10.10.14

DE LA POINTE AUX POMPONS

Histoire des iris à éperons 

C'est peut-être Ben Hager, dans « The World of Irises » qui a donné la meilleure description des iris à éperons, du moins tels qu'ils étaient en 1978 quand le livre a été publié. Voici ce qu'il a écrit : « Les iris (à éperons) se singularisent par des changements dans le développement de la zone des barbes de sorte que celles-ci s'allongent au-delà de leur situation normale sur les sépales et forment des éperons pointus plus ou moins longs, souvent accompagnés de barbes ou de longs filaments se terminant par de petits pétaloïdes ou des frous-frous sans barbes. Dans les meilleures circonstances, ce phénomène peut être considéré comme curieux, décoratif et même esthétiquement excitant comme dans le cas des gracieux appendices en forme de cuiller. Des éperons bien formés peuvent conférer à la fleur une sorte de gaîté communicative... » En trente cinq ans les choses ont pas mal évolué, mais l’essentiel tel qu'il est raconté par Ben Hager reste.

 Ces éperons ne datent pas d'aujourd'hui ! Il paraît qu'ils seraient apparus dans les années trente dans les jardins des frères Sass, dans le Nebraska. A l'époque ils étaient considérés comme des anomalies douteuses et tout simplement rejetés. Mais une personne a vu le parti qu'il pouvait en tirer. C'est Lloyd Austin, en Californie. Il s'est attaché à les multiplier à la fin des années 1950, à partir de variétés recueillies dans les champs de Sydney Mitchell. L'une de ces variétés « hérétiques » a, par la suite, reçu le nom prémonitoire de 'Advance Guard'. C'était le croisement de deux plicatas : 'Midwest' et un frère de semis de 'San Francisco'. Une autre étant un iris trouvé parmi les semis de Hans Sass. Nous voici donc, au début des années 1960, avec les premiers iris a éperons sélectionnés pour leurs étonnantes excroissances et qu'à cette époque de conquête spatiale on a baptisé « Space Age ».

Toujours dans « The World of Irises », on lit que Austin pensait que le phénomène des éperons était, au plan génétique, « partiellement dominant » parce que en croisant un iris à éperons avec une variété ordinaire on obtenait entre 10 et 30% de plantes à éperons, ce qui est nettement moins que ce que l'on trouve pour un trait complètement dominant. Cependant cette thèse a été combattue et on admet maintenant que les éperons sont des appendices récessifs. Mais je ne crois pas que la question soit définitivement réglée.

 Quoi qu'il en soit, les iris à éperons ont connu un vaste développement dans les trente dernières années, les hybrideurs s'étant fixé le but d'obtenir des fleurs pratiquement doubles. La multiplication des pétales ou pétaloïdes peut en effet aboutir à donner l'illusion que les fleurs doubles, au risque de faire en sorte que ces iris modifiés ne ressemblent plus à des iris ! C'est le reproche que font en général les opposants à ces sortes de fleurs.

Peu à peu, de générations en générations, les iris à éperons ont acquis de nouvelles qualités. Pour la fleur proprement dite, d'abord. Au début les éperons apparaissaient sur des fleurs à la substance fragile et donnaient souvent l'impression que celles-ci souffraient de quelque maladie inconnue. Pour les appendices eux-mêmes, ensuite. Dans les premiers temps, les éperons se sont limités à des excroissances peu développées et n'affectant qu'une partie des fleurs de chaque tige, les plus haut placées sur la hampe ; les plus basses étaient des fleurs normales. Peu à peu la fidélité des éperons s'est accrue, en même temps que leur volume. Mais ce développement a eu une conséquence fâcheuse qui a rendu bien disgracieuses certaines variétés. En effet, en prenant de l'ampleur, et surtout de la longueur, les éperons ont créé dans les sépales des tensions « musculaires » qui ont déformé les-dits sépales, la partie centrale acquérant de la rigidité qui a manqué au reste du sépales et fait que les côtés sont devenus mous et pendants : une catastrophe, à mon avis. Ces défauts de jeunesse ont maintenant disparu et les variétés nouvelles présentent des sépales semi-horizontaux généralement impeccables.

Les éperons ont eux-mêmes évolué. De simples pointes rappelant effectivement le rostre des vaisseaux de guerre des flottes grecques ou perses de l'antiquité, ils ont rapidement pris des allures variées, très différentes. Cela va de la petite cuiller au large pétaloïde rappelant les pétales d’œillets, étroits à la base mais devenant vite étalés et dentelés. Ces appendices, ondulés et dressés, ont maintenant atteint en hauteur celle des pétales eux-mêmes. De ce fait la fleur a changé radicalement d'aspect et celui des iris classiques a tendance à disparaître, comme il a disparu chez les iris dits « flatties » où les pétales atrophiés ou aplatis, ne se distinguent plus des sépales entre lesquels ils se glissent.

D'autres évolutions se sont produites. Certaines, comme de petits champignons, façon girolles, sont apparues au cœur de la fleur, mais cette transformation-là ne semble pas avoir été développée. D'autres, encore plus étonnantes, se répandent de nos jours : ce sont de véritables pompons très frisés qui remplacent les traditionnelles barbes. Ces pompons grossissent au fur et a mesure des recherches et des croisements et en viennent à envahir tout le cœur de la fleur. C'est original, mais il faudra s'y habituer comme on l'a fait pour les éperons proprement dits.

On pourra toujours préférer les fleurs traditionnelles, qui acquièrent elles-aussi de nouveaux caractères, Mais il ne faut pas rejeter les fleurs plus ou moins doubles qui viennent simplement enrichir les choix offerts aux amateurs d'iris. La gaîté communicative dont parle Ben Hager peut être ressentie devant n'importe quelle fantaisie.

 Illustrations : 

° 'Flounced Frivolity' (Austin, 1963)


 ° 'Gaius' (Muska, NR circa 2000) 


 ° 'Ostrogoth' (Peyrard, 1994) 


 ° 'Westpointer' (Sutton G., 2001)

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