7.8.20

QUI ÊTES-VOUS MRS. PATTISON ?



En février dernier, en rédigeant l'article à propos de Tom Craig publié au début de juin 2020, j'ai cité l'iris 'Mrs. Douglas Pattison' (1959) et je me suis demandé qui pouvait bien être cette dame à laquelle il dédiait une variété. Elles sont nombreuses en effet ces personnes, plus ou moins célèbres, dont on donne le nom à un iris en guise d'hommage ou de reconnaissance. Souvent leur célébrité s'arrête à ce baptême, et Mrs. Pattison, me disais-je, devait faire partie de ces gens-là. Mais dans le numéro de printemps 2020 de la revue « Roots » de la Historic Iris Preservation Society (HIPS) une longue chronique est consacrée à cette dame ! Je remercie donc cette revue et l'auteure de l'article, Cathy Egerer, de me permettre de satisfaire ma curiosité et de la faire partager aux lecteurs d'Irisenligne.


Ida Mary Andres (plus tard épouse Pattison), née dans l'Illinois en 1884, d'un couple d'immigrants européens, s'avère être une personne fort intéressante et au caractère bien trempé.Cathy Egerer précise que « après son baccalauréat, Ida devint greffière sténotypiste. Son travail l'amena dans différents tribunaux de la région et lui a fait rencontrer un avocat de renom, Douglas Pattison. » Ce dernier, de 14 ans son aîné, était divorcé d'une jeune femme fantasque qui avait abandonné son mari et leur petite fille Nancy pour entreprendre une carrière d'actrice. Ida Mary et Douglas se sont mariés en 1913 et se ont aussitôt entrepris un long voyage de noce en Europe. Les moyens important de l'avocat permirent à sa jeune épouse de cesser de travailler et de se consacrer uniquement à sa belle maison et à l'éducation de la fille de son mari. Pour s'occuper, elle transforma le jardin de leur propriété, à Freeport, ville de 20 000 habitants à 150 km à l'ouest de Chicago, en un parc somptueux, avec étang et espaces arborés. Comme elle venait aussi de s'enthousiasmer pour les iris, elle planta dans son jardin les meilleures variétés qu'elle fit venir d'Europe où elle les avait admiré lors de son voyage outre-atlantique.


Cette vie de grande bourgeoise provinciale lui semblait peut-être un peu trop oisive, s'est pourquoi, avec l'assentiment de son mari, elle créa une pépinière d'iris où elle mit en vente le produit des très nombreuses variétés qui constituaient sa collection privée. Ces « Quality Gardens » prit vite de l'importance, d'autant plus que Mrs. Pattison avait acquis la réputation d'être un fin connaisseur du monde des iris. Le catalogue qu'elle éditait chaque année avait la particularité de comporter un avant-propos baptisé « A Little Gossip about Iris » soit « Petits Potins du Monde des Iris » où elle exprimait avec un franc-parlé déconcertant ses opinions sur les plantes et leurs obtenteurs. Son cheval de bataille, c'était la qualité des plantes quelle cultivait. Ce qu'elle voulait proposer à ses clients c'était « les meilleurs et les plus beaux iris que nous pouvons produire, sans tenir compte du pays dont ils peuvent provenir ni du nom de leurs obtenteurs ». Elle voulait les plus beaux iris en terme de « couleur, hauteur, résistance, substance de la fleur, etc. » Elle s'impatientait de voir « l'énorme nombre de nouvelles introductions, qui menace de nous engloutir comme une inondation en perpétuelle croissance. » Elle se focalisait sur ce que trop d'iris introduits sur le marché étaient trop semblables les uns aux autres. Cette crainte est malheureusement toujours d'actualité !


Elle avait la dent particulièrement dure envers les hybrideurs de son époque. Amos Perry, Arthur Bliss, Lionel Millet, Philippe de Vilmorin en prenaient pour leur grade dans ses pamphlets annuels ! Dans son article, Cathy Egerer s'étonne, à juste titre, de ce qu'avec de tels commentaires Quality Gardens aient pu subsister. Néanmoins il semble que les fournisseurs de Mrs. Pattison ne lui en voulaient pas et même lui adressaient des félicitations et lui firent un excellent accueil quand elle leur rendit visite une seconde fois en Europe.


Ses avis bien tranchés visaient aussi le système de notation institué aux Etats-Unis par l'AIS. Elle prétendait que les juges ne se rendaient pas toujours dans les jardins et se contentaient souvent de juger sur image, à moins qu'ils ne fassent que répéter les avis d'un certain nombre d'entre eux, particulièrement influents ! Ce rôle de Chevalier Blanc du monde des iris dura tant que fonctionna sa pépinière. Mais son mari, Douglas, mourut tragiquement en tombant d'un train, et sa belle-fille, Nancy, en procédure de divorce, se suicida dans un hôtel de Chicago. Ces tragédies, jointes à l'âge venant, incitèrent Ida Mary à fermer les Quality Gardens et à se retirer en Californie où elle se livra à son tour à l'hybridation au cours des années 1940/50, et enregistrant quelques nouveautés dont il semble qu'il ne reste presque plus rien aujourd'hui, sauf peut-être 'Azure Skies' (1943) et 'White Peacock' (1952) qui a obtenu la President's Cup en 1956. Elle disparut en 1968, à l'âge de 84 ans dans la cité balnéaire de Corona del Mar dans la banlieue de Los Angeles. Jusqu'à la fin sa connaissance subtile des iris et la finesse de ses jugements ont constitué sa renommée. C'est ainsi qu'elle subjugua l'un de ses amis en distinguant du premier coup d'oeil les variétés 'Venus de Milo' (Ayres, 1931) et 'Cincinnati' (Ayres, 1936) pourtant considérées comme quasiment identiques. C'est certainement pour cette raison que Tom Craig, un autre habitant de Los Angeles, qui devait bien la connaître, lui a dédié une de ses plus élégantes réalisations.


Illustrations :


'Mrs. Douglas Pattison'

 

'Azure Skies'

 

'White Peacock'

 

'Venus de Milo'


 

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