18.6.21

LECH KOMARNICKI

Du théâtre aux iris 

On ne peut pas parler de mondialisation de la culture des iris sans évoquer Lech Komarnicki, car ce personnage se situe à la charnière entre le monde d'avant (avant l’éclatement et la fin du l'ère soviétique) et le monde d'après (celui que nous connaissons aujourd'hui). Avant, le monde des iris était exclusivement un monde occidental. Il était largement dominé par les hybrideurs américains derrière lesquels se situaient les hybrideurs australiens, français, anglais, italiens, allemands... La suprématie américaine s'était imposée à l'occasion de la deuxième guerre mondiale. Elle avait profité du fait que les obtenteurs européens, au sommet de la pyramide jusqu'aux années 1940, avaient pratiquement cessé d'exercer leur art, plus préoccupés de produire des plantes vivrières que des plantes d'ornement à un moment où l'on manquait de tout sur un continent à feu et à sang. Le conflit terminé, les européens avaient repris peu à peu la culture des iris, mais leurs concurrents américains avaient pris une telle avance qu'il leur fut laborieux de remonter leur retard. Cependant le niveau de la production européenne, notamment la production française, s'est progressivement élevé, grâce surtout au travail et à l'habileté de Jean Cayeux puis de son fils Richard. En 1990 les deux continents se trouvaient sans aucun doute sur un pied d'égalité. Après, le fait que les échanges aient pu se développer sans contrainte entre les deux univers a eu pour conséquence une croissance extraordinaire de la production d'iris dans les pays qui se trouvaient auparavant enfermés derrière le rideau de fer. C'est ainsi que les hybrideurs allemands vivant dans l'ex-Allemagne de l'Est sont devenus plus nombreux et plus actifs que ceux demeurant à l'Ouest ! Ailleurs le même phénomène a pu être constaté : d'abord en République Tchèque et en Slovaquie, puis en Pologne. Et dans ce pays Lech Komarnicki a été un précurseur. 

Curieux destin que celui de cet homme. C'était d'abord un homme de théâtre, acteur au Théâtre National de Varsovie, et metteur en scène réputé dans son pays, avec la réalisation de plusieurs dizaines de spectacles. Rien ne le prédisposait à devenir un spécialiste écouté de l'iris. Il a raconté lui-même que c'est sa femme qui, souhaitant disposer d'un jardin, lui a fait prendre goût à se mettre les mains dans la terre, puis à s’intéresser plus particulièrement aux iris. Ce n'était pas une mince affaire que de trouver des iris dans un pays où l'on ne dénombrait la présence que d'environ deux cents variétés, toutes anciennes, c'est à dire datant de l'immédiat après-guerre. Il a fallu de la persévérance, de l’opiniâtreté et de la débrouille ! Mais une fois accroché on ne se tire pas comme ça de la passion pour les iris ? Lech Komarnicki s'est rapidement aperçu que celle-ci prenait le pas sur l'intérêt porté au théâtre, et en 1990 il a pris sa retraite d'acteur et s'est consacré sans réserve à sa nouvelle passion. Après avoir lu toute la littérature sur le sujet, aidé en cela par sa connaissance pointue des langues anglaise et française, il s'est mis à écrire des articles dans différentes revues horticoles, ce qui lui a valu la proposition d'un éditeur pour la rédaction d'un ouvrage complet, en polonais, dont le besoin était évident tant de nombreux jeunes gens étaient saisis du désir de faire mieux connaissance avec cette plante nouvelle et encore très rare dans leur pays. Cela l'a obligé à approfondir ses connaissances et l'a amené au rôle de mentor pour toute une nouvelle génération. En même temps, disposant d'un vaste terrain à 150 km de Varsovie, il a pu joindre le geste à la parole et mettre en application les lois et conseils qu'il prodiguait dans ses écrits. Cependant faire pousser des iris dans une région aux hivers humides et froids, mais sans importantes chutes de neige pouvant recouvrir et protéger les plantes, lui valut bien des désillusions. Mais on ne décourage pas facilement un homme comme Lech Komarnicki ! Apprenant de ses échecs, il a réussi non seulement à se constituer une collection importante de grands iris et de SDB, mais aussi à réaliser des croisements originaux et de qualité. Il dit lui-même que l'hybridation « est une forme passionnante de création artistique » et qu'il a été bien aidé par « les articles de Keith Keppel dans les bulletins de l'AIS et ensuite la correspondance avec ce grand hybrideur à la personnalité exquise ». C'est ainsi qu'il a enregistré des variétés dignes de participer aux concours européens (1) et de ce fait assurant la promotion des iris d'Europe de l'Est dans des territoires où l'on ne s'attendait pas à découvrir la présence croissante de nouveaux hybrideurs, même si la victoire de 'Ikar' (A. Volfovitch-Moler, 1995) au concours de Florence en 1995 avait attiré l'attention sur la présence des grands iris à l'autre bout du monde. 

Le premier enregistrement de TB, celui de 'Biala Noc', date de 1997, après un hiver 95/96 abominable pendant lequel la presque totalité des iris de Lech Komarnicki avaient gelé, et un été 96 où la collection a pu reprendre vie grâce à la générosité de Lawrence Ransom et de quelques-uns de ses amis français. 

Cependant les TB ne constituent pas l'essentiel des travaux de notre metteur en scène polonais. Curieux de tout, il s'est lancé sans hésiter dans l'hybridation de bien d'autres catégories ou groupes, en particulier les Iris de Sibérie (qui étaient mieux appropriés au climat de son pays), les SDB et plusieurs sortes de croisements interspécifiques, dans la lignée initiée par Tomas Tamberg, en Allemagne, et avec une belle imagination. Ces hybrides, stériles, se trouvaient dans la propriété de L. Komarnicki. Depuis le décès de celui-ci, que sont-ils devenus ? 

Lech Komarnicki fait partie de ces personnages exceptionnels que l'on rencontre cependant à maintes reprises dans le monde des iris. C'est donc à titre tout à fait justifié que l'AIS lui a décerné la Warburton Medal en 2010. Sachant qu'avant lui seulement deux irisariens originaires d'Europe de l'Est ou de Russie, Georges Rodionenko et Milan Blazek, avaient reçu cette distinction. 

(1) notamment à FRANCIRIS© 2007 avec 'Evelyn Likes Me' (2005), 'Exploding Sun' (2003) et 'Tajemnica' (2005). 

Illustrations : 


'Biala Noc' (1997) 


'Explosion of Joy' (2009) 


'Poranna Mgielka' (2010) 


'Tajemnica' (2005) 


'Slavonic Beauty' (2004) SIB 


'Three Continents' (2005) SPX

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