12.12.03

QU’EST-CE QUE C’EST QU’UN « GERMANICA » ?

Quand ils veulent désigner nos grands iris de jardin, il y en a qui parlent d’Iris germanica. Pourtant de nos jours les botanistes s’accordent à dire qu’I. germanica n’existe pas ! Tout au plus consentent-ils à parler d’I. x germanica, ce qui, vous en conviendrez, ferait bien pédant dans une conversation entre jardiniers !

C’est, semble-t-il Linné lui-même qui serait responsable des erreurs concernant les grands iris, bien qu’il n’ait pas parlé d’Iris germanica, mais d’ Iris x germanica, sous-entendant par là qu’il ne s’agit pas d’une espèce mais d’un mélange d’espèces. Il choisit cependant de décrire le type de la catégorie « grands iris barbus » sous le nom d’ I. x germanica . Pourquoi ce qualificatif de germanica ? Simplement, sans doute, parce que c’est un botaniste allemand qui lui a fait parvenir la plante à décrire. C’est ainsi que nos grands barbus sont qualifiés d’allemands depuis 250 ans, alors qu’ils n’ont rien à voir avec le pays dont ils portent le nom. Mais alors qu’est-ce que c’est que cet iris qui n’a rien de germanique ?

Dans la classification en usage actuellement, les grands iris font partie de la série « Elatae » qui contient au moins 27 espèces et présente de ce fait une grande diversité. A ces 27 espèces il faut ajouter les hybrides établis depuis longtemps parmi lesquels se trouve I. germanica, notre sujet d’aujourd’hui.

Deux espèces en particulier ont été hybridées (sûrement même se sont-elles hybridées naturellement dans les régions dont elles sont originaires) : I. pallida et I. variegata. L’habitat naturel de ces espèces se situe en Europe Sud-orientale. I. pallida, est originaire de campagnes d’Illyrie, qui est la contrée montagneuse située sur la côte orientale de la mer Adriatique. On appelle cette région côte dalmate et elle appartient aujourd’hui à la Slovénie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. I. pallida est ce grand iris aux tiges frêles, qui porte des fleurs bleu clair et dégage une délicieuse odeur à la fois douce et puissante. I. variegata a pour terre d’élection cette zone des Balkans qui va de la Hongrie jusqu’à la mer Noire. Il est très différent de son compère et, s’il offre souvent des diversités de coloris, il est présente d’abord une base jaune et des tons brun-rouge sur les sépales. A l’Ouest de son territoire d’origine il a été en contact avec I. pallida et de nombreux hybrides sauvages existent, qui ont été pris, au siècle dernier, pour des espèces distinctes, alliant les couleurs de leurs parents avec des variantes infinies. I. germanica, tout comme I. florentina et quelques autres (I. amoena, I. plicata, I. squalens, I. neglecta…) fait partie de ces fausses espèces. Quand, plus tard, on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’hybrides, les noms ont été conservés pour définir les principales combinaisons de couleurs.

Cette hybridation naturelle a été exploitée par l’homme au moins depuis le 16eme siècle, dans le but d’obtenir des fleurs de jardin plus belles que les fleurs botaniques. A partir des années 1850 un certain nombre de pépiniéristes, français d’abord, puis anglais et allemands, ont développé cette hybridation en pratiquant une sélection sévère parmi les plantes issue d’une pollinisation naturelle. Ce furent les premiers hybrides dénommés et commercialisés. A la fin du 19eme siècle seulement apparurent des hybrides provenant de croisements réalisés par la main de l’homme, mais tous provenaient par conséquent du couple de base I. pallida x I. variegata.

Cependant, à côté des espèces I. pallida et I. variegata, en ex-Yougoslavie et dans les Balkans en général poussent d’autres grands iris, plus grands et plus résistants. Les Grecs les avaient découverts et les avaient transportés un peu partout dans l’œcoumène, c’est à dire le monde connu de l’époque. Malgré cela, il a fallu attendre le milieu du XXeme siècle pour que ces grands iris à barbes soient de nouveau découverts ! Il s’agit des I. croatica et I. varbossiana, d’une part, mais aussi d’autres espèces voisines I. trojana, I.cypriana, dont les noms disent assez de quelle région ils proviennent. Ces iris se présentaient tous avec des fleurs plus grandes que celles des hybrides alors connus, des tiges plus hautes et un meilleur branchement. Surtout ils arrivaient à point car les hybrideurs avaient la conviction qu’ils avaient épuisé les possibilités génétiques des iris précédents. Ils tentèrent donc des croisements d’anciens et de nouveaux iris. Les résultats ne furent pas à la mesure de leurs espoirs. Beaucoup de nouveaux semis se révélèrent stériles et beaucoup de plantes souvent inintéressantes. Cependant quelques nouveaux hybrides se distinguèrent comme des plantes formidables et le jeu a consisté à faire passer les couleurs et modèles des anciens iris dans les nouveaux. Tout cela, au début, était informel et inexpliqué. Ce n’est que dans les années 1920/30, quand on eut fait le décompte des chromosomes des iris, que l’on découvrit pourquoi les « nouveaux » étaient plus grands et plus beaux : les anciens étaient des iris diploïdes (2 paires de 24 chromosomes), les nouveaux étaient tétraploïdes ( 2 paires de 48 chromosomes).

Passer de 24 à 48 le nombre des chromosomes des variétés nouvelles à été le défi des années 30. Mais les hybrideurs sont des gens enthousiastes et persévérants. Ils sont parvenus à leurs fins, ajoutant au passage quelques caractéristiques supplémentaires issues d’autres espèces tétraploïdes comme I. kashmiriana qui a apporté aux nouveaux cultivars les sépales se tenant à l’horizontale, ou I. aphylla qui a introduit deux traits remarquables : des couleurs plus vives, surtout pour les iris foncés (bleus et violets) et des feuilles ayant tendance à disparaître en hiver.

D’autres progrès marqueront et marquent encore l’hybridation des iris, principalement des grands, mais ce n’est pas notre propos d’aujourd’hui. Pour en rester à notre sujet, on peut dire que ce qu’on appelle encore souvent I. germanica est maintenant un type bien défini, dont l’aspect est le résultat d’un savant mélange interspécifique, un peu comme nos plats les plus raffinés résultent de l’association finement élaborée des saveurs de leurs différents composants. I. germanica ne signifie plus grand chose, et il est bien préférable de parler de grands iris de jardin, ou de grands iris barbus, mais il ne faut pas non plus s’attacher excessivement aux dénominations. L’important c’est ce qui se cache au fond de chaque fleur et l’alchimie toujours un peu mystérieuse qui en fait des objets de vénération.

Sources :
L’IRIS- commentaires de Ben Hager
THE WORLD OF IRISES de Bee Warburton et Melba Hamblen
L’IRIS UNE FLEUR ROYALE de Richard Cayeux

1 commentaire:

Lisa a dit…

je viens d'en apprendre un peu plus sur le sujet.... merci !