13.3.15

UN ÉCHEC BIENFAISANT ?

Comme la tulipe noire ou la rose bleue, l'iris rouge est un fantasme d'horticulteur avide de parvenir à ce qui paraît inaccessible. Mais si les deux premiers ont finalement été atteints, le troisième reste encore bien loin de se réaliser.

Pour obtenir des iris rouges, les hybrideurs sont partis de fleurs brunes qu'ils ont croisées avec des fleurs orange ou roses. Mais le résultat n'a jamais été parfait. Certes certaines variétés se présentent en un brun-rouge, plus rouge acajou ou rouge bordeaux que vraiment rouge, mais le procédé n'est plus vraiment efficace et il y a longtemps qu'une véritable avancée dans cette voie ait eu lieu. Partant de ce constat le regretté Richard Ernst a entrepris de régler le problème par la biologie et la recherche génique. Son projet était ambitieux et il s'est donné les moyens de le faire aboutir. Il s'est dit que le pigment rouge ne se trouvant concentré, chez l’iris, que dans les poils de certaines barbes, pour avoir des pétales et des sépales rouges, il fallait parvenir à y concentrer autant de rouge, sinon on n’obtiendrait qu’une fleur rose, et encore à la condition d’avoir éliminé les pigments anthocyaniques... Ernst a pris contact avec un physicien qui affirmait qu’il était possible, avec les moyens technologiques actuels, d’obtenir un iris rouge. Il a relevé le défi et s’est mis en rapport avec l’Université de l’Etat d’Oregon pour engager le travail. Ce qui a nécessité l’embauche d’un physicien à temps complet et l’acquisition du matériel de laboratoire. L’Université de l’Etat d’Oregon a entrepris l’analyse complète de l’ADN d’un iris. La pigmentation de douzaines de variétés a été analysée et des cultures de tissu « in vitro » ont été réalisées. Il a fallu douze années de recherche pour découvrir et sélectionner les bons gènes rouges avant que ne commence le processus de transformation, processus qui a été couvert par un brevet. L’iris transformé a alors été mis en culture et la première fleur de ce qui devait être un iris rouge aurait du s’épanouir au printemps 2005. Mais on n'a plus jamais entendu parler de ce fameux iris qui aurait du être rouge. Il est par conséquent évident que la tentative a échoué et que l'argent investi l'a été en pure perte.

Dans le même temps Donald Spoon s'est lancé dans l'aventure mais en empruntant un autre chemin. Il a axé sa recherche sur une voie traditionnelle. Il est parti de la constatation que certains iris, dont 'My Ginny' (Spoon, 2002), présentaient des barbes absolument rouges. Un rouge coquelicot provenant d’une forte concentration de lycopène, le pigment qui fait que les tomates sont rouges. Il en a déduit que ce pigment, lorsqu’il est présent dans une fleur d’iris, peut se trouver concentré à l’extrême dans les barbes, mais ne peut pas se développer de la même façon dans les pétales et sépales parce qu’il est bloqué par un gène particulier. Il imagine qu’il existe deux sortes de gènes inhibiteurs, un pour les barbes et un pour les autres parties, et que ces gènes peuvent exister avec quatre niveaux d’influence : faible, médian, vif et très vif. Le niveau très vif correspond à une quasi-absence de lycopène, donnant une coloration très pâle, proche du blanc. Le niveau vif est synonyme de coloration rose tendre ; le niveau médian abouti au rose soutenu, et le niveau faible laisse le lycopène se développer au maximum, ce qui donne une coloration d’un rose orangé foncé proche du rouge coquelicot. Mais le rouge coquelicot n’est pas le rouge absolu. Il contient une pointe d’orange qu’il faut corriger pour tendre vers la perfection. Cette correction peut être obtenue au moyen d’un trait de pigments anthocyaniques qui adoucit ou rafraîchit la couleur de base. Don Spoon était convaincu qu’en utilisant des parents dont les fleurs ont une forte concentration de lycopène il allait parvenir à ce rêve plus que centenaire de l’iris parfaitement rouge. C'était en 2004. Depuis, silence sur le sujet. Sans doute parce que les résultats n'ont pas été à la hauteur...

Un autre irisarien américain s'est, à peu près au même moment intéressé à cette question. Neil Mogensen s'est efforcé de démontrer qu’il peut exister une troisième voie pour obtenir du rouge. Ce n'est pas facile à rapporter, mais j'ai compris que la couleur rouge pure, qui est produite par la pélargonidine (pigment présent dans les géraniums) fait partie de la même série que la delphinidine (pigment qui colore en bleu les delphiniums …et les iris). Ces deux pigments, ainsi que beaucoup d’autres, sont des éléments de la grande famille des pigments anthocyaniques, hydrosolubles, et présents dans le liquide intercellulaire des fleurs. Ils ne se différencient que par le nombre et la position de radicaux OH attachés à l’un des anneaux de base des anthocyanines. D'après les schémas illustrant l’article, la delphinidine a trois radicaux OH, et la pélargonidine seulement un. D’où l’idée, pour obtenir de la pélargonidine au lieu de la delphinidine, de réussir à retirer deux des radicaux OH de cette dernière. On sait cela depuis les travaux de L. F. Randolph, dans les années 50 et 60. Mais le problème n’est pas de savoir ce qu’il faut faire, mais de trouver comment le faire ! Mais si l’on sait, aujourd'hui, où se situe sur les chromosomes de l’iris, l’enzyme qui détermine le nombre des radicaux OH et l’emplacement où ils s’attachent, la manipulation qui pourrait aboutir à transformer la delphinidine et pélargonidine n'est pas simple ! Parce qu’aux pigments de base, s’ajoutent des co-pigments et des variations du taux d’acidité du liquide intercellulaire qui rendent l’opération infiniment complexe et très aléatoire dans ses résultats. D’autant plus que, paraît-il, le processus de transformation pourrait être bloqué par une réaction de la plante qui, constatant une anomalie dans les cellules, rétablirait automatiquement la normalité ! Neil Mogensen n'est donc sûr de rien...

Ceci se passait en 2006. Depuis les événements qui se sont produits ont pratiquement stoppé les recherches : Richard Ernst et Neil Mogensen sont décédés et Don Spoon ne communique plus sur le sujet. La recherche de l'iris rouge est-elle donc enterrée ?

Richard Ernst avait eu l'idée de la transplantation de gènes de lis dans les chromosomes de l’iris pour tenter de lui donner la couleur éclatante d’un poivron ; Neil Mogensen avait eu celle de la production d’une grande quantité de pélargonidine pour atteindre le rouge du géranium zonale ; Donald Spoon a tenté de saturer le lycopène des iris roses ou oranges et d’y ajouter une pointe de violet pour donner l’illusion du rouge pompier. A l'heure qu'il est je pense que le projet va rester encore quelques temps dans les tiroirs des chercheurs et dans les rêves des hybrideurs, mais je crois que les avancées de la génétique aboutiront un jour ou l'autre à la révolution recherchée. Car si le projet est aujourd'hui en panne, on peut être certain qu'un jour prochain quelqu'un le reprendra.

Aboutira-t-il ? Nul ne peut le savoir, mais s'il se réalise, Il y a tout lieu de penser que ce sera une révolution plus fondamentale que celles qui l'ont précédée. L'iris reste une plante naturelle. Les hybrideurs y ont apporté des modifications importantes, mais ils sont restés jusqu'à présent dans le domaine de la nature. Avec l'apparition d'un rouge transgénique, nous serons dans un autre monde, et comme les iris génétiquement modifiés seront immanquablement croisés avec des iris naturels, nous finirons par n'obtenir que des variétés artificielles. Les iris « pur jus » seront des antiquités sanctuarisées qu'on conservera religieusement. Cela me fait un peu peur. Ne serait-il pas préférable que cela échoue, pour que l'iris reste la plante qu'il a été depuis son apparition sur notre terre ?

Illustrations : 


Un « rouge » actuel : semis Bianco #696 


'My Ginny' 


Une vue d'artiste

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Il semblerait que D. Spoon continue à rechercher du rouge, sans que sa méthode pour y arriver apparaisse clairement. Sur son site, dans la présentation des iris 2014, il indique:
"Our 'Red Hot Momma' had 12 buds on this stalk this past spring. We have been working hard on hybridizing for a true red iris and we have several more future introductions that we believe are getting closer to a spectrum red".
En plus de 'Red Hot Mamma en 2014, il introduit en 2015 'Red Lace Petticoat'.
Question: quelle est la fidélité des couleurs des photos présentes sur le site?

En dehors de l'implantation d'un gène extérieur, ce que je ne souhaite pas, il reste à espérer l'apparition spontanée de la pélargonidine, comme cela s'est produit chez less rosiers avec 'Gloria Mundi' dans les années 1920.
Encore faut-il qu'il y ait suffisamment de croisements réalisés dans ce but.

J.C. JACOB

J.C. JACOB

Sylvain Ruaud a dit…

Merci pour ces précisions. La méthode Spoon est la seule qui ne soit pas dangereuse. Mais va-t-elle aboutir vraiment ?