15.11.13

ETRE JUGE AUJOURD’HUI

Il y a quelques temps, j’ai lu qu’un obtenteur américain se targuait d’être capable de proposer des variétés qui répondent aux goûts des juges. Voire ! En effet, si l’on analyse la liste des dix dernières Médailles de Dykes, par exemple, il ne me paraît pas possible d’en tirer un fil conducteur qui serait démonstratif d’un goût, ou d’une mode, que les juges mettraient en avant. On trouve en effet quatre unicolores (‘Sea Power’, ‘Golden Panther’, ‘Paul Black’ et ‘That’s All Folks’), trois plicatas (‘Splashacata’, ‘Starwoman’ et ‘Drama Queen’), un amoena inversé (‘Crowned Heads’), un « Emma Cook » (‘Queen’s Circle’) et un bicolore (‘Florentine Silk’). Rien qui dénote une tendance. Cela n’est guère différent chez les récipiendaires de la Wister Medal, si ce n’est qu’on a trois fois plus d’élus. Les goûts des juges paraissent donc très éclectiques. Bien sûr ils s’accordent sur certains côtés modernes, comme les fleurs bouillonnées (‘Sea Power’) ou les couleurs « tendance » (‘Crowned Heads’) et on peut imaginer qu’un jour prochain ils récompenseront une variété « distallata ». Cependant prétendre qu’on peut fabriquer quelque-chose qui corresponde à leur goût me paraît donc faire partie des vantardises.

Un autre reproche qui est fait aux juges actuels, c’est qu’ils se montreraient plutôt paresseux et qu’ils émettraient des jugements sans toujours se déplacer pour voir les iris. C’est une accusation grave qui a fait l’objet il y a quelques années d’une polémique dont le petit monde des iris a été secoué et qui a même eu un écho dans le Bulletin de l’AIS. Les auteurs de la rumeur conserveraient-ils quelque rancœur à la suite d’un échec ? On peut le craindre. Car si le risque existe, en faire une affirmation avérée, est un pas dangereux à franchir. Les juges ne font pas ça pour l’argent, ni pour la gloire, mais parce qu’ils ont une réelle passion pour les iris, qu’ils ont en général conscience de l’importance de leurs avis pour le progrès de l’horticulture, et qu’ils éprouvent une véritable jouissance à se promener dans les jardins et les expositions.

Le travail des juges, en Amérique du moins, est en fait assujetti à ce qu’on leur montre et qu’ils doivent apprécier. Si on leur présente des amoenas inversés, par exemple, ils jugeront des amoenas inversés. Ils seront donc sensibles à la mode, non pas tant parce qu’on les aura caressés dans le sens du poil en leur mettant sous les yeux les fleurs qu’ils souhaitent voir, mais parce qu’ils ne peuvent juger que ce qu’ils rencontrent dans les jardins. Ce n’est pas eux qui font la mode, mais c’est la mode qui les mène.

Pour en avoir côtoyé quelques-uns au cours des vingt dernières années, je sais qu’ils travaillent avec sérieux et que les notes qu’ils attribuent tiennent davantage compte des qualités horticoles des plantes à juger que de leur couleur ou de leur modèle. C’est peut-être cela d’ailleurs qui fait émettre à leur égard les critiques que l’on entend. On est bien obligé de constater que, de plus en plus, le monde de l’hybridation, aux Etats-Unis essentiellement, est contraint par des considérations économiques. Et comme il faut absolument présenter des nouveautés qu’on vendra un prix élevé, quitte à les abandonner très vite, on se montrera moins exigeant sur les critères de robustesse et de floribondité, pour privilégier le côté spectaculaire de la fleur. Mais les juges auront peut-être un point de vue différent, lequel pourra engendrer des frustrations favorables à la diffusion de propos perfides.

Cependant tout cela est une controverse totalement interne aux Etats-Unis. Car en Europe, le problème des juges ne se pose pas. Pour la bonne raison qu’il n’y en a pas et qu’il n’y en a pas besoin puisqu’il n’y a pas de course européenne aux honneurs. Ce n’est pas l’existence d’un ou deux grands concours annuels – au demeurant sérieusement remis en question ces temps-ci, pour d’autre raisons – qui justifiera l’existence de juges. Les compétitions qui se portent le mieux en Europe, ce sont celles où les amateurs eux-même constituent le jury. L’absence de juges adoubés n’a pas de conséquences désastreuses car on s’aperçoit que les jurés populaires, même s’ils n’appliquent pas forcément les mêmes critères de sélection que les juges « professionnels », finissent par émettre des jugements en général aussi valeureux. Le cas des compétitions allemande qui se déroule à Munich ou russe (Moscou) en est la démonstration : plusieurs de ses lauréats ont aussi été distingués dans d’autres concours où intervenaient des juges agréés.

La querelle cherchée aux juges officiels me paraît n’être qu’une mauvaise querelle, exclusivement américaine au demeurant, qui ne doit pas détourner les collectionneurs européens des variétés primées outre-atlantique, lesquelles demeurent ce à quoi ils peuvent au contraire se fier sans hésitation.

 Illustrations : 


 ‘Slovak Prince’ (Mego, 2002 ) récompensé à Munich (2001) et WM en 2009 aux USA


 ‘Money in your Pocket’ (P. Black, 2007) récompensé à Moscou (2011) et AM en 2011 aux USA


‘Fogbound’ (Keppel, 1998) récompensé à Moscou (2004)et WM en 2005. 


 ‘Hello Darkness’ (Schreiner,1992 ) récompensé à Orléans (2002) et DM en 1999

4 commentaires:

Anonyme a dit…

J'avoue ne pas comprendre: il n'y aurait pas de juge en Europe? De mémoire, je pense à Richard Cayeux, Jérôme Boulon, Sydney Linnegar, Gisela Dathe, Valeria Romoli, Valeria Roseli pour ne citer qu'elles et eux ne sont pas juges? La médaille Dykes (celle d'origine, pas sa cousine américaine), Munich, Franciris, Moscou, Florence ne sont pas des concours jugés par des juges? Précisez, Sylvain, précisez!

Mais si, nous avons besoin de juges, si possible approuvés par une instance unique comme l'AIS, de façon à pouvoir avoir des concours dignes. Quand aux récompenses américaines, elles sont attribuées par des juges qui connaissent les plantes par leur nom et leur origine. Et là, c'est peut-être une porte ouverte pour des effets de mode... même inconsciemment, on peut être influencé par un "grand" nom de l'hybridation...

Pour moi, une plante doit être jugée de façon complètement anonyme, ce qui est très difficile si l'une des règles est que les plantes doivent être introduites depuis au moins 2 ans!
Ce sont en effet les règles pour l'obtention d'une récompense outre atlantique.

AK

Sylvain Ruaud a dit…

Les personnes que vous citez ont effectivement obtenu le titre de juge. Pour que celui-ci soit maintenu il faut avoir exercé la fonction au moins une fois dans les cinq dernières années. Je n'ai pas fait le compte, mais combien répondent encore à ce critère ? Et comment maintenir la compétence sachant qu'il n'y a plus que Franciris à tenter encore d'exister? Néanmoins j'ai été sans doute trop restrictif - pour l'instant.
Dans les compétitions autres que Florence et Franciris il n'y a pas de juges au sens propre.
La quasi disparition des compétitions à juges en Europe limite singulièrement l'intérêt de la fonction et empêche pratiquement la formation des candidats, qui, au demeurant, sont fort peu nombreux, du moins en France.

Anonyme a dit…

Il y a actuellement dix-huit juges à la British Iris Society, plus sept autres qui sont juges émérites.
LR

Anonyme a dit…

Pour poursuivre ce que LR a écrit et sur un point de vue purement formel, il y a juges et il y a juges:

- un certain nombre de personnes sont adoubés par leur organisation nationale pour être juges chez eux (pour les compétitions et distributions de récompenses et de distinctions nationales). En europe, on va trouver des juges pour la BIS, pour l'organisation allemande, pour l'organisation italienne, russe, belarusse, europe de l'est, espagnole (?), etc.
- et puis il y a des juges un peu partout qui sont adoubés par l'AIS. Ceux-ci ont dû faire preuve à la fois de compétence et d'éthique et doivent être parrainés par des juges déjà approuvés, sauf cas exceptionnel par manque de ceux-ci dans la zone géographique considérée .

Qu'en est-il des juges "nationaux"? Quels sont les critères à partir desquels ils sont adoubés? Et pour aller un peu plus loin, quelle reconnaissance doit-on accorder alors aux concours nationaux, et ce, jusqu'à celui reconnu par tous: Florence!!?

Pour ma part,et au prix de passer pour iconoclaste, un concours se doit d'être régulier dans le temps et jugé de façon anonyme, ce qui exclue à mes yeux les récompenses américaines. Ils doivent tenir compte de la bonne tenue des plantes et non seulement de la "beauté" de la fleur, jugée "à la volée" et non dans le temps. À ce titre, Florence est un concours de beauté, pas un concours de plantes. ces concours doivent être jugés par des juges ayant déjà fait leur preuves ou ayant été approuvés par des juges déjà existants. La rareté de ce type de juge est un problème aujourd'hui, à moins que les organisations nationales mettent au point une procédure pour l'enregistrement de ces personnes.

À quand une procédure européenne pour des juges européens, acceptés par l'ensemble des organisations nationales d'Europe?

AK