2.7.21

VUE DE CHINE

Dans notre imaginaire nous avons chacun une vision particulière d'un lieu, d'une atmosphère, d'un objet... Les obtenteurs d'iris ne font pas exception à cette règle et les noms qu'ils donnent aux plantes qu'ils enregistrent tiennent compte de la manière dont ils conçoivent tel ou tel thème. Ainsi la couleur rose est-elle associée à la notion d'amour – et, sans doute, parce que les hommes sont nombreux dans le monde de l'hybridation, à l'idée de la femme - ; le jaune, de son côté, est souvent associé à l'idée de lune (essentiellement dans l'imaginaire américain, car dans l'esprit des européens la lune n'est pas jaune mais argentée) ; le rouge est synonyme de feu, le noir fait penser à la nuit, le blanc à la neige et à l'hiver ; les iris variegatas fortement contrastés évoquent à l'Espagne... Mais à quoi la Chine est-elle associée ? 

L'idée qui vient immédiatement à l'esprit est le jaune. Mais curieusement, ce n'est pas cette couleur qui est le plus souvent à l'origine de l'apparition du mot « Chine » ou « chinois » dans le nom d'un grand iris. On a même l'impression que les hybrideurs voient plutôt la Chine en rose ! Prenez, pour commencer, l'ancien 'China Maid' (Milliken 1936), qui est un rose bronzé, puis passez au célèbre 'Chinese Coral' (Fay, 1960) qui est un rose orangé à barbes corail et allez jusqu'à 'China Pink' (G. Sutton, 1995) qui est un rose vénitien liseré de rose clair, et l'on pourrait passer par 'Shanghai Sunset' (D. Spence, 1989) qui est un rose orangé. Parce que l'orange est aussi fréquemment associé à la Chine. 'China Girl' (Rowlan, 1961) est orange abricot, 'China Dragon' (Shoop, 1979) est une variété orange bien connue, qui porte fièrement la barbe rouge , marque de fabrique de son obtenteur. Cette même barbe rouge orne de la même façon 'China Moon' (Schreiner, 1998). En fait le jaune n'est pas complétement absent chez les iris qui portent un nom « chinois ». Ainsi 'China Lantern' (Fay, 1957) est bien jaune , alors que 'China Gate' (Plough, 1957) est blanc liseré de jaune, et que 'China Doll' (Rogers, 1953) est jaune ivoire. 

Un peu plus haut on a dit que les couleurs de l'Espagne, sang et or, étaient destinées aux iris variegatas, mais ce sont aussi les couleurs du célèbre 'Peking Summer' (Schreiner, 1984) En fait il faut croire que la Chine n'inspire pas les hybrideurs pour une question de couleur. Ce serait plutôt l'intérêt que le monde – et spécialement le monde américain – porte aux évolutions économiques de ce pays et à son ascension vers les sommets qui motive l'attribution d'un nom à caractère chinois. Pour les obtenteurs aussi la Chine s'éveille ! Pour 'China Nights' (Mahan, 1990) les nuits chinoises sont de couleur brun-rouge allégée de blanc sous les barbes. De son côté 'Chinese New Year' (Ghio, 1996), présente le nouvel an chinois sous les somptueuses couleurs de blanc chamoisé et de pourpre lavé de fuchsia. Ce sont un peu les mêmes couleurs pour 'Chinese Whisper' (B. Blyth, 2005) pour qui les chuchotements asiatiques se traduisent par des pétales rose abricot et des sépales grenat pourpré. Blyth a d'ailleurs été plusieurs fois inspiré par la Chine lorsqu'il a choisi des noms pour ces très nombreuses variétés. 'ChineseTreasure' (1983) est un amoena aux pétales blancs lavés de rose et aux sépales blanc rosé largement bordés d'améthyste, avec de belles barbes minium. Pour 'Chinese Empress' (1988) Blyth a vu l'impératrice de Chine vêtue de blanc argenté et de prune sombre avec ce qui pourrait être la ceinture de cette tenue, les barbes, en bronze foncé ; une toilette impériale en effet! Enfin 'China Walk' (1994), très différent, est une variété blanc lavé de jaune et de vert moutarde. Pour terminer, on retrouve le mélange rose et pourpre dans la variété anglaise de Nora Scopes 'China Seas' (1986), cette fois tourné vers la mer de Chine, ce qui est pour le moins original ! Notez aussi la couleur mauve de 'China Doll' (Framke, 1969) et dans la même teinte l'anecdotique 'China Dream' (2015), descendant russe de notre fameux Condottiere, récolté au pieds du Caucase par une dame S. E. Zavizionova. 

L'Empire du Milieu a-t-il inspiré, comme il l'a fait pour les anglo-saxons, les hybrideurs français ? Pas vraiment. On ne connaît que 'Nuit de Chine' (Anfosso, 1993), qui fait partie de la série de variétés « noires » typiques du travail de notre artiste azuréen. 

Au vu de ce qui précède, la perception de la Chine, tout au moins chez les amateurs d'iris, n'a rien d'unanime ! En langage de spécialiste de la communication on dirait aujourd'hui que l'image qu'ils en ont est pour le moins brouillée. Ni le jaune ni le rouge ne prennent le devant, et aucun concept que l'on pourrait qualifier de proprement chinois ne se dégage. La Chine reste encore de nos jours bien mystérieuse et bien lointaine, chez les obtenteurs d'iris en particulier, mais sans doute aussi dans l'esprit de beaucoup d'Occidentaux. 

Illustrations : 


'China Maid' 


'China Moon' 


'Chinese New Year' 


'Chinese Empress' 


'China Walk' 


'Nuit de Chine'

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