LES LEÇONS D’IRIS DANS UN PARC(1)
Un parcours initiatique dans des jardins imaginaires
Première leçon : les iris de Louisiane
Après avoir un moment longé la rivière, les deux promeneurs ont gravi la pente herbeuse qui s’élève vers le château. Ce dernier, devant eux, alignait ses ouvertures classiques, tandis qu’en se retournant ils pouvaient jouir du spectacle de la boucle de l’Erdre, couleur de cendre, sous le ciel nantais. L’air doux et humide qui les entourait incitait au repos et à la rêverie. Ils se sont assis dans l’herbe, trop haute pour faire penser à un gazon anglais, mais bien souple pour les sabots des chevaux qui paissaient autour d’eux. Après un long silence contemplatif, l’homme se tourna vers celle qui l’accompagnait et lui dit qu’un tel endroit conviendrait fort bien à des iris de Louisiane. La jeune fille saisit au bond cette allusion.
LA JEUNE FILLE : « On peut faire pousser ici des iris de Louisiane ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Les inconvénients de ces plantes sont de deux ordres : leur manque de rusticité dans nos contrées, tout d’abord – même si peu à peu les nouveaux hybrides tolèrent des climats tempérés et quelques petites gelées -, leur préférence pour des étés chauds et humides et des hivers doux mais secs, conditions qui ne sont pas celles de l’Europe. Quand on aura ajouté que ce sont des plantes pour sol plutôt acide, très riche en nutriments, et qui demandent beaucoup d’humidité, on saura que leur culture n’est pas évidente chez nous ! Mais avec un peu d’attention et dans le climat nantais, on doit pouvoir y arriver. Elles auront sans doute un peu trop d’eau pendant l’hiver, mais beaucoup d’hybrides modernes devraient pouvoir s’adapter puisqu’il y en a qui sont cultivés jusqu’au sud du Canada. »
LA JEUNE FILLE : « Mais d’où viennent-ils ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Les croisements de base ont été effectués entre des espèces de la série des iris hexagonae, originaires de l’embouchure du Mississipi et des régions environnantes, dans le sud des USA : I. brevicaulis, I. fulva et I. giganticaerulea, essentiellement. Le premier, comme son nom l’indique, présente des tiges courtes, plus basses que le feuillage, de sorte que les fleurs, d’un bleu ciel remarquable, sont difficilement visibles. Le second, en revanche, offre des hampes de 70 à 80 cm, et des fleurs qui vont du jaune fauve au rose et au brun. Le dernier a également une dénomination parlante puisqu’il s’agit d’une espèce qui dépasse largement le mètre en hauteur, et qui est en général d’un joli bleu. Plus tard, I. nelsonii est venu apporter aux hybrides des coloris jusqu’alors inconnus dans le groupe. Mais leur culture est, somme toute, récente, si on la compare à celle des grands iris de jardin. Ceux-là sont hybridés depuis 150 ans au moins, les premiers ne sont apparus qu’il y a un peu plus de cinquante ans. »
LA JEUNE FILLE : « Tu peux me les décrire, ces iris de Louisiane ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ce qui les caractérise aujourd’hui ce sont des fleurs pratiquement plates, composées de six tépales : trois sépales larges, se rejoignant presque, entre lesquels se glissent trois pétales, un peu plus petits et étroits, et surmontés des trois styles qui protègent les parties proprement sexuelles de la fleur. En matière de couleur on trouve maintenant de tout, notamment du rouge et du blanc, mais un trait spécifique est la présence, à la base des sépales, d’un œil le plus souvent jaune vif, assez analogue à celui qui orne les fleurs d’hémérocalles. Les touffes deviennent vite énormes, les fleurs sentent bon le citron vert et la floraison dure longtemps, en mai et juin. »
LA JEUNE FILLE : « Qui a eu l’idée de cultiver ces iris là ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « L’idée n’est pas nouvelle. Sans doute des hybrides sont-ils apparus spontanément dans les bayous du Mississipi, mais ce sont des dames, de Louisiane et du Texas voisin, Mary Swords-DeBaillon et Mary Caillet, qui ont voué leur vie au développement des iris de Louisiane dont elles pressentaient sans doute les énormes possibilités. Comme tu le constates, elles avaient des noms cajuns. C’est dire leur origine !
Au début, le développement des iris de Louisiane a été bien lent. Ce n’est que dans les années 50 et 60 que les efforts de deux grands hybrideurs ont commencé à donner des résultats intéressants. Le premier s’appelle Charles W. Arny. En quarante ans de carrière il a enregistré plus de cent variétés. Il est à l’origine de gros progrès comme les ondulations aux bords des pétales et l’élargissement de la base des sépales qui donne à la fleur son aspect horizontal. Sa plus intéressante contribution à l’hybridation des louisianas a été la variété baptisée CLARA GOULA, un iris blanc, qui est un peu aux iris de Louisiane ce qu’est SNOW FLURRY aux grands iris. L’autre nom à ne pas oublier est celui de Joseph K. Merzweiler, de Baton Rouge. Lui, c’est l’introducteur des iris tétraploïdes fertiles. Obtenir des louisianas tétraploïdes fertiles n’a pas été une affaire facile et Merzweiler y a consacré vingt ans de sa vie. Mais avec la tétraploïdie il a apporté des couleurs nouvelles et ses successeurs ont relevé le défi de transférer à des iris tétraploïdes les autres qualités des anciens diploïdes. »
LA JEUNE FILLE : « Mais alors, les diploïdes ont-ils cessé d’être hybridés ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Pas du tout ! L’inconvénient des tétraploïdes, c’est qu’ils sont rarement fertiles, et pour un hybrideur, une variété stérile, c’est un cul de sac. On a donc continué avec les diploïdes, et avec de beaux succès. Aux USA, de très grands hybrideurs, comme Mary Dunn, Joë Ghio, George Shoop ou Vernon Wood, connus pour leur travail avec les grands iris, ont obtenu des variétés de louisianas superbes. Il en est de même pour d’autres hybrideurs plus spécialisés, comme Dorman Haymon, Richard Goula, Neil Bertinot, Lois Belardi ou Richard Morgan. »
LA JEUNE FILLE : « N’y a-t-il qu’aux Etats-Unis que l’on s’intéresse aux iris de Louisiane ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Oh, non ! En France, la famille Anfosso a obtenu de très jolies choses. Mais les champions, ce sont les Australiens. »
LA JEUNE FILLE : « Pourquoi ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Essentiellement parce que dans la région de Sydney, les iris de Louisiane trouvent un climat et une richesse du sol qui leur conviennent tout à fait. Le leader australien s’appelle John Taylor. Puisque tu t’intéresses aux grands iris, tu dois connaître Graeme Grosvenor. C’est le beau-frère de John Taylor. Celui-là truste les récompenses dans son pays, mais il a fort affaire avec Heather et Bernard Pryor, qui multiplient les réussites et, surtout, ont réussi à s’implanter suffisamment aux USA pour que leurs obtentions y retiennent l’attention des juges, qui leur ont déjà accordé plusieurs Awards of Merit. Il y a encore Janet Hutchinson qui se distingue surtout par ses iris jaunes ou couleur miel. »
LA JEUNE FILLE : « Quel dommage que l’on ne rencontre pas plus souvent ces iris là ! »
L’AMATEUR D’IRIS : « Sans doute, mais consolons-nous en allant admirer les magnifiques iris à barbes, comme il y en a tant, là-bas, presque en face, dans le parc de la Beaujoire. »
Le vent d’ouest s’était un peu levé et nos deux promeneurs ont repris leur marche, en redescendant vers l’Erdre, où leur bateau les attendait pour les reconduire vers la ville, là-bas, au bout de cette grande plaine d’eau aux reflets d’argent.
(1) L’auteur peut-il demander aux Amis de René Boylesve de pardonner cette allusion à l’un des ouvrages de leur écrivain vénéré ?
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