29.1.21

LIEUX D'IRIS

Pour les amateurs d'iris il y a des lieux qui sont indissociables de leur fleur préférée. Ce sont en général ceux où un grand hybrideur a exercé son art, mais ce peut être aussi une localité, un jardin où se trouve une iriseraie inoubliable ou un endroit renommé pour une raison ou une autre liée aux iris. Aujourd'hui nous allons en visiter quelques-uns. 

I : Malétable 

Dans les guides touristiques on parle de Malétable comme de la commune où un curé a fait construire une église à ses frais. C’est vrai que cela n’est pas banal car au milieu du 19ᵉ siècle, le moment où se situe l'épisode de ce jour, les curés de campagne n’étaient généralement pas riches. A Malétable, c’était différent. Mais savez-vous où se trouve Malétable ? 

C’est un tout petit village d’une centaine d’habitants, situé dans le Perche, à quelques kilomètres de Mortagne, dans le département de l’Orne. Ce n'est même plus une commune puisque celle-ci a fusionné avec quelques autres pour constituer la commune nouvelle de Longny-les-Villages. Au demeurant c'est un charmant village, avec un petit ruisseau qui serpente dans la campagne, et passe au pied d’une gentilhommière solidement bâtie sur une hauteur pour profiter de la rivière sans en subir les inconvénients. Un grand parc, autour, avec quelques topiaires et bordures d’iris pallida… Est-ce pour rappeler que dans cette commune Marie Guillaume de Bure est mort en 1842 ? 

Cette belle demeure, qu'on appelle « le château » était-elle la campagne de notre homme ? Je n’en suis pas certain, mais cela se pourrait bien. On peut tout au moins l’imaginer car l’âge de la bâtisse, ses proportions, son grand jardin auraient parfaitement convenu à un riche bourgeois imbu de botanique et d’horticulture. En tout cas il semble que celui qui fut le dernier maire de Malétable n'avait cure de cet illustre personnage car lors que je lui ai écrit pour évoquer la présence de M. de Bure, il ne m'a pas répondu ! L'affaire mériterait pourtant d'être élucidée parce que les iridophiles de France (et d'ailleurs) aimeraient bien savoir si c'est là que sont nés les premiers iris hybrides sélectionnés, cultivés et proposés à la vente. Espérons qu'un jour, à Longny-les-Villages, on s'intéressera à ce point de la petite histoire ! 

II : Belleville (Seine) 

On parle ici de l'ancienne commune de Belleville, annexée par Paris en 1860, qui s'étendait en partie sur les actuels 19e et 20e arrondissement. Au moment de l'annexion par la capitale c'était un quartier pauvre - comme presque toutes les communes ceinturant la grande ville – mais rempli de guinguettes et de tavernes où le bon peuple de Paris aimait à venir se promener le dimanche. La présence de nombreuses sources était aussi là pour fournir de quoi arroser les nombreux jardins et pépinières qui occupaient l'emplacement de l'actuel parc de Belleville. C'est là, sur la pente nord du quartier au 3, rue Desnoyers, que se situait la pépinière de Jean-Nicolas Lémon, au milieu des cultures maraîchères et de ces vignobles qui fournissaient aux parisiens leurs légumes et leur boisson. Jean-Nicolas Lémon c'est, après Marie Guillaume de Bure, celui qui a poursuivi le travail de sélection d'iris hybrides obtenus par fécondation naturelle. Il a fait faire un véritable bond en avant à ce type de culture et il a eu un succès considérable. Malheureusement cet élan a été stoppé par la guerre de 1870 et l'arrivée à Paris des Prussiens... Quoi qu'il en soit, il aurait été inéluctable que les cultures, qu'elles soient vivrières ou de loisirs, déménagent hors de Paris tant la pression immobilière s'accroissait. La pépinière de J.-N. Lémon aurait été obligée de s'éloigner, en banlieue voire en province. C'est d'ailleurs en banlieue que l'on va se rendre maintenant pour visiter un autre lieu d'iris. 

 III : Vitry-sur-Seine 

Vitry-sur-Seine se trouve de nos jours aux portes de Paris, sitôt passé le périphérique, mais en 1900 c'était encore un endroit champêtre, et c'est là que se trouvaient les cultures d'iris de Ferdinand Cayeux. On ne présente plus ce dernier. A son époque il était admiré et même adulé par ses contemporains amateurs d'iris. On venait du monde entier pour admirer, à la pépinière du Petit Vitry, ses nombreuses et superbes créations. La plupart des hybrideurs des années 1920/30 ont utilisé certains de ses produits qui se trouvent toujours présents dans les gênes de très nombreux iris modernes. La poussée immobilière l'a contraint à abandonner son jardin de Vitry pour se réfugier là où se trouve toujours l'exploitation familiale, c’est-à-dire au lieu-dit La Carcaudière, à Poilly-lès-Gien, dans le Loiret. Cet exil n'a pas été une mauvaise chose. Le sol y est ingrat, morainique, mais les iris y prospèrent et la quatrième génération de la famille Cayeux continue d'y obtenir des iris parmi les plus beaux du monde. Vitry, c'était une époque inoubliable, mais Poilly en sera une non moins mémorable. 

IV : Verrière le Buisson 

Philippe de Vilmorin fut une étoile filante dans le ciel des iris, mais une étoile combien brillante ! Dans les années 1900/20 il a donné au monde des iris des fleurs parmi les plus belles de son époque, et dans ce petit monde où tous se connaissent ses obtentions continuent d'être admirées. Elles sont nées à Verrière-le-Buisson, au sud de Paris. Dans cette localité, très rurale au début du XXᵉ siècle, la famille Vilmorin possédait une magnifique propriété avec de l'espace où cultiver des iris, mais aussi toutes les autres plantes qui faisaient la réputation de la Maison Vilmorin-Andrieux. C'est là que Séraphin Mottet et son maître Philippe de Vilmorin réalisaient leurs croisements « à quatre mains » : ensemble ils choisissaient les variétés à croiser, et Mottet réalisait les hybridations, suivait la croissance des jeunes plantes, et au moment de la sélection des variétés à retenir il faisait les propositions que Philippe de Vilmorin rejetait ou entérinait avant de les enregistrer sous son nom. 

Philippe de Vilmorin avait eu l'idée d'organiser, à Paris, une grande conférence internationale sur les iris. Le projet avait pris corps dès 1914 et Séraphin Mottet, à la demande de son patron, avait tout organisé. Il présenta son projet en juin 1914, mais les événements qui allaient se produire dans les semaines suivantes allaient repousser de plusieurs années la réalisation de cette conférence. Elle se déroula finalement en 1922. Elle rassembla environ 60 délégués venus de France, Grande-Bretagne, Suisse et Etats-Unis. Le 29 mai les participants se rendirent à Verrière le Buisson, Ils visitèrent toutes les installations, toutes les plantations et furent particulièrement émerveillés par les champs d'iris où se trouvaient la plupart des iris anciens et modernes produits partout dans le monde, ainsi que tous les cultivars introduits par Vilmorin-Andrieux. La propriété appartient actuellement à la Ville de Verrière. L'amorce d'une reconstitution d'un jardin d'iris y a été entreprise dans les années 2000, mais le projet semble avoir avorté. Quoi qu'il en soit, Verrière-le-Buisson fait partie de ces lieux qui jalonnent l'histoire des iris. 

 V : Bourg-la-Reine 

On ne quitte pas la région parisienne. En évoquant Bourg-la-Reine on aborde le destin d'une autre grande famille de créateurs d'iris : les Millet. Cette histoire commence mal. On est en 1870 et les Prussiens assiègent Paris, contraignant bon nombre de banlieusards à s'éloigner de la capitale, car les envahisseurs sont sans pitié. Les Millet quittent donc leur pépinière de Bourg la Reine. Quand ils y reviennent après la reddition ils trouvent leur propriété pillée et leurs plantations saccagées. Ils vont tout reconstituer et devenir en quelques années une entreprise florissante, spécialisée dans les fraisiers et les cyclamens, avant de se lancer dans les iris à la toute fin du XIXᵉ siècle… C'est donc à Bourg-la-Reine que sont nées des variétés aussi importantes que 'Mady Carrière' ou 'Colonel Candelot', mais surtout 'Souvenir de Mme Gaudichau' qui a été cultivé partout dans le monde et figure donc dans le pedigree d'un grand nombre de variétés modernes. Bourg-la-Reine est restée une des capitales de l'iris jusqu'à ce que l'extension inexorable de l'urbanisation ne contraigne Lionel Millet à s'expatrier à Amilly, près de Montargis, tout à fait comme les Cayeux ont été obligés de le faire en direction de Gien. 

VI : Giverny 

Est-il paradoxal de parler de lieu d'iris à propos Giverny, demeure du peintre Claude Monet ? Sûrement pas car Monet, peintre, mais aussi jardinier hors pair possédait une collection d'iris parmi les plus complètes de son époque. C'est Octave Mirbeau, ami très cher du peintre et comme lui botaniste averti, qui décrit fort bien le jardin d'iris : « (…) dans les larges plates-bande qu'ils bordent sur des fonds de vergers en fleurs, les iris dressent leurs pétales récurvés, étranges, fanfreluches de b blanc, de mauve, de lilas, de jaune et de bleu, évoquant dans leurs dessous compliqués, des analogies mystérieuses, des rêves tentateurs et pervers, pareils à ceux qui flottent autour des troublantes orchidées... » Plus loin il parle d'« extraordinaire mêlée de tons », « orgie de nuances claires »... Le jardin de Monet est un foisonnement de fleurs où les iris tiennent toute leur place lors de leur courte période de luxuriance. 

Aujourd'hui le jardin n'a rien perdu de sa splendeur. Les iris y ont toujours une place prépondérante et les très nombreux visiteurs qui s'y rendent chaque année peuvent y admirer quantité de variétés anciennes et modernes. Giverny est bien un lieu d'iris. 

 Au fil du temps les jardins d'iris se sont peu à peu éloigné de la région parisienne, chassés par l'urbanisation. Les lieux d'iris d'aujourd'hui sont des villes ou des villages de province. Ils sont splendides au printemps, riches de milliers de variétés, mais surtout ils assurent la pérennité d'une culture florale chère à tous les amateurs. Et il semble bien qu'ils soient assurés de poursuivre leur existence puisqu'ils se transmettent à présent de génération en génération. 

 Illustrations : 


Château de Malétable 



Barrière de Belleville 


Château de Vitry 



'Colonel Candelot' (en hommage à un ancien maire de Bourg la Reine)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour !
Est-il possible de s'abonner au blog pour être prévenue quand vous postez un nouvel article ?
Je ne trouve pas de lien... :-/
Cordialement,
Elise

Elise AMANN a dit…

Bonjour !
Est-il possible de s'abonner au blog pour être prévenue quand vous postez un nouvel article ?
Je ne trouve pas de lien... :-/
Cordialement,
Elise

Sylvain Ruaud a dit…

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