3.2.06

LES LEÇONS D’IRIS DANS UN PARC
Un parcours initiatique dans des jardins imaginaires

Troisième leçon : les iris de Californie

A Madère, dans les hauteurs de Funchal, la capitale, de superbes propriétés aristocratiques, les « quintas », dissimulent derrière leurs hauts murs des demeures cossues et des parcs idylliques. Ici, la maison est accotée à une vaste terrasse qui sert de potager. Au fond et en surplomb coule sous les frondaisons la « levada » qui alimente en eau la quinta. Sur le côté des arbres énormes étendent leurs longues branches robustes jusqu’à la maison qu’ils abritent du soleil. Les fenêtres sont largement ouvertes. A l’étage, un enfant répète sa leçon de piano. Les notes maladroites s’égrènent dans le vent léger et s’écoulent vers le parc qui descend par pallier successifs. Devant, c’est l’océan, le port de Funchal, à l’abri de sa jetée ; à gauche les collines de Monte ; à droite le ravin de la riveira Joao Gomes qui plonge vers la mer et entraîne le flot de la circulation automobile que l’on entend à peine. Une dame âgée, appuyée sur sa canne d’ébène et d’ivoire, et accompagnée d’un homme plus jeune qui lui tient aimablement le bras, descend à petits pas l’allée sablée. Elle se dirige vers un large massif où poussent de petites plantes touffues au feuillage aigu et aux fleurs vivement colorées.

LA VIEILLE DAME : « J’ai toujours adoré les iris. Pendant la dictature de Salazar, nous étions réfugiés en France, comme vous le savez. Nous habitions St Cloud, pas très loin de chez la Princesse Wolkonsky, et, à la saison, j’allais tous les ans passer de longs moments à Bagatelle, au milieu des iris. Je me disais que si un jour je revenais à Madère, j’essaierais d’en faire pousser dans le jardin. Mais les grands iris que j’ai fait venir d’Amérique n’ont rien donné. Je n’avais pas compris qu’il leur fallait une période de froid pour relancer leur végétation, et ici ! … Alors j’ai pensé aux iris de Californie. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Et apparemment vous avez bien fait ! »
LA VIEILLE DAME : « Ce sont des plantes qui s’adaptent un peu partout. Il paraît qu’on en trouve même dans des pays où les hivers sont froids. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Oui, les Américains ont réussi à en faire pousser dans l’Oklahoma, et on en trouve en Suisse ! Les nouveaux hybrides ont fait beaucoup de progrès en matière de résistance au froid. »
LA VIEILLE DAME : « Ici, ils n’ont pas ce problème. Il n’y a pas d’hiver à proprement parler, mais je les fais arroser pendant les mois qui correspondent à l’hiver en Californie, et ils profitent de chaleur et sécheresse le reste de l’année »
L’AMATEUR D’IRIS : «Vous savez que les hybrides comme ceux que vous cultivez proviennent essentiellement de croisements entre quatre espèces botaniques ? »
LA VIEILLE DAME : « Oui, I. douglasiana, d’abord, c’est lui qui a donné à nos plantes leur taille de 35 à 40cm et leur relative rusticité. Il y a aussi I.innominata qui, lui, a apporté le choix des couleurs et une longue période de floraison. I. munzii, a transmis les ondulations des pétales et sa couleur bleue. Quant à I. tenax, il a renforcé toutes ces caractéristiques, surtout, d’ailleurs, la résistance sous les climats les moins cléments. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Je vois que vous avez bien étudié la question ! Vous êtes incollable sur les iris de Californie ! Que pouvez-vous dire encore, à leur sujet ? »
LA VIEILLE DAME : « Qu’ils sont bien délicats à transplanter ! Pourtant leurs rhizomes durs et ligneux et leurs grosses racines charnues laissent à penser qu’ils doivent être robustes. Mais j’ai eu beaucoup d’échecs. Il faut que les nouvelles racines, celles qui sont blanches, soient bien formées, et que les plantes aient été maintenues bien humides pendant toute la période entre l’arrachage et la replantation. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ces difficultés n’empêchent pas les échanges entre les Etats-Unis et l’Australie. Ces deux pays se partagent le domaine de l’hybridation de ces iris. Je crois même qu’au tout début, ce sont les Australiens qui ont réussi les plus beaux hybrides. Ce n’est que dans les années 60 qu’ils se sont vraiment développés et on peut dire que leur véritable popularité ne date que des années 80. »
LA VIEILLE DAME : « Ce que j’aime particulièrement, c’est la forme des fleurs. C’est presque la même que celle des iris de Sibérie, qui est particulièrement gracieuse. Les iris de Californie ont les mêmes sépales larges et vivement colorés, et les mêmes pétales dressés. Mais en plus, ils ont un choix bien plus large de couleurs. Regardez, ce n’est pas le bleu qui domine. Il y a du pourpre, du rose, du jaune, du blanc, de l’orange, du bronze, du grenat… Il y a des variétés bi et même tricolores, des veines colorées sur fond clair… »
L’AMATEUR D’IRIS : « Je regrette un peu qu’ils ne soient pas plus grands. On voit en fait les fleurs par le dessus, ce qui les fait paraître toutes plates : il faut s’accroupir pour apprécier leur relief. »
LA VIEILLE DAME : « C’est tout à fait comme les iris nains standards. Mais on en apprécie que mieux le jeu des couleurs, avec les veines et l’éclat du signal. »
L’AMATEUR D’IRIS : « D’où proviennent les iris qui sont sous nos yeux ? »
LA VIEILLE DAME : « Essentiellement de chez Joë Ghio, en Californie. C’est le meilleur hybrideur de ces plantes-là. Il est enregistre chaque année de nouvelles variétés, et je me fais à chaque fois de nouvelles envies. »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ce qui est amusant, c’est qu’il ne les appelle pas iris de Californie, mais « pacificas » ! Cela date du tout début de l’hybridation. A cette époque on parlait d’iris « Pacific Coast », et il a conservé cette appellation. »
LA VIEILLE DAME : « J’aime bien aussi ce que font Lois Belardi, Vernon Wood ou John Weiler. Il y a des variétés de tous ces gens-là dans ma collection. Venez, que je vous montre cela en détail… »

Appuyée sur l’épaule de son accompagnateur, la vieille dame a repris sa marche. Elle descend lentement la large allée. Une douce chaleur parfumée s’élève des massifs de fleurs de toutes sortes. Il n’y a nulle agitation, nulle ardeur. Sur la mer, au loin, un gros navire de croisière s’approche. Mais dans ce paradis, on se sent protégé du monde extérieur dont l’existence n’est perceptible qu’à travers la légère rumeur qui monte de la ville. Tout est calme et volupté…

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