7.9.13

TROIS ANCIENS MAÎTRES

Le monde des iris ne s’est pas fait en un jour. Tel que nous le connaissons, il a derrière lui cent vingt ans de développement. Cette extension n’a été possible qu’à des qualités qu’on rencontre encore aujourd’hui mais qui caractérisait déjà, dès le début, ceux qui y ont cru et qui ont mis tout leur génie et tout leur cœur à le faire évoluer. Les trois personnages dont il va être question maintenant font partie de ces pionniers dont les amateurs des années 2000 doivent connaître l’existence et l’œuvre.

Clarence P. Connell 

Dans les années 1930/1940 l’une des métropoles du monde des iris était Nashville, capitale de l’Etat de Tennessee. Il y eut dans cette ville et ses environs jusqu’à dix obtenteurs patentés. Cet engouement pour les iris était essentiellement le fait de l’action de deux pionniers : James Kirkland et Clarence Connell. Le premier, dont il va être question plus loin, était Président de l’Université Vanderbilt, le second superintendant de l’Hôpital Universitaire Vanderbilt ! L’un et l’autre se connaissaient évidemment et étaient même amis. Ce sont eux qui ont communiqué la passion des iris à de nombreuses personnes de leur entourage.

L’un et l’autre ont aussi décroché une Médaille de Dykes, et c’est Connell qui a commencé avec ‘Dauntless’ qui a été récompensé en 1929. Il pratiquait l’hybridation depuis l’âge de 14 ans, quand il avait vu faire sa grand’mère et qu’il s’était amusé à faire comme elle jusqu’au moment où il s’est réellement passionné pour ce hobby.

‘Dauntless’ est ce qu’on appelle un iris « rouge » (pétales rouge magenta, sépales rouge acajou) ; il a fait la réputation de son obtenteur. Celui-ci décrit ainsi son cheminement vers cette fleur remarquable pour son époque : « L’examen au microscope des pétales et sépales d’une fleur de ‘Cardinal’ (Bliss, 1919) m’a démontré qu’il pouvait produire du jaune. Alors est intervenue la recherche d’une partenaire fiable. ‘Rose Madder’ (Sturtevant, 1920) a été choisi parce qu’il n’a pas de bleu et qu’il a des lignes jaunes sur les sépales. Ce fut un heureux croisement qui a produit ‘Dauntless’ dès la première génération. » Mais ce n’était cependant pas le jaune qu’il espérait ! Il a donc poursuivi son travail croisant et recroisant ces obtentions et celles de son ami Kirkland, pratiquant ce qu’il appelait l’hybridation sélective.

 Il a obtenu et mis sur le marché un grand nombre de variétés valeureuses mais qui n’ont pourtant pas recueilli le succès de son ‘Dauntless’. Citons entre autre ‘Aubade’ (1927), ‘Nepenthe’ (1931), ‘Hypnos’ (1931), ‘Parthenon’ (1934) et celle qu’il considérait comme son meilleur iris : ‘Blithesome’ (1930), blanc poudré de jaune.

Wylie McLean Ayres 

 Il était oculiste à Cincinnati dans l’Etat d’Ohio. Lui aussi est venu à l’iridophilie en commençant ce qui allait devenir un second métier par la création d’une petite collection d’iris. Le début de cette passion se situe en 1914 mais le véritable travail d’hybridation n’a commencé que vers 1920. Ses études de médecine l’avaient amené à s’intéresser à l’hérédité et la génétique et il a mis ces connaissances dans son travail d’hybrideur. Il avait aussi compris qu’une particulière sévérité devait intervenir au moment de décider de conserver une nouvelle variété. Il estimait que seulement un semis sur mille pouvait être suffisamment beau et différent pour mériter d’être conservé. Il avait une vision lucide de l’avenir des iris : « Je pense que nous avons tout juste commencé de gratter la surface et que les progrès concernant cette reine des jardins fleuris ne font que commencer (…) Je veux croire que quelqu’un sera assez heureux, soit par chance soit par avancée scientifique pour obtenir, dans un futur proche, un iris vraiment écarlate, un vraiment joli rose crevette, des roses sans aucune trace de bleu ou de lavande, un jaune parfait – ni trop pâle ni trop saturé, un bleu vraiment bleu, des mélanges de toutes sortes. Personnellement je voudrais aller vers un vrai rose crevette, rose flamant ou rose saumon, comme on en voit chez les meilleures azalées. »

Il savait que l’endogamie est la meilleure voie pour accroître les qualités, et particulièrement la couleur. C’est pourquoi il rassembla dans ses croisements tous les « rouges » alors disponibles. Croisant et re-croisant entre eux ses semis il réussit à obtenir ce qui pouvait se faire de mieux dans ce coloris à son époque. Les meilleurs sont peut-être ‘Burning Bronze’ (1934), bitone bronze et grenat, et ‘Byzantium’ (1934), qui retrouve le coloris de ‘Jean Cayeux’. Mais son cultivar le plus recherché a été ‘Indian Chief’ (1929), sans doute parce que son coloris bitone acajou était en avance sur son temps. Cependant la variété qui lui a apporté la gloire se nomme ‘Coralie’ (1931) qui a obtenu la DM en 1933.

Le docteur Ayres fait tout à fait partie des grands maîtres des années 1930 en Amérique.

James Hampton Kirkland (1859/1939) 

Ce fils de propriétaire terrien de Caroline du Sud devait mener de front plusieurs activités foncièrement différentes mais auxquelles il a consacré autant d’énergie et d’intelligence. Après de brillantes études dans son Etat natal, il a poursuivi sa formation en Allemagne, à l’Université de Leipzig. Il revint au pays avec de prestigieux diplômes et est devenu professeur de grec et de latin, avant de prendre la fonction de Président de l’Université Vanderbilt à Nashville (Tennessee). Il conserva ce poste pendant quarante-quatre ans, mais en même temps se passionnait pour la pédagogie et l’organisation de l’enseignement. Croyant sincère, il consacrait une partie de son temps à la promotion de l’éducation parmi les Noirs. Mais ce ne sont pas ces éminentes activités qui amènent à le faire connaître ici, mais plutôt son intérêt personnel pour le jardinage et l’horticulture, et tout particulièrement celle des iris.

Cet homme éclectique a décrit son hobby en ces termes : « j’ai commencé à m’intéresser à la culture des iris, à peu près au moment où s’est créée l’AIS, en 1920. J’ai rejoint cette association dès le début (…). J’ai commencé mes expériences de pollinisation à titre de curiosité. Le résultat de ces essais n’a fait qu’accroître mon intérêt d’année en année. A présent tout mon jardin est consacré à ce travail et, en 1934, j’ai environ 4000 semis qui vont fleurir. » Parmi ceux-ci il y avait ‘Copper Lustre’ (1934), un bitone brun, qui devait obtenir la Médaille de Dykes en 1938. Cette variété avait été précédée de ‘Desert Gold’ (1929), jaune clair, et de ‘Black Wings’ (1930), considéré à l’époque comme le plus sombre des iris. Elle sera suivie de quelques autres comme ‘Junaluska’ (1942), autre bitone, en pourpre, cette fois.

Autant de réussite ne pouvait que combler un homme exceptionnel dont les iridophiles doivent être fiers de suivre le chemin.

 Sources : 
Cette chronique doit essentiellement à l’article de Howard E. Weed publié dans le n° de juillet 1934 du magazine « The Flower Grower », reproduit en fac-simile dans le n° 26/1 (printemps 2013) de la Revue « Roots » de la H.I.P.S.. 

 Illustrations : 

· ‘Parthenon’ 


· ‘Byzanthium’ 


· ‘Black Wings’ 


· ‘Junaluska’

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