23.7.21

LA NUIT

La nuit. Voilà quelque chose qui éveille en nous des images qui peuvent être voluptueuses aussi bien que cauchemardesques. Alors, quand ils doivent trouver un nom pour une nouvelle variété d'iris, les obtenteurs se laissent emporter par leurs sentiments ou leurs fantasmes. Et la nuit fait partie des thèmes qui leurs viennent à l'esprit. Surtout si l'iris qu'ils doivent baptiser évoque, par sa couleur ou par quelque autre trait quelque chose qui leur rappelle la nuit ou une situation que l'on associe généralement à la nuit. 

 Les hybrideurs d'expression française ne font pas exception à la règle définie ci-dessus. On peut même dire qu'ils y adhèrent pleinement. Les check-lists de l'AIS ne contiennent pas moins de 25 variétés, toutes catégories confondues, qui comportent le mot « nuit » dans leur nom ! Curieusement, ces allusions nocturnes ne sont apparues que depuis 1980 ! Allez savoir pourquoi les anciens hybrideurs n'ont jamais utilisé ce mot ! Autre curiosité, les variétés en cause, ne sont pas toutes de couleur sombre... Pour les hybrideurs français la nuit n'est donc pas forcément synonyme d’obscurité. C'est d'autant plus amusant d'essayer de découvrir ce qui a pu les pousser à choisir un nom comportant le mot « nuit », quand la nuit elle-même, avec son caractère bien particulier et qui vient tout de suite à l'esprit, n'a pas été le motif déterminant. Nous allons maintenant faire la connaissance de ces 25 iris et de leurs caractéristique singulières. Par ordre chronologique d'enregistrement. 

'Nuit Blanche' (P. Anfosso, 1980). La nuit blanche c'est celle pendant laquelle on ne dort pas. Quelle que soit la raison de cette absence de sommeil, c'est un moment où le noir est remplacé par le blanc, et cela tombe bien puisque 'Nuit Blanche' est une variété d'un blanc pur. Une des premières et des plus belles fleurs de son obtenteur. 

'Bar de Nuit' (P. Anfosso, 1986). Ce nom évoque deux choses : la nuit proprement dite, avec l'obscurité, ainsi que le monde de la nuit, avec ce qu'il a de louche ou d'inquiétant, en même temps que de lié à la fête. C'est le premier iris noir de Pierre Anfosso, une fleur qui a fait sensation quand elle est apparue et qui reste un modèle du genre. 

'Ciel de Nuit' (J. Peyrard, 1990). C'est le premier enregistrement de cet obtenteur éclectique et passionné. Une variété qui est sans doute en grand danger d'être perdue parce qu'elle n'a été commercialisée que par « Iris au Trescols », et l'on sait combien confidentielle était la clientèle de son animateur, Lawrence Ransom. C'est un petit SDB bleu à barbes blanches. 

'Belle de Nuit' (R. Cayeux, 1999) .Pour cet amoena superbe et justement apprécié dans toutes les compétitions où il a été inscrit, c'est certainement le côté sombre de ses couleurs qui a été à l'origine de son nom. Les barbes teintées de mandarine rappellent son géniteur mâle, 'In Town' (B. Blyth, 1985) auquel il ressemble vivement. 

'Nuit Magique' (L. Ransom, 2000). Fait partie comme le précédent de ceux dont le nom est inspiré par le coloris. Son obtenteur a décrit ce petit SDB très classique comme « pétales violet cobalt moyen ; sépales violet cobalt sombre et velouté, plus clairs sur les bords ; barbes violettes. » Une de ces obtentions délicates comme savait en faire Lawrence Ransom. 

'Nuit d'Encre' (Surand, 2002) et 'Nuit Mauve' (Surand, 2002) sont deux frères de semis enregistrés par Claude Surand, amateur domicilié près d'Orléans, qui s'est manifesté en 2002 avec cinq variétés mais qui n'a pas renouvelé l'expérience. Autant dire que ces deux fleurs, très classiques, n'ont pas du beaucoup quitter le jardin de leur naissance. Le premier est un bitone violet à barbes mandarine, le second un bicolore beige et violet foncé agrémenté de barbes jaune d'or. 

'Nuit de Noce' (R. Cayeux, 2008). Jolie fleur rose lilacée vif ; le nom de cet iris n'évoque pas le côté sombre de la nuit mais plutôt son côté festif. C'est un des autres sens que l'on peut donner à la nuit. Est-ce tout à fait approprié ? On peut en douter car la couleur rose vif et bleuté paraît plus synonyme d'intimité que de bamboche ! Ce n'est cependant qu'une opinion personnelle. 

'Nuit Vénitienne' (J. Peyrard, 2010). Jean Peyrard n'a enregistré qu'une douzaine de Grands Iris. 'Nuit Vénitienne' en fait partie. A quel thème rattacher ce nom ? Ce n'est pas celui de la nuit en tant que telle, ce n'est pas vraiment celui de la fête. Alors ? Dans son joli costume rose orangé, cette vénitienne est prête pour le carnaval ! 

'Nuit Tzigane' (L. Tasquier, 2010). Enregistré en 2010, mais commercialisé seulement en 2014, cet iris de bordure fait partie des premiers produits de son obtenteur. Où se situe le côté tzigane ? Où se trouve le côté nuit ? On imagine un feu de camp, autour duquel on chante et on danse... Mais la fleur est d'un modèle bien courant et, en deux tons de pourpre, la danse autour du feu semble bien éloignée... 

'Nuit d'Orient' (A. Chapelle, 2011). Un peu plus haut nous avons découvert 'Belle de Nuit'. Ici nous voyons un de ses descendants qui possède tous les traits de son « pod parent » comme on dit en anglais (qu'on peut traduire par « parent-capsule ». Le violet profond des sépales, élégamment ourlé de bleu lavande, mérite bien l'allusion à la nuit et, pourquoi pas, à la nuit sous le ciel de Perse ? 

'Nuit de Chine' (P. Anfosso, 2012) et 'Nuit Fauve' (P. Anfosso, 2012) n'ont reçu le sacrement du baptême que bien après leur mise sur le marché et postérieurement à la disparition de leur obtenteur. Si l'on veut respecter strictement l'ordre chronologique, il aurait fallu en parler pour 1993 et 1994. Mais qu'importe ! Ce sont deux frères de semis qu'on peut qualifier de « noir par les noirs » puisqu'ils résulte d'un pur croisement endogamique entre deux iris noirs. Du coup l'allusion à la nuit est tout à fait justifiée. 

'Nuit Câline' (L. Tasquier, 2012). Dans le cas présent l'allusion nocturne vient encore du coloris de la fleur. Au plan horticole, nous sommes en face d'une incursion dans un nouveau modèle, celui des fleurs possédant des sépales longs et étroits, amorce de ce qui pourrait être une fleur « spider ». Avec un « père » illustre et couvert de lauriers, 'Bedford Lilac' (B. Jones, 1990), en bleu glacier et barbes bleues. 

'Nuit Satinée' (R. Cayeux, 2012), issu de deux excellents « noirs », cet iris mérite parfaitement son nom. Il n'est pas tout à fait noir, mais le violet très sombre qu'il arbore en fait un fort bel ornement pour le jardin. Un soir de nouvelle lune... 

'Nuit Argentée' (JC. Jacob, 2013). A la recherche d'un contraste blanc/noir, J.C. Jacob est parvenu à une variété originale qui, s'il ne s'agit pas à proprement parlé d'un amoena, allie les qualités de ses deux parents : le slovaque 'Slovak Prince' (A. Mego, 2002), amoena remarquable pour le fin liseré doré qui entoure ses pétales, et le californien 'Starring (J. Ghio, 1999) admiré pour la réussite de son contraste et pour sa rare barbe rousse. Le liseré est là, plus argenté que doré (d'où le nom) et le contraste n'est pas loin. 

Un paquet de trois variétés aux noms évoquant la nuit a été enregistré en 2017. Un SDB, 'Vol de Nuit' (L. Tasquier, 2017), mais il n'a sans doute pas survécu et le nom a été réutilisé. On verra plus loin comment. Un iris intermédiaire (IB) qui est aussi une variété de Loïc Tasquier ; il s'appelle 'A la Nuit Tombée'. C'est un iris violet assez classique dont on remarque les grands pétales étalés comme des ailes. Un Grand iris de jardin (TB), 'Nuit Noire' (B. Laporte, 2017). Difficile de faire plus noir que celui-là. Avec ça il est très abondamment ondulé, et d'une taille qui rassure dans un jardin venté. Son nom dit tout à son sujet ! 

En 2019, Loïc Tasquier a enregistré trente-neuf variétés ! En six catégories différentes ! C'est beaucoup pour un seul homme, mais ce boulimique de l'hybridation, comme tous ceux qui aiment, ne compte pas. 'Au cœur de la Nuit' ; ce SDB d'un bleu nuit qui justifie son appellation, s'agrémente d'un barbe bleu lavande originale et d'abondantes ondulations. 'Retiens la Nuit' est un IB en deux tons de bleu foncé, donc bel et bien évocateur des heures nocturnes qui s'éloignent comme une chanson dans le petit jour. Ses deux parents, noirs, lui ont assuré une coloration traditionnelle, tout comme la forme de sa fleur. 

'Bientôt la Nuit' (R. Cayeux, 2019). Traditionnellement obtenu à partir d'un SDB et d'un TB, cet iris intermédiaire est de couleur violet vif (un peu éclairci sous les barbes), de quoi expliquer son nom, la nuit n'est pas encore complète ! Depuis 1993 la Maison Cayeux propose régulièrement des IB, tout aussi réussis que ses grands iris de réputation mondiale. 

'Il Fait Nuit' (R. Cayeux, 2019). Autre production Cayeux, intéressante pour ses fortes ondulations, rares chez les IB, tout comme chez les iris sombres. Un iris violet foncé qui n'a pas volé son nom, obtenu avec un TB signé Michèle Bersillon et un SDB violet de Paul Black. 

Notre inventaire va se terminer après un coup d’œil à 'Vol de Nuit' (B. Habert, 2018). C'est la variété qui a pris la succession du 'Vol de Nuit' de L. Tasquier. En deux tons de bleu foncé, cet iris se distingue par la richesse de ses ondulations. Mme Habert fait preuve d'un sérieux et d'un goût très sûr dans ses sélections qui font un petit chef-d’œuvre de chacune de ses obtentions. 

 En général, donc, quand un iris porte le mot « nuit » dans son nom, c'est bien parce que, d'une façon ou d'une autre, ce que l'on associe à la nuit se trouve quelque part dans les traits de la fleur. En l'occurrence chacun de ces iris, en plus de ses couleurs, se révèle être une très jolie plante, bien représentative de ce que les hybrideurs français savent maintenant si bien faire. 

Pour terminer sur une note un peu légère, disons que nous avons déjà une 'Nuit de Chine', et une 'Nuit Câline'. Il ne nous manque plus qu'une 'Nuit d'Amour' !  

 Illustrations : 

 'Nuit Magique' 

 'Nuit Noire' 

 'Il Fait Nuit' 

 'Vol de Nuit'

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