10.7.15

LA FLEUR DU MOIS

TASHKENT

C'est grâce à Sergueï Loktev, le fantasque hybrideur russe, que je suis entré en relation avec Adolf Vofovich-Moler. C'était en 1993 ou 94. Loktev lui-même m'avait fait parvenir selon des combines proprement soviétiques un certain nombre de variétés d'origine russe ou du voisinage, et j'étais très curieux d'accroître ma collection avec des variétés exotiques. Je suis donc entré en contact avec Adolf Volfovich-Moler, géophysicien russe en poste à Tashkent, en Ouzbékistan, et nous avons sympathisé. C'était un homme cordial mais qui considérait les Occidentaux comme des individus d'un moralité douteuse et uniquement préoccupés par leurs affaires ! J'en ai eu la démonstration quand il m'a parlé de ses glaïeuls. En effet, à côté des iris, il hybridait aussi les glaïeuls et, je dois dire, avec une surprenante réussite. Les variétés dont il m'a envoyé des photos étaient remarquables par l'originalité de leurs coloris et la richesse de leurs fleurs. Il m'a demandé si je voulais bien me faire son intermédiaire auprès des producteurs français de glaïeuls car il aurait bien aimé que ses variétés soit commercialisées à l'Ouest. Il m'a fait parvenir un lot de bulbes qui ont été mis en végétation chez Ernest Turc, la plus grande maison française de bulbes à fleurs. L'expérience, malheureusement, a tourné court car la Maison Turc s'est aperçue que les bulbes ouzbeks étaient atteint de virose, ce qui les rendaient impropres à la culture en France. Cette information transférée à Tashkent a eu pour effet de déclencher la colère de mon correspondant qui s'est imaginé que le refus qui lui était opposé n'était motivé que par de sombres intentions mercantiles...

Nous avons décidé d'échanger des rhizomes. Je lui ai fait envoyer par Lawrence Ransom un gros colis d'obtentions françaises. Il m'a fait parvenir, sans problèmes particuliers, toutes ses obtentions des années antérieures à 1995. Bien peu de chose, en vérité ! Il faut dire qu'au fin fond de l'Asie Centrale, fut-ce à l'heure de la perestroïka, se procurer des variétés d'iris relevait de l'aventure ! En fait, Volfovich ne disposait que de onze variétés différentes ! Et pas forcément de la première jeunesse ! Qu'on en juge :
'Babbling Brook' (Keppel, 1969), bleu ciel à barbes citron ;
'Broadway Star' (Schreiner, 1957), variegata miel/brun ;
'Buttercup Bower' (Tompkins, 1960), jaune à barbes blanches ;
'Dancer's Veil' (Hutchison, 1959), plicata à dessins mauve ;
'Mary Frances' (Gaulter, 1973), unicolore lavande :
'Pipes of Pan' (O. Brown, 1963), bicolore crème et pourpre ;
'Rippling Waters' (Fay, 1961), unicolore lilas, barbes mandarine ;
'Sable Night' (Cook, 1950), unicolore violet foncé
'Siva-Siva' (J. Gibson, 1962), plicata acajou ;
'Victoria Falls' (Schreiner, 1977), unicolore bleu ;
'Vitafire' (Schreiner, 1968), unicolore bordeaux.

Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est qu'avec ce choix réduit de géniteurs, Volfovich ait obtenu des variétés, qui avouent leur âge, forcément, mais qui me paraissent dans l'ensemble parfaitement réussies, tant au point de vue horticole, qu'au point de vue botanique. Un bel exemple est ce 'Tashkent' dont on va parler maintenant.

Cette variété, obtenue en 1992, n'a pu être enregistrée qu'en 1995, en même temps que la première tournée des obtentions de leur hybrideur. Elle est issue du croisement (Rippling Rivers X Broadway Star) et se présente comme un variegata brillant, avec des pétales d'un beau jaune doré et des sépales brun-rouge très contrastés, qui en font une plante très spectaculaire au jardin. Elle reste encore aujourd'hui très appréciée en Russie ou en Ukraine et récemment encore deux variétés nouvelles en ont fait état dans leur pedigree.

 Le croisement (Rippling Rivers X Broadway Star) semble avoir été bien apprécié par Adolf Vofovich-Moler puisqu'on lui connaît un frère de semis, 'Aziyat' (1995), jolie fleur dans les tons de magenta, et un « cousin », issu du croisement inversé, 'Askiya' (1995), bicolore beige/bourgogne, sans doute moins intéressant.

Je conserve ces variétés religieusement en souvenir d'une époque où les obtenteurs russes n'avaient rien pour travailler, mais où ils s'efforçaient de ne pas perdre de vue leurs rivaux européens. Ce courage et cette opiniâtreté, qui sont des caractéristiques de la mentalité russe, font qu'aujourd'hui, à l'image de leur pays, ils se rapprochent du niveau mondial où l'on devra dans peu de temps compter sur eux dans les compétitions internationales.

Illustrations : 


'Tashkent' 

'Aziyat' 


'Broadway Star' 


 'Rippling Waters'

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