16.9.11

UNE HISTOIRE DE FEUILLES




Après les rhizomes, les racines et les sexes, abordons maintenant la question des feuilles.

Les iris ne sont pas réputés pour la beauté de leur feuillage. Dans un pastiche de « Pour un herbier » de madame Colette, j’ai dit : « L’iris, au demeurant, n’est pas une fleur discrète : c’est un chevalier, un souverain. Observons avec quel dédain se dresse sa fleur, au sommet de la hampe. Il est fier et dominateur, et ses feuilles acérées et dressées lui font une garde rapprochée raide et menaçante. » Oui, les feuilles d’iris, avec leur rigidité de glaive, n’ont guère de grâce ! Mais cette apparence rébarbative n’est que la résultante du rôle qu’elles jouent dans l’écologie de la plante.

L’iris, du moins l’iris des jardins, est un cocktail d’espèces presque toutes issues de régions où l’eau est rare. Que ce soit l’Europe méditerranéenne ou les collines arides du Moyen-Orient. Il s’est donc adapté aux conditions de l’endroit où il pousse. Car les plantes ne peuvent pas faire autrement. Elles ont choisi, à l’aube des temps, de vivre sans se déplacer. Elles ont donc l’impérative nécessité de développer des stratégies qui leur permettent de croître et de prospérer là où le hasard les a fait naître. Au fil des millénaires elles se sont transformées dans le seul but de survivre. L’iris a choisi des régions sèches et souvent brûlantes : il a fait son affaire de ces conditions.

Il a concentré ses forces vives dans un rhizome charnu où il entrepose ses réserves alimentaires, pour les longues périodes où il a l’obligation de s’économiser et pour celle où il va devoir fournir un effort important qu’une alimentation par les seules racines n’est pas en mesure de soutenir (pousse printanière, floraison, formation des graines…). Il a néanmoins besoin d’eau et, là où il y en a peu, et rarement, il a créé un appareil capable de recueillir la moindre goutte d’une ressource vitale. Une feuille d’iris est un capteur d’eau. Se dressant verticalement, il tend vers le ciel ses lames plates et nervurées longitudinalement pour canaliser le liquide. La moindre humidité de l’air poussée par le vent est arrêtée par cet obstacle. A son contact elle se condense et forme de minuscules gouttes qui vont glisser, entraînées par la gravité, vers la base de la plante. Les aiguilles des conifères ou les feuilles minuscules des autres plantes des milieux arides jouent le même rôle.

L’eau ainsi arrêtée va abreuver le rhizome quand les racines peinent à trouver dans le sol desséché ce qu’il faut d’humidité pour que vive l’iris. C’est pourquoi cet iris si frugal va se plaire sur les talus et les surfaces pentues. Il en est même venu à redouter l’eau quand elle s’attarde sur le sol : gare, alors, à la pourriture !

Le rôle de la feuille d’iris ne se résume pas à récupérer l’eau du ciel. Il est essentiellement, de permettre la photosynthèse et, par conséquent, l’alimentation de la plante en carbone transformé ensuite en glucides lesquels constituent l’élément principal de la chair du rhizome. Sans feuilles l’iris ne peut pas vivre, c’est pourquoi il est inutile, et même déconseillé, de les couper ou de les enlever avant leur complet dessèchement ou la fin de leur période de végétation active.

En effet, comme tout élément vivant, une feuille d’iris ne dure qu’un temps. Un temps relativement long, marqué par une croissance ultra rapide, une existence de quelques mois, puis une fin programmée au moment où la plante s’installe pour l’hiver. Au début du printemps la feuille n’est qu’une amorce de feuillage, haute de quelques centimètres, qui se met à grandir d’environ un centimètre par jour, jusqu’à atteindre une taille de 60 cm environ pour les grands iris. Cette croissance s’effectue à partir de la base de la feuille, comme chez les poacées, ce qui fait que celle-ci peut être épointée sans que la pousse soit interrompue. D’un vert moyen, plutôt clair, elle conserve sa fraîcheur pendant toute la durée de la période de floraison (l’anthèse comme disent les savants), puis elle commence son déclin. Bien souvent celui-ci se manifeste par l’apparition de piqûres virales qui lui font perdre de sa superbe sans affecter la plante elle-même. Pour en finir, elle se dessèche en commençant par la pointe, mais la dessiccation atteint peu à peu tout le limbe. Elle ne se détache pas facilement du rhizome auquel elle tient fortement ; ce n’est que lorsqu’elle est totalement ratatinée qu’elle s’enlève en laissant la cicatrice de sa présence sur le dessus du rhizome.

Certains obtenteurs d’iris, peut être à court d’idées dans leur travail de créateurs, s’intéressent aux feuilles en tant qu’élément esthétique. D’où certaines recherches orientées vers la couleur ou la persistance du feuillage. On voit donc des iris dont on vante les feuilles dont la base se colore de violet ou de pourpre, et d’autres dans les teintes dorées sont mises en avant, à moins qu’on ne parle de feuilles panachées… Quoi qu’on fasse, panachées, dorées ou pourprées, les feuilles vont vite devenir brunâtres ou grisâtres peu après la fin de la floraison, période pendant laquelle on regarde évidemment les fleurs et non les feuilles ! On peut avoir des doutes quant à l’intérêt d’une recherche sur la couleur du feuillage. En revanche chercher à obtenir une plante avec un feuillage sain, vigoureux, assez touffu fait partie des obligations du bon hybrideur !

Mais, même si le système foliaire est primordial, il est bien rare qu’on cultive un iris pour ses feuilles !

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