardin, ou tout autre renseignement permettant son identification sans erreur. Cette identification codée sera utile jusqu'au jour où le nouvel iris recevra son nom de baptême, un nom qui, très souvent, constitue un casse-tête pour l'obtenteur. Il le veut à la fois descriptif de la nouvelle variété, évocateur pour celui qui l'entend ou l'exprime, plaisant à l'oreille, original ; il faut qu'il n'ait pas encore été attribué, et qu'il réponde aux règles imposées au plan international pour éviter les insuffisances ou les excès. Autant de conditions quelque fois difficiles à remplir. Ce choix effectué, il faudra le rendre définitif en le faisant enregistrer dans les documents officiels tenus par l'American Iris Society pour le monde entier. Le « Registrar » de l'AIS vérifie que toutes les règles sont respectées, procède à l'inscription et délivre un certificat qui est envoyé à l'obtenteur et que celui-ci va conserver.

Certains hybrideurs considèrent que tout cela n'est pas nécessaire et qu'ils peuvent s'abstenir de tout ce formalisme. Ce raisonnement ne tient que si le nouvel iris ne doit pas sortir de limites cadastrales du jardin d'origine, ou si peu qu'aucune confusion ne peut survenir. Mais si le nouveau cultivar est commercialisé une certaine pagaille va s'installer nuisible aussi bien à l'obtenteur qu'à ceux qui en auront fait l 'achat. Prenons deux exemples récents :

'Rive Gauche'. Un iris de ce nom a été proposé à la vente par Iris en Provence en 1993. Mais pour diverses raisons il n'a pas été enregistré sur le champ. En 2012 Iris en Provence a décidé son enregistrement, mais dès 1979 Sterling Innerst avait fait enregistré une variété sous ce nom. De sorte que le nom attribué par la famille Anfosso n'a pas pu être retenu. Il a donc fallu ruser pour que les nombreux acquéreurs de son 'Rive Gauche' ne soient pas confronté à d'éventuelles confusions. Le nom de 'Rive Gauche Paris' a donc été choisi et retenu. C'est un moindre mal...

'Romance'. Un semis numéroté 99 159A a été proposé à la vente par le Maison Cayeux en 2007 sous le nom de 'Romance', mais n'était pas encore enregistré à ce moment-là. Quand son enregistrement a été lancé, on s'est aperçu que depuis 1937 existait un 'Romance' de la Britannique Olive Murrell. Même manœuvre que pour la variété précédente pour rattraper le coup. L'iris connu sous le nom d'usage de 'Romance' figure dans les documents officiels sous le nom de 'Douce Romance'...

C'est suffisant pour démontrer qu'un enregistrement préalable à la mise sur le marché est une démarche indispensable.

Au jardin. 

Quand on reçoit des iris en provenance d'une pépinière, ils sont parfaitement identifiés (les erreurs sont très rares). Mais dès qu'on les plante ils risquent de perdre cette fameuse identité que les hybrideurs et les marchands se sont efforcé de sauvegarder. C'est un vrai défi que d'empêcher cette perte. Au jardin maints dangers menacent cette identification. Le premier provient du jardinier lui-même. Rien de plus facile en effet que de confondre une variété et une autre. Au cours des désherbages, les labelles peuvent être malencontreusement arrachés et en les remettant en place, rien de plus facile qu'une interversion ! Il faut aussi craindre les averses et le gel qui soulèvent la terre autour des rhizomes et font tomber les fameux labelles... Sans compter que les corbeaux ou les merles sont parfaitement capables de tout bouleverser en grattant le sol. Cela fait bien des risques, mais le plus à craindre c'est ce qui se passera quand il faudra déplacer les touffes devenues trop développées ou donnant des signes de vieillissement. On prend évidemment bien des précautions pour repérer chaque variété au moment de la floraison, mais il y en a un certain nombre qui auront décidé de ne pas fleurir l'année de la transplantation ! Et si l'on décide de transplanter c'est bien souvent parce que des touffes voisines commencent à s'en mêler. D'où la nécessité de choisir dans chaque touffe des rhizomes dont on est certain de l'identité et de placer sur celui-ci un repère solide et pérenne. Cependant, quelles que soient les précautions prises il y aura des interversions et des disparitions d'étiquettes. Au printemps suivant il faudra effectuer les rectifications indispensables, mais hélas des pertes d'identité irréversibles se produiront de temps en temps. C'est visible dans des collections comme celle du Parc Floral de Vincennes : il y a des variétés dont l'étiquetage est erroné et si l'on peut avec un bon taux de certitude dire qu'il y a erreur, il est souvent impossible de rétablir la véritable identité. C'est très souvent dans ces circonstances qu'une variété devient ce que les Américains appellent un « NOID ». Et plus le temps passe plus le risque de devenir un NOID devient grand ! C'est ce qui est arrivé par exemple à une très ancienne variété obtenue en 1854 par le pépiniériste belge Louis van Houtte qui portait le nom de 'Sans Souci' mais qu'une série de tribulations a fini par priver de toute identité certaine, laissant la place aux approximations voire aux impostures.

Aujourd'hui il existe un petit jeu qui consiste à demander à la cantonade, au vu d'une photo, de tenter d'identifier une variété devenue orpheline de son nom. Cela n'est pas très sérieux, d'une part parce que le choix des possibilités est souvent infini, d'autre part parce que la fidélité du rendu des couleurs sur les photos est très problématique.

Les iris ont donc la possibilité d'avoir été créés pour l'éternité, mais bien des dangers les guettent dont celui dont on vient de parler, qui leur laisse la vie sauve mais les expédie pour toujours dans l'anonymat de nos jardins.

Illustrations : 


'Rive Gauche' (ou 'Rive Gauche Paris') 


'Romance' 


'Douce Romance' 

'Sans Souci' (le vrai ?) 


'Sans Souci' (le faux?)

3 commentaires:

Joubert Jean Alain a dit…

Cher Monsieur, mon hommage à Lawrence Ransom est juste terminé. Il est beaucoup de vous.
Voici le lien : https://jardindepicure.ovh/?bio=journal-de-lannee-2020

J'accepte toutes les suggestions.
J'avais répondu à votre premier message mais je ne pense pas que l'adresse avec laquelle vous m'aviez répondu soit viable.

Avec tous mes remerciements.

Bonne soirée.

Bien à vous,

J. Alain Joubert

Sylvain Ruaud a dit…

J'ai lu votre article à propos de Lawrence Ransom.
Je ne vois aucun commentaire à faire : tout est parfait.

Merci d'être fidèle à Irisenligne.

Joubert Jean Alain a dit…

Merci à vous. Bonne soirée. J'ai pensé à Lawrence toute la journée.