11.4.03

CHANTILLY :
UNE HISTOIRE DE DENTELLE

On ne peut pas dire que CHANTILLY (David Hall, 1940) soit une très jolie fleur. Pour la couleur, ça va, c’est un iris lavande léger, avec les épaules nettement marquées du jaune qui infuse le cœur. Mais pour la forme, c’est assez médiocre, avec des sépales récurvés et retombants, à moins que l’on ne porte son attention sur les bords des pièces florales qui sont finement laciniées, comme de la dentelle. D’où le nom, CHANTILLY, qui ne fait pas allusion à la crème, mais à la célèbre activité dont la ville éponyme s’est longtemps enorgueillie. Dès son apparition, cet iris est devenu populaire grâce à ce frisottis, original pour l’époque.

Ce n’est pas que les bords dentelés soient une nouveauté, dans les années 40, parce que cet aspect était apparu depuis plus de dix ans parmi les semis des frères Sass. Ceux-ci considéraient que c’était plutôt une anomalie. Mais les amateurs qui rendaient visite à leur pépinière trouvaient cela joli et ils finirent par se décider à enregistrer deux variétés frisées, MIDWEST GEM, en 1937, puis, en 1939, MATULA. Plusieurs obtenteurs saisirent l’occasion pour entreprendre un développement de cet ornement. Particulièrement Agnès Whiting, qui utilisa largement MATULA pour transmettre le facteur de la dentelle à sa descendance. Elle enregistra plusieurs variétés dentelées, comme GOLD LACE, MIRABELLE, ETUDE et surtout PATHFINDER (50). Ted Muhlestein, quant à lui, se servit plutôt de MIDWEST GEM et aboutit à GOLD RUFFLES. Le Dr Loomis passa par une autre voie pour développer les bords frisés de ses fleurs. Il constata en effet que son rose orchidée MOROCCO ROSE (1937) était apte à transmettre le facteur concerné. Mais c’est David Hall, obtenteur de CHANTILLY et grand hybrideur, notamment d’iris roses, qui parvint à un iris réellement et profondément dentelé. Après CHANTILLY, il a obtenu d’autres variétés frisées comme LIMELIGHT (52) ou JUNE BRIDE (54). Cependant c’est une autre variété, rose, MAY HALL (54), pas franchement découpée néanmoins, qui s’est révélée comme la meilleure pour la transmission du facteur de la dentelle car, sans que l’on sache pourquoi, ce sont surtout les iris roses qui propagent ce phénomène. A partir de cette variété des obtenteurs comme Orville Fay ou Nate Rudolph ont introduit les bords dentelés dans les caractéristiques de leurs iris. C’est le cas pour TRULY YOURS (Fay 49), un iris jaune tendre, devenant blanc plus on s’approche des bords, ceux-ci étant finement laciniés, qui n’a pas volé sa DM obtenue en 1953. Même récompense en 66 pour RIPPLING WATERS (Fay 61), une variété mauve aux bords joliment ciselés, qui est devenue l’un des piliers de l’hybridation moderne. Les roses de Rudolph se présentent avec les mêmes traits. C’est vrai notamment pour les délicats rose tendre PINK ICE (60), PINK FRINGE (66), PINK SLEIGH (70)…

Bien entendu les deux origines, CHANTILLY et MAY HALL, sans oublier MOROCCO ROSE, ont été croisées, directement ou via leurs descendants, pour obtenir des pétales remarquablement brodés. Gordon Plough a utilisé cette voie pour introduire les iris dentelés dans ses lignées. Opal Brown a fait de même. On leur doit, par exemple, BUTTERSCOTCH KISS (Plough 58), non seulement très frisé, mais encore marquant l’apparition d’une nouvelle teinte parmi les iris jaunes ; RAINBOW GOLD (Plough 59), un iris jaune d’or qu’on retrouve dans le pedigree de nombreuses variétés fort connues comme BRIDE’S HALO (Mohr 73 – DM 78), MILESTONE (Plough 65), STARRING ROLE (D. Palmer 73) ou TRADER’S GOLD (Plough 82) ; BUFFY (O. Brown 69) et son « fils » QUEEN OF HEARTS (O. Brown 74) qui rata de peu la DM en 81.
Quant à l’incontournable maison Schreiner, elle a croisé MIDWEST GEM et CHANTILLY. De cette union sont nés, quelques générations plus tard des variétés frisées de qualité comme LIME FIZZ (Schreiner 69) ou le splendide GRAND WALTZ (Schreiner 70), ultra célèbre et ultra frisé.

Les bords dentelés sont maintenant très répandus chez les grands iris. , Tout comme les souples ondulations, les sépales élargis à la base et les tiges largement ramifiées, ils font partie des caractéristiques les plus courantes. GRAND WALTZ n’est pas étranger à cette expansion. Ses enfants et petits enfants sont très nombreux et reproduisent les ornements de leur illustre parent. L’un des plus découpés est sans conteste le fameux LACED COTTON (Schreiner 80) qui aurait très bien pu s’ajouter aux DM acquises par les produits de la firme de Salem, puisqu’il a manqué d’un rien la distinction suprême en 86. Paradoxe, cette année là c’est SONG OF NORWAY qui l’a emportée, une variété raide et plutôt avare en frisures ! LACED COTTON, ce faux blanc pur, est entièrement bordé de très fines dentelures, et ce caractère a intéressé un grand nombre d’hybrideurs. Les américains tout d’abord, Schreiner en tête, qui nous a donné QUEEN OF ANGELS (95) aux extrémités déchiquetées, tout comme CARTE BLANCHE (96) ou un autre blanc, ARCTIC AGE (99). MYSTIC LACE (Aitken 90) tient de LACED COTTON les délicats friselis de ses pétales, et de MYSTIQUE (Ghio 75 –DM 80) son joli dégradé de bleu indigo. PURE AS THE (Innerst 89) est aussi un blanc abondamment frisotté, RHONDA FLEMING (Mullin 92) est une superbe fleur mauve vif au centre blanc, à la fois frisée et ondulée, LADY BIRD JOHNSON (Mahan 96) cumule les qualités : couleur bleue pâle raffinée et forme parfaite avec friselis et ondulations, même chose pour le mauve parme FANCY STUFF (O. Brown 98). Ailleurs qu’en Amérique, LACED COTTON est le parent-vedette du Slovaque Ladislaw Muska qui en a tiré de très nombreux cultivars brodés intéressants comme son bicolore fétiche, DON EPIFANO (89) ou le mauve pâle baptisé avec à propos LA DENTELLE (96) que l’on peu qualifier de crépu. OEDIPUSSI (89) est la contribution de l’Allemand Harald Moos à la gloire de LACED COTTON et de ses pétales découpés. J’ai dans ma propre collection ZLATOHLAVEK (Seidl 97), la version jaune – et tchèque – de LACED COTTON. Enfin n’oublions pas CUMULUS (Cayeux R. 2000), néglecta lavande, qui rassemble dans sa généalogie les noms prestigieux de LACED COTTON, bien sûr, mais aussi ceux de CONDOTTIERE et SILVERADO.

LACED COTTON n’est cependant qu’un des descendants de GRAND WALTZ aux bords fortement brodés. Citons aussi, les produits Ernst, tous cousins, qui s’appellent DIFFERENT WORLD (91), RAINBOW GODDESS (94) ou TRACY TYRENE (88), le plus connu en France. Parlons de RUFFLES AND LACE (Hamblen 82) dont le nom dit bien à qui l’on a affaire, LILAC BREEZE (Tompkins 87), adorable rose bleuté tout en finesse, et de nombreux produits Schreiner, comme FABULOUS FRILLS (76) vraiment crêpé, MICHELE TAYLOR (84), et son cousin PRETTY PRINT (80), une pure merveille mauve tendre si gracieusement bouillonnée de dentelle mauve plus vif.

Avec tous ces beaux iris, on s’est largement éloigné de CHANTILLY ! Mais il ne faut pas oublier que depuis l’apparition de cette variété, au nom si bien choisi, les obtenteurs ont abondamment exploité ses performances et offert aux amateurs des fleurs toujours plus belles dont les pétales et sépales s’ornent de la plus charmeuse des parures.

Sources : The World of Irises (Warburton et Hamblen) 1978.

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