DANS UN JARDIN DE CURÉ
La vieille maison est accolée à l’église. On dirait qu’elle en recherche la protection. Les pierres qui la constituent sont les mêmes que celles de sa voisine trapue, de sorte qu’on a l’impression qu’elle ne font qu’un. Ce sont les pierres brunes dont sont bâties les maisons auvergnates, ces maisons massives, épaisses, prêtes à affronter les rigueurs des hivers et les affronts des ans. Elles ont l’air sévère, comme cela, mais un détail, un perron surélevé, un porche monumental, leur donne une grâce, un cachet qui fait qu’on a envie d’y pénétrer.
Celle-là est d’une extrême simplicité, certain la trouvent austère, mais elle se fait discrète, en fait, pour ne pas porter ombrage à la rustique église romane, sa voisine. C’est l’église qu’il faut voir, pas la maison. Elle, elle n’est là que pour loger le curé. Enfin, elle était là pour ça, mais aujourd’hui c’est une maison de vacances pour le plaisir de quelque citadin amateur de vieilles pierres et de jardin clos.
Un simple portail de ferronnerie s’ouvre sur une allée empierrée, toute droite, qui mène au seuil de la maison. Pour atteindre le jardin, il faut contourner la bâtisse, ou la traverser. Sur l’autre face, la maison domine quelque peu son jardin, puisqu’il faut descendre cinq marches pour y accéder. C’est bien un jardin de curé, avec d’étroites allées, rectilignes, se coupant à angle droit, de rigoureuses bordures de buis, taillés court, et des plates-bandes destinées à l’origine à accueillir les plantes potagères cultivées pour nourrir le pasteur du village. Sur la côté néanmoins, le long du flan de l’église, une étroite bordure, qui court sur toute la longueur du jardin, était affectée aux fleurs. Des fleurs utiles, évidemment. Des fleurs pour décorer l’autel. Le propriétaire actuel a respecté cette destination et les fleurs qui s’y trouvent doivent être celles que le dernier curé avait plantées. Pour le printemps, ce sont des pivoines et des iris, des campanules, pour l’été, des lis, des fuchsias, des valérianes, pour l’automne des asters… Et plein de rosiers, touffus, un peu échevelés, qui se couvrent de fleurs charmantes dès la fin de mai.
Le curé devait être un homme méticuleux, peut-être un véritable amateur. En tout cas les touffes d’iris sont repérées par de petites plaques d’aluminium où, malgré les temps, l’oxydation et les lichens on peut encore lire le nom des variétés. Ce sont des iris français, de la grande période 1920/1930, qui feraient le bonheur de bien des collectionneurs. Les couleurs sont essentiellement du blanc, du rose, du bleu et du mauve : des teintes mariales propres à constituer des bouquets innocents pour les fêtes de l’Ascension ou de la Pentecôte. Comme on se voit bien, enfants, dans l’odeur sucrée des iris, chantant en chœur « Beau mois de mai, mois de Marie … » !
Des iris blancs, il y en a au moins trois : ‘Candeur’ (Nonin 33), ‘Iceberg’ (Cayeux 30) et ’La Neige’ (Verdier 12) ; en un peu plus coloré, ‘Marquita’ (Cayeux 31) exhibe ses pétales blancs et ses sépales finement rayés de pourpre ; ‘Yves Lassailly’ (Cayeux 28) s’orne de stries jaunes et pourpres sur les épaules ; ‘Arlette’ (Cayeux ?) est là aussi, en blanc crémeux, pour faire la transition avec les « roses » -ou du moins ceux que l’on disait de cette couleur avant l’apparition des vrais roses, et qui se placent entre le rose et le mauve. ‘Distinction’ (Cayeux 25) est de ceux-là, de même que ‘Charmeur’ (Cayeux 31), et même le superbe ‘Evolution’ (Cayeux 29), de deux tons pastels. ‘Béotie’ (Cayeux 32), franchement gris, doit être là pour les dimanches de Carême, ou pour les cérémonies d’obsèques, peut-être en compagnie d’ ‘Archevêque’ (Vilmorin 11), lui aussi bien sombre. En jaune, il n’y a qu’ ‘Eclador’ (Cayeux 32). L’ancien curé ne devait guère apprécier cette couleur. En revanche, des bleus ou violet, on en compte au moins cinq ! Le délicieux ‘Docteur Chobaut’ (Millet 31), bleu de lin, l’indigo ‘Germaine Perthuis’ (Millet 24), et puis aussi ‘Melle Schwartz’ (Denis 16), entièrement habillée de lilas clair, suivie de ‘Souvenir de Laetitia Michaud’ (Millet 23), bleu d’azur et ‘Mady Carrière’ (Millet 05), bleu pâle, la plus vieille variété de cette collection. Enfin, entre rose et mauve, l’inoubliable ‘Thaïs’ (Cayeux 26) est là, à proximité d’une énorme touffe de simple pallida, au délicieux parfum. Depuis combien de temps ces iris sont-ils là ? Sûrement plusieurs dizaines d’années, sans avoir jamais été transplantés. Ils arrivent à se bousculer un peu les uns les autres, de sorte que les séparer pour refaire la bordure serait des plus délicat, mais tels quels, ils forment une longue ligne où la confusion donne charme et fantaisie à un jardin qui se caractérise par ailleurs par sa rigueur géométrique.
Le soleil couchant, qui dore les vieilles pierres, et l’unique cloche qui sonne l’angélus, font de ce décor tranquille, une scène bucolique : on s’attend à voir une vieille femme, en longue robe noire et coiffe de dentelle, traverser lentement le jardin, clopinant dans ses sabots, pour se rendre à la prière du soir. Les iris anciens, couverts de fleurs, ne font que donner plus de force à cette image. Où est l’illusion ? Où est la réalité ?
La vieille maison est accolée à l’église. On dirait qu’elle en recherche la protection. Les pierres qui la constituent sont les mêmes que celles de sa voisine trapue, de sorte qu’on a l’impression qu’elle ne font qu’un. Ce sont les pierres brunes dont sont bâties les maisons auvergnates, ces maisons massives, épaisses, prêtes à affronter les rigueurs des hivers et les affronts des ans. Elles ont l’air sévère, comme cela, mais un détail, un perron surélevé, un porche monumental, leur donne une grâce, un cachet qui fait qu’on a envie d’y pénétrer.
Celle-là est d’une extrême simplicité, certain la trouvent austère, mais elle se fait discrète, en fait, pour ne pas porter ombrage à la rustique église romane, sa voisine. C’est l’église qu’il faut voir, pas la maison. Elle, elle n’est là que pour loger le curé. Enfin, elle était là pour ça, mais aujourd’hui c’est une maison de vacances pour le plaisir de quelque citadin amateur de vieilles pierres et de jardin clos.
Un simple portail de ferronnerie s’ouvre sur une allée empierrée, toute droite, qui mène au seuil de la maison. Pour atteindre le jardin, il faut contourner la bâtisse, ou la traverser. Sur l’autre face, la maison domine quelque peu son jardin, puisqu’il faut descendre cinq marches pour y accéder. C’est bien un jardin de curé, avec d’étroites allées, rectilignes, se coupant à angle droit, de rigoureuses bordures de buis, taillés court, et des plates-bandes destinées à l’origine à accueillir les plantes potagères cultivées pour nourrir le pasteur du village. Sur la côté néanmoins, le long du flan de l’église, une étroite bordure, qui court sur toute la longueur du jardin, était affectée aux fleurs. Des fleurs utiles, évidemment. Des fleurs pour décorer l’autel. Le propriétaire actuel a respecté cette destination et les fleurs qui s’y trouvent doivent être celles que le dernier curé avait plantées. Pour le printemps, ce sont des pivoines et des iris, des campanules, pour l’été, des lis, des fuchsias, des valérianes, pour l’automne des asters… Et plein de rosiers, touffus, un peu échevelés, qui se couvrent de fleurs charmantes dès la fin de mai.
Le curé devait être un homme méticuleux, peut-être un véritable amateur. En tout cas les touffes d’iris sont repérées par de petites plaques d’aluminium où, malgré les temps, l’oxydation et les lichens on peut encore lire le nom des variétés. Ce sont des iris français, de la grande période 1920/1930, qui feraient le bonheur de bien des collectionneurs. Les couleurs sont essentiellement du blanc, du rose, du bleu et du mauve : des teintes mariales propres à constituer des bouquets innocents pour les fêtes de l’Ascension ou de la Pentecôte. Comme on se voit bien, enfants, dans l’odeur sucrée des iris, chantant en chœur « Beau mois de mai, mois de Marie … » !
Des iris blancs, il y en a au moins trois : ‘Candeur’ (Nonin 33), ‘Iceberg’ (Cayeux 30) et ’La Neige’ (Verdier 12) ; en un peu plus coloré, ‘Marquita’ (Cayeux 31) exhibe ses pétales blancs et ses sépales finement rayés de pourpre ; ‘Yves Lassailly’ (Cayeux 28) s’orne de stries jaunes et pourpres sur les épaules ; ‘Arlette’ (Cayeux ?) est là aussi, en blanc crémeux, pour faire la transition avec les « roses » -ou du moins ceux que l’on disait de cette couleur avant l’apparition des vrais roses, et qui se placent entre le rose et le mauve. ‘Distinction’ (Cayeux 25) est de ceux-là, de même que ‘Charmeur’ (Cayeux 31), et même le superbe ‘Evolution’ (Cayeux 29), de deux tons pastels. ‘Béotie’ (Cayeux 32), franchement gris, doit être là pour les dimanches de Carême, ou pour les cérémonies d’obsèques, peut-être en compagnie d’ ‘Archevêque’ (Vilmorin 11), lui aussi bien sombre. En jaune, il n’y a qu’ ‘Eclador’ (Cayeux 32). L’ancien curé ne devait guère apprécier cette couleur. En revanche, des bleus ou violet, on en compte au moins cinq ! Le délicieux ‘Docteur Chobaut’ (Millet 31), bleu de lin, l’indigo ‘Germaine Perthuis’ (Millet 24), et puis aussi ‘Melle Schwartz’ (Denis 16), entièrement habillée de lilas clair, suivie de ‘Souvenir de Laetitia Michaud’ (Millet 23), bleu d’azur et ‘Mady Carrière’ (Millet 05), bleu pâle, la plus vieille variété de cette collection. Enfin, entre rose et mauve, l’inoubliable ‘Thaïs’ (Cayeux 26) est là, à proximité d’une énorme touffe de simple pallida, au délicieux parfum. Depuis combien de temps ces iris sont-ils là ? Sûrement plusieurs dizaines d’années, sans avoir jamais été transplantés. Ils arrivent à se bousculer un peu les uns les autres, de sorte que les séparer pour refaire la bordure serait des plus délicat, mais tels quels, ils forment une longue ligne où la confusion donne charme et fantaisie à un jardin qui se caractérise par ailleurs par sa rigueur géométrique.
Le soleil couchant, qui dore les vieilles pierres, et l’unique cloche qui sonne l’angélus, font de ce décor tranquille, une scène bucolique : on s’attend à voir une vieille femme, en longue robe noire et coiffe de dentelle, traverser lentement le jardin, clopinant dans ses sabots, pour se rendre à la prière du soir. Les iris anciens, couverts de fleurs, ne font que donner plus de force à cette image. Où est l’illusion ? Où est la réalité ?
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