LES LEÇONS D’IRIS DANS UN PARC
Un parcours initiatique dans des jardins imaginaires
Quatrième leçon : les iris du Japon
De la route, c’est à peine si l’on aperçoit le petit château. Non seulement les murs qui l’enferment sont assez élevés, mais il se cache parmi de grands arbres. Derrière c’est immédiatement le flan de la colline ; devant, c’est une grande pelouse qui descend en pente douce jusqu’à la petite rivière. Sur le côté droit, une vaste pièce d’eau reçoit un ruisseau minuscule, qui a contourné la colline et qui, avant d’aller rejoindre la rivière, s’attarde un moment et paresse autour des nénuphars. C’est un peu plus qu’une mare, pas tout à fait un étang. De hauts bambous en occupent toute la rive opposée au château, ils sont si denses qu’il paraît impossible de pénétrer dans ce bosquet. L’endroit prend un aspect si exotique qu’on ne se croit plus en Touraine, mais transporté brusquement bien loin, sans doute au Japon… D’autant plus qu’en ce soir de juillet, de grosses gouttes molles et éparses annoncent un orage qui commence à gronder dans un ciel gris et terne.
A l’abri d’un large parapluie, la maîtresse de maison converse au bord de l’eau avec son ami l’amateur d’iris.
LA MAÎTRESSE DE MAISON : « Ce sont les bambous qui te font penser au Japon ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Oui, évidemment, chaque fois que je reviens ici, je ressens la même impression : calme et sérénité ; le Japon, en quelque sorte. Ou tout au moins, une certaine idée du Japon. »
LA MAÎTRESSE DE MAISON : « Mais où sont les iris dont tu m’as parlé ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Ils sont commandés ! Tu les recevras fin septembre ou début octobre. Tu as le temps de préparer le terrain comme il faut, parce que ce sont des plantes délicates. Mais je connais tes qualités de jardinière. »
LA MAÎTRESSE DE MAISON : « Je sais ! Une terre très riche, acide, beaucoup d’eau au printemps, beaucoup d’engrais avant et après la floraison… »
L’AMATEUR D’IRIS : « Mais, dans ces conditions, l’assurance de plantes formidables. Ce n’est pas pour rien que les Japonais cultivent ces fleurs depuis le début du 16eme siècle ; ils avaient repéré une vraie merveille. Et tout cela à partir d’une seule espèce botanique, l’Iris ensata. Au début, il n’y avait que des fleurs simples, avec trois tout petits pétales, trois sépales plus larges et trois styles, d’un violet pourpré veiné de blanc ; aujourd’hui, après cinq siècles de croisements et plusieurs milliers de variétés obtenues, on dispose de fleurs doubles, aux pétales aussi larges que les sépales, étalées à l’horizontale, au bout de tiges fines mais solides. Ces fleurs me font penser aux assiettes que certains jongleurs chinois font tourner à l’extrémité d’une perche. En masse, elles donnent un spectacle extraordinaire. Tu verras cela dans deux ans ! »
LA MAÎTRESSE DE MAISON : « Mais il n’y en a que des bleus ! »
L’AMATEUR D’IRIS : « Non. Le bleu est la couleur dominante, mais cela va du blanc, au rose orchidée et même au grenat. La seule couleur qui manque vraiment, c’est le jaune et ses dérivés, l’orange ou le brun. Certains obtenteurs essaient de franchir cet obstacle en croisant les iris du Japon actuels avec l’Iris pseudacorus, l’iris jaune de nos fossés. Mais les résultats ne sont pas encore très intéressants. On trouve aussi des fleurs veinées, marbrées, tachées. Bref le choix n’est pas si restreint que cela. D’ailleurs, tu verras. Je t’ai commandé un panel de variétés très diverses. »
LA MAÎTRESSE DE MAISON : «Ils viennent d’Amérique ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Oui, mais pas seulement. Tu auras des variétés japonaises, bien entendu, et des variétés australiennes. Mais la majorité sont américaines. Quand la passion pour les iris du Japon s’est internationalisée, ce sont les Américains qui ont saisi le flambeau. W. Arlie Payne ou Walter Marx ont consacré toute leur vie à ces iris. D’autres obtenteurs comme Fred Maddocks, ont continué. Puis vinrent le tour de Lorena Reid, de Terry Aitken, de Clarence Mahan, sans oublier le Dr Currier McEwen qui a été le premier à obtenir de iris du Japon tétraploïdes. »
LA MAÎTRESSE DE MAISON : « Ques aco ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « Les ensatas sont naturellement diploïdes, ils n’ont que deux jeux de chromosomes. En traitant les graines à la colchicine, McEwen est parvenu à un doublement du nombre des chromosomes. Du coup, les possibilités d’évolution qui étaient un peu limitées après cinq siècles de croisements, ont été multipliées. On peut dire que les iris du Japon ont de cette façon acquis une nouvelle jeunesse. »
LA MAÎTRESSE DE MAISON : « Tu crois qu’il faut les planter auprès de l’eau ? »
L’AMATEUR D’IRIS : « C’est même recommandé ! Si, au printemps, ton étang déborde un peu et inonde tes iris, ce ne sera pas pour leur déplaire. Ils fleuriront peut-être un peu plus tard, mais cela n’en est que mieux : la saison des iris sera ainsi prolongée en beauté. Et puis, l’été, l’humidité est indispensable. Tu vois qu’au bord de l’eau ils devraient être heureux. »
LA MAÎTRESSE DE MAISON : « J’ai hâte de les voir fleurir ! »
La pluie d’été commençait à s’aggraver, criblant l’eau de myriades de petits impacts. Les deux amis reprirent alors le chemin du château où les attendait une bonne tasse de thé. Japon oblige !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire